Un laser jette un nouvel éclairage sur l’équilibre isotopique à l’intérieur du dioxyde de carbone

Résultat scientifique Terre Solide

Une équipe internationale de l’université Heidelberg et du Laboratoire d’études du rayonnement et de la matière en astrophysique et atmosphères (LERMA, IPSL/CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/Université de Cergy-Pontoise) a développé le premier instrument laser pour mesurer les quatre espèces les plus abondantes de CO2, composées d’isotopes 12C, 13C, 16O et 18O.  Cette analyse permet de remonter à la température d’équilibration des carbonates et est devenue un puissant outil dans les sciences de la Terre (paléoclimat, atmosphère…). Jusqu’ici, les analyses se font par des spectromètres de masse, mais la nouvelle méthode permet une analyse plus rapide et directe, ouvrant ainsi la voie à une meilleure utilisation de cette technique.

Réflexions de la lumière laser sur un des miroirs de la cellule à gaz à l’intérieur de l’instrument optique.

La répartition d’isotopes 12C/13C et 16O/18O dans le dioxyde de carbone (CO2), ou dans les carbonates dont on peut extraire le dioxyde de carbone et ainsi le mesurer, est un traceur largement répandu et utilisé depuis longtemps dans les sciences de la Terre. Une approche très récente s’intéresse plus particulièrement à la répartition de ces isotopes entre quatre variantes de la même molécule : l’espèce isotopique de CO2 le plus abondant (12C16O2), les variantes substituées une fois par un isotope rare (13C au lieu de 12C ou 18O au lieu de 16O) et la variante très rare, 13C16O18O, doublement substituée par un isotope lourd. En équilibre thermodynamique, la redistribution de ces quatre isotopes sur les quatre variantes dépend exclusivement de la température. En revanche, elle n’est pas influencée par d’autres variables environnementales (pH, rapports 13C/12C et 18C/16O…), faisant de ce traceur un thermomètre particulièrement robuste et intéressant.

Jusqu’ici, ce type de mesures est le domaine de spectromètre de masse spécialisé qui permet de quantifier l’abondance relative du très rare 13C16O18O à une précision de 10-5. Le nouveau développement instrumental mené par l’équipe franco-allemande est basé sur l’utilisation de lasers infrarouges afin de mesurer le rapport entre les quatre isotopologues du CO2. Pour la première fois, la température de CO2 dissout dans l’eau thermale de trois sources différentes du bassin du Rhin supérieur (une à Soultz/Alsace et deux autres à Bad Hombourg/Hesse) est mesurée par cette nouvelle méthode utilisant l’équilibre entre isotopologues 12C16O2, 13C16O2, 12C16O18O et  13C16O18O. Dans deux des trois cas, la température correspond à celle de l’eau à la surface, tandis qu’à Soultz, la température est beaucoup plus élevée, reflétant une convection rapide de l’eau. La double mesure par spectromètre de masse et par instrument laser permet de conclure que l’analyse par l’instrument laser offre presque la même exactitude pour un temps d’échantillonnage comparable.

Dépendance en température des réactions d’échange de deux équilibres isotopiques devant une photo du geyser d’Andernach (Allemagne), qui sert d’exemple d’une source du bassin du Rhin. Le point sur la courbe rouge indique la comparaison entre mesure et calcul théorique à la température de source de Bad Hombourg (Hesse). Photos © I. Prokhorov

Après cette expérience démonstrative et très prometteuse, les chercheurs estiment qu’une évolution de l’instrument permettra d’atteindre dans un futur proche l’exactitude des spectromètres de masse tout en réduisant le temps d’analyse de quelques heures à une dizaine de minutes. Le grand potentiel de la nouvelle méthode est lié au fait que la mesure est directe. En comparant seulement les abondances relatives de quatre espèces isotopiques, on peut en déduire la température d’équilibration sans aucune ambiguïté, ceci est démontré par la comparaison entre expérience et calcul théorique. La mesure directe est un avantage très important par rapport à la spectrométrie de masse qui nécessite des informations et des calibrations supplémentaires. L’équipe estime que leur méthode permettra même de mesurer des composés isotopiques extrêmement rares tels que l’isotopologue 12C18O2, qui n’est jusqu’ici jamais détecté.

Source

I. Prokhorov, T. Kluge, C. Janssen, Optical clumped isotope thermometry of carbon dioxide, Scientific Reports (2019) doi: 10.1038/s41598-019-40750-z

Contact

Christof Janssen
LERMA-IPSL