Champs de compositions (gauche) et de température (droite) pour deux modèles de convection thermochimique.
Les modèles de convection peuvent aujourd'hui incorporer les anomalies de densité d'origine chimique et tester des scénarios "thermochimiques" pour l'évolution de la Terre profonde. 
Si les contrastes de densité et de viscosité entre le manteau supérieur et le manteau inférieur sont importants (haut de la figure), la convection donne naissance à des dômes confinés dans les profondeurs du manteau[...]
Champs de compositions (gauche) et de température (droite) pour deux modèles de convection thermochimique.
Les modèles de convection peuvent aujourd'hui incorporer les anomalies de densité d'origine chimique et tester des scénarios "thermochimiques"[...]

La convection thermochimique peut conserver des ilots de manteau primitif

Si depuis l’énoncé de la tectonique des plaques d’immenses progrès ont été faits quant à la connaissance du manteau terrestre (sa structure et sa dynamique), il existe encore de nombreux sujets de débats. En particulier, comment concilier la préservation d’un manteau primitif caché, défendue par les géochimistes d’après l’analyse de certaines laves volcaniques, avec le brassage du manteau qu’entraîne nécessairement la plongée de nombreuses plaques lithosphériques dans le manteau profond par le jeu des subductions ? Une équipe de chercheurs suisses de l’Institut fédéral de technologie de Zurich et français de l’Institut de physique du globe de Paris (CNRS, Université Paris Diderot), nous fournit dans la revue Nature Geosciences du 23 octobre 2011 la clé du problème. Leur modèle de convection thermochimique du manteau révèle les conditions qui permettent la préservation de fragments de manteau primitif malgré une convection active à l’échelle des temps géologiques.



Champs de compositions (gauche) et de température (droite) pour deux modèles de convection thermochimique. Les modèles de convection peuvent aujourd'hui incorporer les anomalies de densité d'origine chimique et tester des scénarios
Une des plus anciennes et des plus vives controverses dans la communauté des geosciences concerne la dynamique globale du manteau terrestre. Alors que les géochimistes montrent par différents arguments isotopiques qu’il existe un manteau primitif “caché” dans les profondeurs de la Terre, les techniques d’imagerie géophysique montrent sans ambiguïté que les plaques lithosphériques plongent majoritairement dans le manteau profond, ce qui implique un certain brassage du manteau par la convection. Le brassage auquel est soumis le manteau depuis que la tectonique des plaques s’est mise en place (probablement dès l’Archéen) a-t-il pu préserver des fragments de manteau primitif ? Telle est la question abordée par l’équipe franco suisse.

Dans cette étude les auteurs on pris en compte non seulement l’effet dynamique des anomalies de densité liées au gradient de température, mais aussi celui dû aux anomalies de densité liées à la composition chimique : la convection thermochimique. Dans ce type de modèle où les anomalies de densité liées à la composition chimique des matériaux sont équivalentes aux anomalies de densité liées aux gradients thermiques, on constate la formation de réservoirs denses qui restent stables à la base du manteau à l’échelle des temps géologiques. Les représentations des géochimistes et des sismologues sont ainsi réconciliées.

Cependant, aucune étude ne s’était jusqu’à présent attaquée aux conséquences quantitatives de la convection thermochimique. En utilisant un modèle numérique 3D incorporant des traceurs chimiques et prenant en compte le changement de phase entre le manteau supérieur et le manteau inférieur, les auteurs de ces travaux montrent que trois régimes dynamiques sont possibles en fonction de la composition chimique du réservoir profond.

Si le contraste de densité entre le réservoir profond et le manteau environnant n’est pas assez fort, la convection déstabilise rapidement le réservoir et disperse son matériel dans l’ensemble du manteau, ce qui ne permet pas d’expliquer les contraintes géochimiques.

Si le contraste de densité est trop fort, le réservoir profond est très stable vis-à-vis du mélange convectif, mais son matériel est trop dense pour être entraîné vers la surface et n’est jamais échantillonné.

Par contre pour des contrastes de densité intermédiaires, les modèles prédisent la formation de réservoirs stables d’où prennent naissance des panaches entraînant quelques pour-cent de matériau primitif dense. Le rythme des échanges convectifs entre les deux manteaux dans ce régime produit un spectre d’anomalies de densité chimique et thermique en très bon accord avec les observations sismologiques.

Enfin, la fraction de matériau entraîné est assez faible pour ne pas altérer la stabilité des réservoirs, mais suffisamment importante pour expliquer la signature isotopique primitive mesurée dans les basaltes de points chauds. Le formalisme de la convection thermo-chimique appliqué au manteau terrestre permet ainsi de satisfaire quantitativement les données indépendantes d’origine géophysique comme géochimique.

Sources

 

A deep mantle origin for the primitive signature of ocean island basalt
Frédéric Deschamps1, Edouard Kaminski2 and Paul J. Tackley1
Nature Geoscience 2011 (Advance Online Publication, 23 octobre 2011)
1-Institute of Geophysics, Swiss Federal Institute of Technology Zurich, Switzerland,
2-Institut de Physique du Globe, CNRS, Sorbonne Paris Cité, Université Paris Diderot

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Frédéric Deschamps