Mission SWARM, 3 satellites pour le champ géomagnétique

La mission Swarm du programme Earth Explorer de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui a pour objectif l’étude des variations spatiales et temporelles du champ magnétique terrestre ainsi que l’environnement ionosphérique de la Terre, sera lancée le 22 novembre 2013 par un lanceur Rockot depuis la base russe de Plessetsk. Cette mission a été proposée par des équipes scientifiques de l’Université Technique du Danemark (DTU, Copenhague), du Centre allemand de Recherche en Géosciences (GFZ, Potsdam) et de l’Institut de Physique du Globe de Paris (CNRS, Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité). Elle met en oeuvre une constellation de trois satellites identiques, portant chacun : un magnétomètre vectoriel (VFM) couplé à une caméra stellaire (STR), conçus par le DTU, qui restituent la direction du champ magnétique dans l’espace, et un magnétomètre scalaire absolu (ASM), qui en mesure l’intensité. Ce dernier a été conçu par le CEA-Leti de Grenoble, avec le soutien technique et financier du CNES et le support scientifique de l’IPGP. La mission Swarm permettra de réaliser l’étude la plus complète jamais entreprise des différentes sources du champ magnétique de la Terre, et ainsi de faire progresser notre connaissance du système terrestre, des processus qui l’animent et de l’influence qu’exerce le Soleil sur notre planète.

Le champ magnétique de la Terre

Le champ magnétique de la Terre est produit par l’ensemble des sources magnétiques - courants  électriques ou matière aimantée - présentes à l’intérieur de la Terre, à sa surface et dans son environnement spatial proche. Le champ produit par la géodynamo au coeur de la Terre, c’est-à-dire par la circulation du métal en fusion dans le noyau liquide, est de loin le plus important. Il est responsable de la structure principalement dipolaire qui oriente les boussoles vers le Nord. Il se comporte en première approximation comme le champ d’un aimant droit, incliné actuellement d’environ 10 degrés par rapport à l’axe Nord-Sud de la Terre. Ce champ « principal » constitue un bouclier protecteur contre les rayonnements cosmiques et les particules chargées du vent solaire. Il est aussi responsable  de l’existence de nombreuses autres  sources secondaires. Ainsi, une petite partie du champ magnétique terrestre provient des roches de la croûte terrestre, partiellement aimantées.

Une autre partie très dynamique du champ provient  de courants électriques que l’on trouve dans l’ionosphère (électriquement très conductrice) et dans la magnétosphère (parcourue par des particules chargées). Ces courants apparaissent du fait de l’interaction  complexe entre le champ magnétique principal, l’ionosphère et le vent solaire. Ils provoquent également l’apparition d’autres courants électriques dans la croûte et le manteau terrestre, eux aussi conducteurs.

Enfin, même les océans (eux-mêmes conducteurs) sont parcourus par de faibles courants électriques, constituant une source de champ magnétique.

En analysant le champ magnétique provenant de toutes ces sources, Swarm devrait combler les lacunes actuelles, qui empêchent encore à ce jour d’avoir une vision complète de ce champ particulièrement riche en informations.

Les principaux objectifs de SWARM

Par sa configuration particulière, avec deux satellites navigant en parallèle sur des orbites semblables, le troisième navigant sur une orbite plus élevée, et grâce  aux hautes performances des instruments embarqués, cette constellation doit permettre de caractériser et d’étudier :
• le champ magnétique principal et le mécanisme de dynamo par lequel  il est engendré dans le noyau de la Terre,
• la dynamique du noyau et la façon dont celui-ci interagit avec le manteau,
• les sources aimantées du champ magnétique lithosphérique,
• les hétérogénéités de la conductivité électrique dans le manteau,
• les courants électriques circulant dans l’ionosphère et la magnétosphère, et l’influence du Soleil sur ces derniers,
• le rôle du champ magnétique et des couplages entre l’ionosphère et la  magnétosphère dans l’apport d’énergie dans la thermosphère,
• le signal magnétique produit par les marées et courants océaniques.
En outre, les données d’orbitographie et d’accélérométrie permettront d’améliorer notre connaissance du champ de gravité terrestre.

Au-delà de la compréhension du champ magnétique terrestre

Les enjeux scientifiques qui ont motivé la mission Swarm dépassent l’étude détaillée du champ magnétique terrestre. Les scientifiques en attendent des applications plus larges dans plusieurs domaines : la technologie spatiale, les systèmes de navigation et de guidage, ou l’exploitation des ressources. Être capable de prédire l’évolution du champ magnétique à l’échelle de la durée des systèmes exposés aux forts orages magnétiques (comme les lignes de haute tension) ou aux rayonnements (comme les satellites) est aussi un enjeu, d’autant que l’anomalie de l’Atlantique Sud, où le champ est particulièrement faible, continue de s’étendre et de se creuser. Ceci permettrait en effet d’adopter des mesures de précaution et de développer les technologies adaptées.

Une configuration particulière et un design original

Au début de leur vie en orbite, les trois satellites se trouveront relativement près les uns des autres. Deux d’entre eux volent en tandem à la même altitude (environ 460 km initialement) selon une inclinaison de 87,35 °; cette altitude décroît naturellement jusqu’à 300 km environ en fin de mission. Le troisième satellite est positionné à une altitude plus élevée (530 km au début de la mission), avec une inclinaison légèrement différente (87,95°). Ainsi, des données sont acquises simultanément à des altitudes et heures locales différentes, ce qui aide à discerner les signaux des différentes sources du champ magnétique.

Les trois satellites Swarm ont une forme trapézoïdale avec un long mât déployé dès leur mise en orbite pointé dans le sens opposé au vol. Ce design original doit réduire la traînée aérodynamique sur ces orbites basses, rendre la charge utile la plus compacte possible pour pouvoir embarquer les trois satellites dans la coiffe du lanceur Rockot, mais aussi répondre aux exigences de propreté magnétique inhérentes à la mission.

Sur chacun des satellites, le champ magnétique est mesuré par la combinaison de trois instruments : un magnétomètre vectoriel relatif (VFM, pour Vector Field Magnetometer), qui mesure les composantes du champ magnétique selon trois directions perpendiculaires ; une caméra stellaire (STR), qui restitue l’attitude de ce champ dans l’espace ; et un magnétomètre absolu (ASM pour Absolute Scalar Magnetometer) qui mesure l’intensité du champ de manière absolue avec une extrême précision.

Chacun des magnétomètres scalaires absolus (ASM) a été installé en bout de mât, pour être éloigné au maximum des perturbations magnétiques générées par les équipements du corps du satellite. Le banc optique qui supporte le magnétomètre à saturation de flux (VFM), ainsi que les trois senseurs stellaires sont, quant à eux, montés sur la partie médiane du mât.

Des magnétomètres absolus révolutionnaires

La précision absolue de l’ASM est meilleure que 65 pico Tesla, ce qui représente un millionième de la grandeur à mesurer. Ces instruments ASM fourniront les données d’intensité de champ de référence de la mission, et serviront à calibrer les données vectorielles du champ fournies par l’association des instruments VFM couplés aux caméras stellaires STR. L’ASM a été conçu par le CEA-Leti à Grenoble et fourni par le CNES, qui a par ailleurs contribué à la spatialisation de l’instrument.

Le principe de fonctionnement du magnétomètre scalaire (ASM) repose sur la spectroscopie atomique de l’Hélium 4. Une technologie innovante lui confère une sensibilité et des performances inégalées, identiques en tout point de l’orbite. Ces mesures sont absolues, c’est-à-dire sans dérive ni biais, en raison du principe de la mesure, ce qui permet d’utiliser ce magnétomètre en tant que référence magnétique pour la mission Swarm.

Véritable condensé de technologies, le défi majeur résidait dans la qualification pour l’utilisation spatiale de ses composants, dont notamment une source laser à fibre et un moteur piézoélectrique a-magnétique. Ces technologies sont embarquées pour la première fois sur Swarm. Le PEEK pur (un polymère non chargé) a été sélectionné et utilisé pour la première fois dans une application spatiale pour réaliser entièrement une structure mécanique complexe, incluant des capteurs composés de nombreuses pièces dont une partie mobile et des vis contribuant à la tenue mécanique.

L’ASM fournit en routine un jeu de mesures par seconde. Cependant, il est aussi capable de fournir des mesures scalaires à une fréquence de 250 Hz. Cette faculté sera exploitée en début de vie pour analyser le contenu spectral du champ magnétique au-delà de 1 Hz, qui est actuellement mal connu.

Des mesures vectorielles absolues

Grâce à un concept innovant, l’ASM permet également de réaliser des mesures vectorielles absolues, autrement dit de mesurer de manière absolue les composantes du champ magnétique selon trois directions perpendiculaires. Ceci en fait le premier instrument capable de réaliser des mesures scalaires et vectorielles simultanément au même point, avec une excellente stabilité. Swarm offre ainsi une opportunité unique de valider ce concept dans l’environnement spatial. Les données vectorielles expérimentales de l’ASM pourront alors être comparées pour validation avec celles, nominales, du VFM.  Les résultats permettront aussi de vérifier la qualité des données nominales de la mission, et pourraient ouvrir des perspectives particulièrement intéressantes pour les futures missions de magnétométrie spatiale. Celles ci pourraient alors s’affranchir de la nécessité d’embarquer à la fois un magnétomètre scalaire absolu et un magnétomètre vectoriel relatif.

La mission de l’IPGP

L’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), sous la conduite du chercheur principal de ce projet pour la France, Gauthier Hulot, assure l’expertise scientifique sur les magnétomètres ASM. L’IPGP sera chargé de la phase de validation scientifique des données fournies par ces magnétomètres, un travail qui bénéficiera à l’ensemble de la communauté scientifique impliquée dans Swarm, l’IPGP jouant par ailleurs un rôle majeur dans l’exploitation scientifique de l’ensemble de la mission.

Signalons enfin, qu’à l’issue de la livraison des modèles de vols, l’un des modèles d’ingénierie de l’ASM a également pu être adapté pour réaliser un prototype de magnétomètre automatique destiné aux observatoires terrestres. En particulier, le mode vectoriel a été modifié et optimisé pour obtenir des performances comparables à celles des magnétomètres à saturation de flux actuellement utilisés dans ces installations. Ce prototype a l’avantage d’offrir une stabilité qui devrait permettre une autonomie d’au moins un an, alors que les équipements actuels des observatoires nécessitent d’être calibrés par un opérateur, au moins une fois par semaine. Ce prototype est actuellement en test à l’observatoire magnétique de l’IPGP à Chambon-La-Forêt. La validation de cet instrument permettra d’envisager l’installation d’observatoires terrestres dans des zones lointaines difficiles d’accès, venant ainsi compléter les mesures de la constellation Swarm. Cette expérience est réalisée en collaboration entre le CNES, le CEA-Leti et l’IPGP.

Contact

Gauthier Hulot