Coup de tonnerre sur la météorologie de Jupiter

Univers

De nouveaux résultats de la sonde Juno suggèrent que de violents orages animent Jupiter et génèrent des grêlons d’ammoniaque qui jouent un rôle clé dans la dynamique atmosphérique de cette planète. Cette théorie, développée par l’équipe Juno à partir de données du radiomètre microondes de la sonde, est décrite dans deux publications dirigées par un chercheur du laboratoire Lagrange (CNRS/Observatoire de la Côte d’Azur/Université Côte d’Azur), avec le soutien du CNES. Elle lève le voile sur certains mystères de la météorologie de Jupiter et a des implications quant au fonctionnement de l’atmosphère des planètes gazeuses en général. Une série de trois articles publiés dans les revues Nature et JGR Planets présente ces résultats.

L’eau est un élément essentiel à la météorologie des planètes et a un rôle prépondérant lors de leur formation. Les orages terrestres sont mus par la condensation de l’eau, et la présence de ses trois phases (solide, liquide et vapeur) est essentielle à la formation d’éclairs. Comme sur Terre, l’eau de Jupiter est déplacée par des orages. Ceux-ci doivent se former au sein de son atmosphère profonde, environ 50 km en dessous des nuages visibles, où la température avoisine 0°C. Lorsque ces orages sont suffisamment intenses, ils apportent des cristaux de glace dans la haute atmosphère.

Dans un premier article, des chercheurs américains et du laboratoire Lagrange suggèrent que lorsque ces cristaux interagissent avec de l’ammoniac gazeux, l’ammoniac agit comme un antigel et change la glace en liquide. Sur Jupiter comme sur Terre, de l’eau mélangée à un tiers d’ammoniac reste liquide jusqu’à -100°C. Les cristaux de glace qui ont été amenés haut dans l’atmosphère jovienne sont donc liquéfiés par l’ammoniac pour former des grêlons d’ammoniac-eau, ou grêlons d’ammoniaque1 . Plus lourds, ces derniers redescendent jusqu’au moment où, Jupiter ne possédant pas de surface, ils s’évaporent. Ce mécanisme entraîne l’ammoniac et l’eau profondément dans la planète.

Or les observations de Juno montrent que, si l’ammoniac est très présent dans la zone équatoriale de Jupiter, son abondance est très variable et généralement faible ailleurs, jusqu’à des grandes profondeurs. Avant Juno, les scientifiques avaient mis en évidence cet appauvrissement jusqu’à des zones peu profondes et ceci n’avait jamais été expliqué. Pour expliquer cet appauvrissement jusque dans l’atmosphère profonde, les chercheurs ont développé un modèle de mélange atmosphérique présenté dans un deuxième article. Ils montrent que la présence d’orages et la formation de grêlons d’ammoniaque conduisent à assécher l’atmosphère profonde en ammoniac et rendent compte des variations observées par Juno en fonction de la latitude.

Dans un troisième article, les chercheurs analysent des observations d’éclairs joviens par une des caméras de Juno. Les éclairs apparaissent comme des taches brillantes au sommet des nuages, avec des tailles proportionnelles à leur profondeur dans l’atmosphère jovienne. Contrairement aux missions précédentes qui avaient seulement observé des éclairs provenant de zones profondes, la proximité de Juno a permis la détection d’éclairs moins intenses et peu profonds. Ils proviennent de zones où les températures sont inférieures à -66°C et l’eau seule ne devrait pas se trouver à l’état liquide. Or on pense que la présence d’un liquide est cruciale pour la formation d’éclairs dans Jupiter. La présence de grêlons d’ammoniaque partiellement liquides et les collisions entre particules engendrées par ces grêlons génèrent des différences de potentiel importantes entraînant la formation d’éclairs. La détection par Juno de ces éclairs peu profonds, à des altitudes où le mélange liquide ammoniac-eau peut se former, est ainsi une confirmation observationnelle que ce nouveau mécanisme serait à l’œuvre dans l’atmosphère de Jupiter.

Comprendre la météorologie de cette planète et des autres géantes gazeuses comme Uranus et Neptune, encore inexplorées, permettra de mieux appréhender le fonctionnement d’exoplanètes gazeuses au-delà de notre système solaire.

Cyclone observé dans l’hémisphère nord de Jupiter par JunoCam en juillet 2018. La partie centrale s’étend sur 3 200 x 3 800 km. Des nuages blancs d’ammoniac sont visibles, en rotation dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Des nuages s’élevant jusqu’à 15 km au dessus du reste (d’après l’ombre qu’ils laissent) sont visibles à plusieurs endroits, et notamment dans la partie centrale supérieure du cyclone. On pense que ces orages incluent une forme de grêle d’ammoniaque particulière à l’atmosphère de Jupiter qui entraîne l’ammoniac en profondeur et permet d’expliquer la présence d’éclairs peu profonds.
© NASA/JPL-Caltech/SwRI/MSSS/Kevin M. Gill
infographie
Représentation d’un orage intense dans Jupiter, prenant naissance environ 50km sous les nuages visibles par la condensation de l’eau. Des courants ascendants transportent des cristaux de glace vers le haut. Quand ceux-ci traversent une région située environ 25km sous les nuages supérieurs, à des températures comprises entre -85°C et -100°C (zone hachurée en vert), la vapeur d’ammoniac fait fondre les cristaux de glace qui grossissent pour devenir de la grêle d’ammoniaque. Cette grêle tombe vers les profondeurs, grossit pour inclure une croûte de glace solide puis s’évapore, transportant ainsi à la fois l’ammoniac et l’eau dans l’atmosphère profonde de Jupiter. La détection par la sonde Juno d’éclairs peu profonds, provenant d’une région où les températures sont inférieures à -66°C indique que le liquide d’ammoniac-eau ainsi que des grosses particules doivent effectivement être présentes à ces altitudes.
© NASA/JPL-Caltech/SwRI/CNRS
 

 

  • 1L’ammoniaque est le produit de la dissolution d’ammoniac gazeux dans l’eau liquide.
Bibliographie

Storms and the Depletion of Ammonia in Jupiter: I. Microphysics of “Mushballs”. T. Guillot, D. J. Stevenson, S. K. Atreya, S. J. Bolton, H. N. Becker. JGR Planets, le 6 août 2020. DOI : 10.1029/2020JE006403

Storms and the Depletion of Ammonia in Jupiter: II. Explaining the Juno observations. T. Guillot, C. Li, S. J. Bolton, S. T. Brown, A. P. Ingersoll, M. A. Janssen, S. M. Levin, J. I. Lunine, G. S. Orton, P. G. Steffes, D. J. Stevenson. JGR Planets, le 6 août 2020. DOI : 10.1029/2020JE006404

Small lightning flashes from shallow electrical storms on Jupiter. H. N. Becker, J. W. Alexander, S. K. Atreya, S. J. Bolton, M. J. Brennan,  S. T. Brown, A. Guillaume, T. Guillot, A. P. Ingersoll, S. M. Levin1, J. I. Lunine, Y. S. Aglyamov, P. G. Steffes. Nature, le 6 août 2020. DOI : 10.1038/s41586-020-2532-1

Contact

Tristan Guillot
Chercheur CNRS
François Maginiot
Attaché de presse CNRS