Une nouvelle étude confirme l’accélération de l’acidification du canal du Mozambique et des récifs des îles Éparses au cours des deux dernières décennies.

Carottage d’une colonie de Porites à l’Ile Europa durant la campagne CLIM-EPARSES en avril 2019

© A. Tribollet/LOCEAN-IPSL

Les analyses, conduites en 2004 et 2019 dans le cadre des programmes OISO et CLIM-EPARSES, respectivement, montrent pour la première fois l’augmentation du CO2 et la diminution de pH dans les eaux de surfaces de cette région océanique, parmi les plus sous-étudiées au monde.

Ces données ont été comparées à celles recueillies lors d’une première campagne océanographique menée en 1963, suggérant une accélération de l’acidification du Canal du Mozambique au cours des 15 dernières années.

Les activités humaines, source principale de CO2

Depuis la révolution industrielle, les émissions provenant des activités anthropiques ont fait augmenter la présence de CO2 dans l’atmosphère, contribuant au réchauffement de la planète. Mais l’impact de ces émissions se reflète aussi dans nos océans, car ils absorbent une partie du CO2 atmosphérique.

Cette absorption aide à limiter le réchauffement planétaire, mais entraine des réactions chimiques induisant une baisse du pH de l'eau de mer.

Plus précisément, entre 1963 et 2019, les activités anthropiques ont émis un total de 440 PgC (ou 1012 kg de CO2, c’est-à-dire, dix milliards de tonnes) dans l’atmosphère, conduisant à une augmentation des concentrations de CO2 dans l’air de 315 ppm en 1963 à 411 ppm en 2019.

Environ 25% de ces émissions est capté dans les océans, augmentant progressivement la concentration de CO2 dans les eaux de surface et diminuant ainsi le pH, ce qui est connu comme le phénomène d’acidification des océans.

Carte des campagnes océanographiques dans le Canal du Mozambique en mai 1963 (LUSIAD, bleu), janvier 2004 (OISO-11, orange) et avril 2019 (CLIM-EPARSES, brun).

© Lo Monaco et al. 2021

 

Les estimations sur 56 ans indiquent que la majeure partie de l’augmentation de la fugacité de CO2 résulte de l’augmentation de la captation par le Canal des émissions dues aux activités humaines, alors que le réchauffement océanique dans la région de l’Océan Indien Ouest (+0.011 °C/décennie) n’est responsable que d’environ +10 µatm.

Les scientifiques ont également estimé que pendant cette même période, le pH a diminué de -0.09 unités dans le Canal, ce qui est caractéristique de la moyenne observée dans l’océan mondial au cours de l’Anthropocène.

C’est en complétant les données avec des observations des années 90 dans la partie sud du Canal de Mozambique, qu’une accélération de l’acidification a été identifiée.

FCO2(a) et pH(b) observé dans les eaux de surface en mai1963 (bleu), janvier2004 (orange) & avril2019 (brun). Les niveaux de fCO2 atmosphérique sont indiqués pour chaque période (lignes tiretées). La valeur de pH de 8.18 est estimée pour la période 1800

© Lo Monaco et al. 2021

 

Une reconstruction du pH à partir de modèles basés sur les niveaux de CO2 atmosphériques historiques indique par ailleurs que, en 1800, le pH était d’environ 8.18, soit 0.13 plus élevé qu’en 2019, confirmant la tendance à la baisse observée entre 1963 et 2019.

Quels effets de l’acidification de l’océan sur la vie marine ?

L’acidification des mers a des effets sur l’ensemble des écosystèmes marins, mettant en péril de nombreuses espèces.

Elle affecte particulièrement des animaux et des plantes marines très sensibles à des faibles changements de pH, comme les coraux, les huitres les algues calcaires et des crustacés qui utilisent une partie du carbone présent naturellement dans les océans pour former leurs squelettes, coquilles ou thalles.

 

Ces résultats combinés aux futures reconstructions des paléo-pH au cours des derniers siècles à partir de carottes coralliennes prélevées en 2019 à Europa, Juan de Nova et aux Glorieuses, contribueront à mieux comprendre l’impact de l’acidification sur d’une part, le taux de croissance et de calcification des coraux massifs, constructeurs majeurs de récifs coralliens, et d’autre part, les agents de la bioérosion, principaux acteurs de la dégradation et dissolution récifale.

 

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Le programme CLIM-EPARSES est coordonné par Aline Tribollet (Chercheuse IRD au Laboratoire LOCEAN-IPSL).

Ces travaux, menés par les équipes du LOCEAN (IRD/IPSL) et du LSCE (IPSL), et de l’Université de la Réunion, sont publiés en juin 2021 dans la revue Deep Sea Research II.

 

Références

  • Friedlingstein, P., et al. Global Carbon Budget 2020, Earth Syst. Sci. Data, 12, 3269–3340, https://doi.org/10.5194/essd-12-3269-2020, 2020.
  • Keeling, C. D., and Waterman, L. S., 1968. Carbon dioxide in surface ocean waters: 3. Measurements on Lusiad Expedition 1962–1963, J. Geophys. Res., 73(14), 4529–4541, doi:10.1029/JB073i014p04529.
  • Lo Monaco, C., N. Metzl, J. Fin, C. Mignon, P. Cuet, E. Douville, M. Gelhen, T. Chau and A. Tribollet, 2021. Distribution and long-term change of the sea surface carbonate system in the Mozambique Channel (1963-2019). Deep Sea Res. II, Special Issue, "IIOE-2 Volume 4", in press. https://doi.org/10.1016/j.dsr2.2021.1049
  • Schönberg CHL, Fang JKH, Carreiro-Silva M, Tribollet A, Wisshak M (2017) Bioerosion: the other ocean acidification  problem ICES Journal of Marine Science fsw254. DOI: 10.1093/icesjms/fsm254