Des roches « martiennes » synthétisées en laboratoire pour interpréter les données de la mission InSight

Résultat scientifique

Depuis 2019, la mission Insight collecte des données sismiques provenant du manteau de la planète Mars. Pour les interpréter, il faut connaître les propriétés des roches qui le composent. En reproduisant en laboratoire les conditions de température et de pression de la planète, des chercheurs et des chercheuses ont étudié la composition possible de ces roches et, grâce à des mesures de vitesses des ondes sismiques, ils ont caractérisé un comportement de ces ondes en fonction de la pression et de la température qui diffère du cas du manteau terrestre, mais qui est en accord avec les observations sur Mars.

Depuis le déploiement du sismomètre SEIS à la surface de Mars début 2019, de nombreuses données ont été collectées par l’équipe internationale de la mission InSight de la NASA. Si l'on connait les propriétés physiques et chimiques des matériaux qui constituent la planète, le lien entre ces observations sismologiques et des modèles minéralogiques fournit des informations sur la structure du manteau de Mars, comme dans le cas pour la Terre ou pour la Lune. Jusqu’à présent, les modèles minéralogiques de Mars étaient établis en se basant largement sur des compositions pertinentes pour le manteau terrestre. Des chercheurs et des chercheuses de l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie (IMPMC, CNRS / MNHN/Sorbonne Université) et de l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP, CNRS/IPGP/Univ. Paris), en collaboration avec des collègues japonais[1], ont étudié les roches susceptibles d'exister dans le manteau martien en synthétisant des mélanges de minéraux dans les conditions pertinentes de température et de pression et en caractérisant leurs propriétés physiques dans ces mêmes conditions. Ils ont mis en évidence une minéralogie plus complexe de celle considérée jusqu’à présent, avec l'existence probable de minéraux riches en ions ferriques dans les régions plus oxydées du manteau supérieur. Par ailleurs, les études ont révélé l'existence d'une région dans le manteau supérieur dans laquelle, contrairement au comportement classiquement attendu, la vitesse des ondes sismiques diminue avec la profondeur, une découverte qui est compatible avec les observations de la mission Insight. Ces résultats sont publiés dans la revue Geophysical Research Letters.

Pour obtenir ces résultats, des verres de composition modèle pour le manteau martien ont été synthétisés par fusion et trempe de mélanges de poudres dans un four laser à lévitation aérodynamique sous différents flux de gaz, représentant différentes conditions d'oxydo-réduction possibles du manteau de Mars. Ces verres ont ensuite été comprimés et chauffés, soit dans un appareil piston-cylindre, soit dans un appareil multi-enclumes, pour créer les conditions de pression et de température existant dans le manteau de Mars (3 GPa et 1200 °C, correspondant à 250 km de profondeur, et 8 GPa et 1300 °C, correspondant à 670 km de profondeur). L'analyse par microscopie électronique des échantillons ainsi produits a fourni la composition minéralogique à l'équilibre et a notamment mis en évidence la stabilité de la magnétite, un minéral riche en ions Fe3+. Plusieurs expériences ont ensuite été menées au Japon, les échantillons étant soumis à haute pression et haute température dans une presse multi-enclumes, et une combinaison de techniques ultrasonores et de diffraction et imagerie par rayons X étant utilisée pour obtenir la densité des matériaux et les vitesses sismiques de compression et cisaillement en fonction de la pression et de la température. En particulier, alors que température et pression augmentent avec la profondeur, il a été trouvé que l'effet induit par la température est dominant par rapport à l’effet induit par la pression, ce qui conduit à une réduction nette des vitesses des ondes sismiques, en particulier pour les ondes de cisaillement, dans une couche se situant entre 150 et 350 km de profondeur. Remarquablement, l'existence d'une telle couche est indépendante de sa composition minéralogique.

Des approches similaires peuvent être étendues à d’autre compositions possibles sur Mars, et à une gamme de pression et température allant jusqu’à l’interface entre le manteau et le noyau. En parallèle avec la poursuite des observations sismologiques par la mission InSight, ces approches contribueront à mieux estimer la composition du manteau de Mars et ainsi à comprendre la structure interne et la dynamique de cette planète.

Coupe schématique de l’intérieur de Mars
Légende : Coupe schématique de l’intérieur de Mars mettant en évidence les couches principales (de l’extérieur vers l'intérieur : une croûte basaltique, un manteau silicaté plus riche en oxydes du fer que le manteau terrestre, et le noyau métallique) ainsi que la profondeur et l’extension de la zone à faible vitesse sismique. Crédit : IPGP/David Ducros

 

[1] Geodynamics Research Center, Matsuyama et Synchrotron SPring-8, Hyogo

Référence

Low Velocity Zones in the Martian Upper Mantle Highlighted by Sound Velocity Measurements.
F. Xu, N.C. Siersch, S. Gréaux, A. Rivoldini, H. Kuwahara, N. Kondo, N. Wehr, N. Menguy, Y. Kono, Y. Higo, A.-C. Plesa, J.Badro, D. Antonangeli, Geophysical Research Letters, paru le 21 septembre 2021.

DOI: 10.1029/2021GL093977.
Disponible sur la base d'archives ouvertes HAL.

 

Contact

Daniele Antonangeli
Directeur de recherche CNRS, Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie
Communication CNRS Physique