La géo-respiration du carbone fossile libère autant de gaz carbonique que les volcans à l’échelle globale

Résultats scientifiques

 

  • Le flux global de CO2 émis par la géo-respiration du carbone fossile est de 68 mégatonnes par an, soit proche du flux de CO2 issu du volcanisme
  • La géo-respiration du carbone fossile est la plus importante dans les montagnes et leurs plaines d’inondation
  • L’altération des roches est une source et non un puit de CO2 dans les montagnes et à l’échelle globale
     

 

L’oxydation de la matière organique fossile des roches, la « géo-respiration », est un processus majeur qui libère du CO2 dans l’atmosphère et influence le climat aux longues échelles de temps. Deux études récentes, publiées respectivement dans PNAS et Nature, ont permis de déterminer que cette géo-respiration libère autant de CO2 que les volcans à l’échelle globale, et que les flux sont les plus importants dans les chaines de montagnes et dans leurs plaines d’inondation associées. Ces résultats changent ainsi profondément notre compréhension du cycle géologique du carbone.

Les processus d’érosion et d’altération jouent un rôle clé dans l’évolution du climat en libérant ou piégeant lentement du carbone sur des échelles de temps longues (> 100 000 ans). Les roches sédimentaires contiennent de la matière organique dite « fossile » (c’est cette même matière organique qui peut se transformer en pétrole ou en gaz), qui peut s’oxyder au contact de l’oxygène de l’air et ainsi libérer du CO2. Cette « géo-respiration » est, avec le volcanisme, l’une des principales émissions naturelles de CO2 dans l'atmosphère. Elle reste pourtant très mal connue car il est très difficile de mesurer directement ce CO2 d’origine fossile. Cependant, lorsque la matière organique fossile s’oxyde, elle libère aussi un élément trace, le rhénium (Re), dont elle est riche. Le rhénium oxydé est soluble et se retrouve en solution dans les rivières. On peut donc quantifier la géo-respiration du carbone fossile à l’échelle des bassins versant en mesurant le flux de rhénium (Re) dissous des rivières.

Dans une étude publiée dans la revue PNAS, une équipe internationale a mesuré les concentrations en rhénium dans les rivières du Madre de Dios (Pérou) dans le bassin du fleuve Amazone. Les résultats montrent que les teneurs en rhénium dissous sont bien plus élevées dans les rivières Andines que dans les rivières qui s’écoulent uniquement dans les plaines (relief < 500m). La géo-respiration est donc nettement plus importante en montagne qu’en plaine. Ils montrent aussi que le flux de rhénium des rivières Andines continue d’augmenter à la sortie des Andes lorsque les rivières forment de larges plaines d’inondation où des sédiments andins sont déposés sur de longues périodes de temps. Ainsi, la géo-respiration de la matière organique fossile contenue dans les sédiments issus de l’érosion des Andes se perpétue dans ces plaines inondables qui bordent certaines chaînes de montagne.

vue aérienne d’un sous-bassin versant Andin du Madre de Dios
A gauche : vue aérienne d’un sous-bassin versant Andin du Madre de Dios. A droite : vue aérienne de la plaine d’inondation du Madre de Dios en aval.
© Mathieu Dellinger, 2019.

Une seconde étude, publiée dans la revue Nature, a estimé précisément, pour la première fois, la quantité totale de CO2 émise à l’échelle globale par la géo-respiration du carbone fossile. Les auteurs ont utilisé une base de données de concentrations en Re dans plusieurs grands fleuves ainsi qu’un modèle d’extrapolation spatiale permettant de quantifier la géo-respiration en tout point du globe. Le flux de CO2 global issu de la géo-respiration ainsi estimé est de 68 mégatonnes par an. C’est environ 150 fois moins que les émissions annuelles de CO2 d’origine anthropique, mais du même ordre de grandeur que le flux de CO2 émis par les volcans. Enfin, il apparaît que dans les montagnes, la géo-respiration libère plus de CO2 que ce qui est séquestré dans les calcaires via l’altération des roches silicatés. Sur le long-terme, l’altération chimique des chaines de montagnes n’est donc pas un puit de carbone, comme nous l’avons longtemps pensé, mais plutôt une source nette de CO2 à l’atmosphère.

Les principaux processus et flux du cycle géologique du carbone.
Les principaux processus et flux du cycle géologique du carbone. © Mathieu Dellinger, à partir de la Référence

 

Référence des publications

Dellinger, M., Hilton, R. G., Baronas, J. J., Torres, M. A., Burt, E. I., Clark, K. E., Galy, V., Ccahuana Quispe, A. J., & West, A. J. "High rates of rock organic carbon oxidation sustained as Andean sediment transits the Amazon foreland-floodplain". Proceedings of the National Academy of Sciences. Publié le 19 septembre 2023.

Zondervan, J. R., Hilton, R. G., Dellinger, M., Clubb, F. J., Roylands, T., & Ogrič, M. "Rock organic carbon oxidation CO2 release offsets silicate weathering sink". Nature. Publié le 04 octobre 2023. 

Laboratoire CNRS impliqué

Environnements, dynamiques et territoires de montagne (EDYTEM, CNRS / USMB)

Contact

Mathieu Dellinger
Environnements, dynamiques et territoires de montagne (EDYTEM, CNRS / USMB)
Valier Galy
Woods Hole Oceanographic Institution
Christine Piot
Correspondante communication, Environnements, dynamiques et territoires de montagne (EDYTEM, CNRS / USMB)