1600 ans d’histoire climatique montrent que la sécheresse actuelle du Sahel est sans précédent

Résultat scientifique

Le Sahel est une des régions les plus vulnérables au monde et son avenir climatique reste extrêmement incertain. Une équipe de chercheurs1 vient de reconstruire l’histoire du bilan hydrique au Sahel depuis 1600 ans, à partir de l’analyse géochimique de coquillages fossiles de l’estuaire du Saloum au Sénégal. Le climat des dernières décennies apparaît comme une situation de sécheresse extrême et sans précédent, résultat d’une aridification commencée abruptement il y a 200 ans. Sur toute la période d’étude, les précipitations se montrent d’autant plus faibles que les températures globales sont élevées, en accord avec les théories climatiques qui prédisent une aggravation future de la sécheresse de cette région.

  • 1Laboratoires impliqués : Laboratoire d’océanographie et du climat : approches numériques et expérimentales ((LOCEAN/IPSL, CNRS / IRD / MNHN / Sorbonne université) ; Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (ISEM, CNRS / IRD / EPHE / Université de Montpellier) ; Hydrosciences Montpellier (HSM/OREME, IRD / CNRS / Université Montpellier) ; Institut de systématique, évolution, biodiversité (ISYEB, CNRS / MNHN / EPHE / Sorbonne Université) ; Institut fondamental d’Afrique noire (Université Cheikh Anta Diop) ; Institut polytechnique (Université Cheikh Anta Diop) ; Laboratoire de physique de l’atmosphère et de l’océan Simeon Fongang (Université Cheikh Anta Diop).

Dans les années 1960, les pluies ont diminué de 30% dans la région du Sahel en Afrique initiant une période de sécheresse de plusieurs décennies, des épisodes de famine grave et des migrations massives. Il s’agit, à l’échelle de la planète, de la fluctuation climatique la plus forte jamais mesurée. Le Sahel est alors devenu le symbole des dangers du changement climatique quand bien même le lien entre les pluies et le réchauffement global n’était pas encore démontré. Depuis quelques années, ces pays sont nettement moins l’objet des préoccupations climatiques internationales d’une part en raison d’une reprise partielle des précipitations depuis une vingtaine d’années et d’autre part car les simulations climatiques prévoit, en moyenne, une tendance future vers une augmentation des pluies. Cette moyenne cache en réalité de très grandes disparités puisqu’une une proportion importante des simulations prévoit une diminution significative des pluies. En raison des difficultés particulières à reproduire fidèlement la mousson africaine, l’incertitude sur l’avenir climatique de cette région est totale, alors que sa vulnérabilité tend à augmenter.
Une difficulté essentielle pour évaluer la situation climatique de l’Afrique vient de l’absence d’observations antérieures à 1850. Impossible en effet d’évaluer le caractère exceptionnel d’une sécheresse de 40 ans à partir d’un registre qui couvre à peine 170 ans. Et comment savoir si les activités humaines ont perturbé le climat du Sahel si on ne peut le comparer avec son état antérieur à l’ère industrielle ?

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Site de Dioron Boumak : cette île de 11 mètres de haut, formée de coquillages accumulés par d’anciennes populations de pêcheurs de l’estuaire du Saloum, a enregistré huit siècles d’histoire climatique. © Matthieu Carré, LOCEAN/IPSL.

 

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Comparaison des variations de température globale (a) (jaune : Mann et al., 2009 ; bleu : Moberg et al., 2005 ; rouge : PAGES-2k, 2013) aux variations d’hydroclimat (b), au Sahel depuis 1600 ans. Le petit âge de glace (1500-1800) est la période la plus humide et le dernier siècle la plus sèche, en dehors de la variabilité naturelle.

Une équipe franco-sénégalaise de chercheurs a reconstitué l’histoire des conditions d’aridité du Sahel au cours des 1600 dernières années en analysant des coquillages archéologiques du delta du Saloum, un estuaire de mangroves au Sénégal. Ces coquillages, de l’espèce Senilia senilis, forment leur coquille de carbonate de calcium (CaCO3) en intégrant parmi les atomes d’oxygène une part d’isotopes lourds (18O) dans une proportion liée à celle présente dans l’eau où ils vivent. La proportion de cet isotope dans l’eau varie parallèlement à la salinité : elle augmente avec l’évaporation et diminue avec l’arrivée des eaux de pluie. Ces coquillages, qui contiennent, préservée sous forme chimique, une information sur le bilan hydrique de la région, ont été consommés en grande quantité par les habitants et accumulés pendant des siècles sous forme de monticules pouvant atteindre 15 mètres de haut. Les chercheurs ont daté au carbone 14 plusieurs de ces amoncellements et analysé des coquilles des strates successives pour reconstruire pour la première fois les variations multiséculaires de la mousson Africaine dans le Sahel.

Cet enregistrement paléoclimatique de 1600 ans offre une perspective totalement nouvelle sur le climat du Sahel. Il montre tout d’abord que les conditions de sécheresse de la période moderne font suite à une aridification qui dure depuis 200 ans pour atteindre un niveau sans équivalent dans la période préindustrielle. D’autre part, une corrélation significative sur toute la période montre que les précipitations du Sahel sont plus élevées quand le climat global est froid, comme au petit âge de glace (~ 1500-1800), et se réduisent quand le climat global se réchauffe. Malgré des fluctuations décennales, la situation climatique actuelle du Sahel doit donc être considérée comme une sécheresse extrême, résultat probable de la combinaison des effets du réchauffement climatique global et de l’évolution des pratiques agricoles locales qui ont modifié le cycle hydrologique. Les résultats de cette étude sont préoccupants pour l’avenir du Sahel car ils confortent les modèles climatiques prédisant une poursuite potentiellement catastrophique des baisses de pluies dans cette région.

Le projet SALOUM a été financé par l’université Montpellier 2, l’INSU (programme LEFE), et le programme PACMEDY (ANR-Belmont Forum).

Source(s)

Carré M., M. Azzoug, P. Zaharias, A. Camara , R. Cheddadi , M. Chevalier, D. Fiorillo, A. Gaye, S. Janicot, M. Khodri, A. Lazar, C. E. Lazareth, J. Mignot, N. Mitma Garcia, N. Patris, O. Perrot, M. Wade (2018), Modern drought conditions in western Sahel unprecedented in the past 1600 years. Climate Dynamics, https://doi.org/10.1007/s00382-018-4311-3