Relevés bathymétriques de l'île de Mayotte, Comores.© équipe MAYOBS – IPGP/CNRS/Ifremer/BRGM

MARMOR : quand la Terre s’agite sous les océans

Décryptage Terre Solide

Quand la surface de la Terre tremble, on ne penserait pas, à première vue, à regarder au fond des mers ou des océans. Et pourtant, les fonds marins sont le berceau de processus telluriques essentiels de la dynamique de notre planète (séismes, mouvements tectoniques, volcanisme, etc.). Ces événements peuvent affecter les terres et les populations, c’est pour cela qu’il faut être en mesure de les surveiller.

Au moment où le sous-sol océanique de la région au large de Mayotte, dans les Comores, connaît la plus importante éruption volcanique des 250 dernières années, le projet MARMOR propose de construire au large de l’île des infrastructures et des équipements pour étudier et prédire ces aléas et mieux répondre aux défis liés à la gestion des risques. On fait le point avec l’équipe du projet dont Andrea Walpersdorf (enseignante-chercheure, ISTerre / CNRS / Univ. Grenoble Alpes) et Valérie Ballu (chercheuse, LIENSs / CNRS / La Rochelle Univ. ). 

Pourquoi la Terre tremble ?

Les phénomènes telluriques, c’est-à-dire les phénomènes qui viennent de la Terre, tels que les séismes et l’activité volcanique, découlent de la dynamique des plaques tectoniques1  et de l’évolution des océans. Un séisme est, dans la plupart des cas, dû à un glissement brutal le long d’une faille sismique qui résulte du mouvement relatif des plaques séparées par la faille. Ce glissement fait vibrer les roches, puis ces vibrations se propagent et créent les ondes sismiques. La rupture des failles sismiques est donc à l’origine des séismes. Ces failles sont localisées majoritairement sur la bordure des plaques tectoniques, là où deux plaques se rapprochent, s’éloignent ou coulissent l’une par rapport à l’autre. Les failles sont les signes des déformations qui affectent la croûte terrestre lors de « l’affrontement » de deux plaques. Le relâchement de ces déformations accumulées, sur certaines failles, peut aussi être lente, sans créer de vibrations sismiques.

Les séismes peuvent également être générés par la naissance ou l’éruption d’un volcan. Un volcan est un relief formé par l’éjection et l’empilement de magma, de cendres et de poussière. Lors d’une éruption, les gaz du magma s’accumulent dans le manteau et entrent en pression, le magma remonte alors dans l’édifice volcanique. Cette poussée peut entraîner des déplacements de roches et provoquer des séismes.  Si on connaît bien les volcans terrestres, ils sont environ 1000 fois plus nombreux à être situés au fond des océans. Des volcans sous-marins donc, qui passent totalement inaperçus, parfois jusqu’à ce qu’une activité sismique ne les révèle.

Ce fut le cas en 2018 quand une série de tremblements de terre au large de Mayotte a créé une énorme confusion et poussé les pouvoirs publics à faire appel à la communauté scientifique pour en comprendre les causes. En mai 2019, les scientifiques découvrent l'origine de cette crise sismique : la naissance d’un volcan sous-marin jusqu’alors inconnu à 3500 mètres de profondeur. Cette apparition résulte d’une éruption sous-marine hors norme, alimentée par un système magmatique profond qui s’est développé avec la tectonique active de la région. La mission en mer MAYOBS a permis de récolter des données qui ont dévoilé un système volcanique complexe. C’est la plus importante éruption sous-marine jamais documentée. Cet évènement a alors mis en évidence le besoin de renforcer les méthodes de surveillance des aléas telluriques sous-marins

  • 1Une plaque tectonique (continentale ou océanique) est une plaque de la lithosphère (couche supérieure de l’enveloppe terrestre) qui résulte de son découpage à la manière d'un puzzle par un système de failles, de dorsales, de rifts et de fosses de subduction. Ces plaques se déplacent de quelques centimètres par an dans des directions différentes, ce qui entraîne la formation de zones de divergence, de subduction, de collision et de coulissage.
Relevés bathymétriques de Mayotte réalisés grâce au sondeur multifaisceaux EM122 du Marion Dufresne. © équipe MAYOBS – IPGP/CNRS/Ifremer/BRGM

Comment surveiller les séismes et les éruptions volcaniques sous-marines ?

Plusieurs paramètres sont mesurés pour surveiller les aléas telluriques :  la vitesse de déplacement des plaques, l’histoire d’anciens séismes, la mesure des systèmes géologiques, etc. Cependant, si, à terre, les observations au sol sont bien développées (capteurs GPS, sismomètres, etc.), ce n’est pas le cas pour les observations sous-marines qui sont encore incomplètes. Et pourtant, quantifier les déformations, y compris en fond de mer, serait un outil précieux pour comprendre et suivre les processus qui ont lieu en domaine marin).

Jusqu’ici, la technique la plus répandue pour les observations sous-marines reste l’utilisation de sismomètres fond de mer (OBS), qui ont néanmoins une durée de vie limitée en raison de leur faible capacité de batterie. Or, les observations sous-marines ne requièrent pas les mêmes méthodes que celles au sol. En effet, les ondes que l’on retrouve dans l’utilisation d’outils de mesure au sol (comme les ondes électromagnétiques) ne se propagent pas sous l’eau. Les expéditions en mer sont souvent requises pour aller mesurer les changements au plus près de la déformation. Depuis la découverte du volcan sous-marin de Mayotte 2019, le Réseau de surveillance volcanique et sismologique de Mayotte (RéVoSiMa) a été créé. Il est chargé de suivre l’évolution de la sismicité et des déformations de l’île, de manière continue sur Terre mais seulement épisodique en mer. Cette crise sismique soulève donc le besoin de renforcer les infrastructures sous-marines et celui de suivre en temps réel les dynamiques terrestres en profondeur.

Le projet Marmor

L’objectif du projet Marmor est de progresser dans l'étude de la déformation du sol, de la sismicité, des tsunamis, du volcanisme et de plusieurs problèmes environnementaux clés dans les zones océaniques et côtières, en étendant les capacités d’observations terrestres dans le domaine marin. Le projet vise à mettre en place un observatoire permanent de fond de mer relié à la terre par un câble sous-marin et un parc d’instrumentation géophysique en profondeur, pour assurer des observations en temps réel et sur le long terme.

L’Equipex Marmor

Le projet Marmor (Marine Advanced geophysical Research equipment and Mayotte multidisciplinary Observatory for research and Response) porte sur l’équipement géophysique de recherche marine avancée et d’un observatoire multidisciplinaire pour la recherche et la surveillance à Mayotte. C’est un projet ANR PIA3 Equipex+ qui a été approuvé avec un financement à la hauteur de 15,4 millions d'euros. Le responsable scientifique, Louis Géli (Ifremer GM LAD) porte le projet avec un large partenariat dont font partie principalement le CNRS, l’IPGP, l’IRD, le BRGM, ESEO, OCA ; ainsi que les universités de Bretagne Occidentale (UBO), de Nice Côte d’Azur (UCA), de la Rochelle (LRU) et de Grenoble-Alpes (UGA). Marmor s’appuie, entre autres, sur l’infrastructure de recherche RESIF (le réseau sismologique et géodésique français), réseau essentiellement terrestre et dont Marmor représente l’extension vers la mer

Les développements sont divisés en 5 axes

Axe 1 : Géodésie sous-marine

La géodésie étudie la forme et les déformations de la Terre. Caractériser la déformation et la sismicité aux frontières de plaques peut permettre d’étudier les processus physiques menant à l’occurrence des grands séismes. Ce premier axe doit permettre d’acquérir l’instrumentation permettant de caractériser : 

  • Les déformations verticales en utilisant des capteurs de pression placés en fond de mer. Ces capteurs enregistrent le poids de la colonne d’eau et d’air au-dessus du capteur, poids qui change lorsque le fond bouge. 
  • Les déformations horizontales en utilisant la technique du GNSS-A (GNSS acoustique). Cette technique combine un positionnement précis par GNSS (le GPS étant un exemple de GNSS) dans la partie aérienne avec une triangulation vers des balises acoustiques dans le domaine sous-marin.  Une plateforme de surface (bouée, bateau, drone) fait le relais entre le positionnement par satellite dans le domaine aérien et le positionnement acoustique sous-marin. 

 

Schéma du principe du positionnement GNSS/Acoustique.© Pierre Sakic, LIENSs, La Rochelle et GFZ, Potsdam

Axe 2 : Réponse rapide aux crises sismiques et volcaniques

Un parc mixte sera mis en place et comportera en résumé : des sismomètres fond de mer légers, des hydrophones autonomes avec liens satellites et des capteurs de pression. Celui-ci sera mobilisable à tout moment et sera déployé sur des navires d’opportunité qui permettront des interventions en quelques jours pour suivre l’évolution de la sismicité en cas de crise.

Axe 3 : Régénération des parcs de sismomètres fond de mer (OBS)

Le projet vise à mettre à disposition des scientifiques français un parc de sismomètres fond de mer (OBS) modernes pour observer en temps réel l’activité sismique et volcanique. Un OBS est un capteur autonome placé directement dans le fond océanique. Il enregistre des données permettant d’étudier l’activité sismique de la terre sous l’océan;

Axe 4 : Recherche et développement en fibre optique

Le développement des fibres optiques a pour objectif premier de pouvoir détecter et mesurer en fond de mer, en temps réel, des sources naturelles de vibrations sismiques ou de déformations lentes en développant des inclinomètres, extensomètres et pressiomètres optiques, afin de comprendre les processus mécaniques à l’œuvre dans les systèmes sous-marins de failles, d’édifices volcaniques et de grands glissements de terrain. L’avantage de ces mesures en fond de mer avec des capteurs purement optiques est qu’ils sont dépourvus d’électronique, et sont donc plus robustes, avec un coût d’installation et de maintenance réduit par rapport aux capteurs commerciaux équipés avec de l’électronique. Les sismomètres et les pressiomètres optiques devraient contribuer à équiper l’observatoire sous-marin de Mayotte (Axe 5). Des développements seront aussi fait autour de la technologie de « mesure acoustique distribuée » qui permet de transformer n’importe quelle fibre optique commerciale en un réseau dense de capteurs acoustiques, simplement en sondant les variations de propriétés optiques de la fibre depuis une extrémité. Un premier observatoire pilote fond de mer utilisant cette technologie révolutionnaire sera développé en s’appuyant sur un ancien câble télécom qui longe la marge nord de la mer Ligure.

 Axe 5 : Observation sous-marine au large de Mayotte

En réponse à la crise sismo-volcanique en cours depuis mai 2018 au large de Mayotte, le projet prévoit le développement du premier observatoire sous-marin porté par l’Europe pour le suivi permanent, continu et long-terme de l’activité sismique et des déformations. L’infrastructure comportera un réseau de câbles électro-optiques et optiques pour un suivi temps réel. Cette infrastructure fournira aussi l’opportunité d’un suivi géochimique, biologique et écologique et sera mise à disposition de la communauté scientifique.

 

MARMOR va permettre de faire un bond dans la connaissance des processus géodynamiques en profondeur et d’améliorer le suivi opérationnel des crises sismiques et volcaniques impactant le territoire national. En prenant l’île de Mayotte comme site atelier, les nouveaux développements sous-marin du projet pourront ensuite être utilisés dans d’autres zones à risque telles que les Antilles.

 

 

Léa Lahmar

Pour en savoir plus

Fiches pédagogiques (séismes, volcans, etc.) à retrouver sur le site de RESIF ici  Fiches pédagogiques pour tous | Résif (resif.fr)

Autres contributeurs : 

Louis Geli (Ifremer, GM LAD).

Andrea Walpersdorf (ISTerre / CNRS / Univ. Grenoble Alpes) et Valérie Ballu (LIENSs / CNRS / La Rochelle Univ. ), Jean-Mathieu Nocquet (geoazur/ CNRS) et Audrey Galvé (geoazur / CNRS), Wayne Crawford (IPGP), Anthony Sladen (geoazur / CNRS), Frederic Boudin (LGENS / CNRS / ENS), Pascal Bernard (IPGP / CNRS) et Olivier Coutant ( ISTerre / CNRS / Univ. Grenoble Alpes), Arnaud Lemarchand (IPGP / CNRS), Jean-Yves Royer (GeoOcean, IUEM), Sara Bazin (GeoOcean, IUEM). 

 

Contact

Andrea Walpersdorf
Institut des sciences de la Terre (ISTerre / CNRS / OSUG / Univ. Grenoble Alpes)
Valérie Ballu
LIttoral ENvironnement et Sociétés (LIENSs / CNRS / La Rochelle Univ)