Les terres rares : le paradoxe environnemental

Décryptage Terre Solide

Depuis les années 1950, les terres rares sont devenues progressivement indispensables à l’industrie de pointe. Aussi, elles jouent un rôle important dans le développement des énergies dites « vertes ». Pourtant, leur extraction pose des problèmes environnementaux, géopolitiques et sociaux. Les scientifiques tentent de répondre à la demande toujours plus élevée en terres rares, tout en essayant de créer des méthodes d’extraction plus respectueuses de l’environnement. Emilie Janots, enseignante-chercheuse à l’Université Grenoble Alpes au laboratoire ISTerre, nous éclaire sur les enjeux de l'utilisation de ces métaux.

« Les terres rares ne sont pas si rares. »

« Les terres rares ne sont pas si rares » affirme Emilie Janots. En effet, le terme peut porter à confusion : on pourrait penser que ces métaux sont encore plus exceptionnels que l’or ou le platine, très peu abondants dans la croûte terrestre. Mais il s’avère que la rareté de ce groupe de métaux aux propriétés voisines est bien plus similaire à celle du nickel ou du cuivre qu’à celle de métaux précieux comme l’or ou le platine.

Cette dénomination s’explique car les terres rares sont présentes partout sur Terre mais sont disséminées en très faible quantité, à l’inverse de certains métaux pour lesquels on retrouve des gisements massifs, avec une forte concentration de métal. Les terres rares sont un groupe d’éléments chimiques du tableau périodique. Elles ont des rayons atomiques et des comportements géochimiques similaires. Cela explique pourquoi on les retrouve toujours ensemble, dans les mêmes minéraux.

Tableau périodique des éléments chimiques - Les terres rares sont un groupe de métaux aux propriétés voisines comprenant le scandium, l’yttrium et les quinze lanthanides. © Wikipédia

Les nombreux usages des terres rares

Les terres rares sont utilisées dans de nombreux domaines des technologies de pointe : les éoliennes, les véhicules électriques, les smartphones ou encore dans l’armement comme pour les missiles. On les exploite également en raison de leur fonction de catalyseur, d’aimant mais aussi pour la métallurgie et le polissage. Cependant, chaque terre rare va avoir une application différente dans l’industrie. Par exemple, l’erbium est principalement utilisé pour les verreries, la fibre optique et le laser. Le samarium sert uniquement pour la fabrication des aimants permanents et des batteries. D’autre part, 70% du néodyme est utilisé dans les aimants des éoliennes. Ses propriétés magnétiques étant beaucoup plus puissantes que celles des anciens aimants, leur taille et leur poids en sont réduits. Cela permet ainsi d’optimiser le rendement des éoliennes. Aussi, malgré son abondance relative, ces propriétés font du néodyme la plus chère des terres rares légères. Que ce soit pour la métallurgie, les catalyseurs chimiques, les semi-conducteurs ou encore les ordinateurs et les systèmes audio, les terres rares ont de multiples usages dans de nombreux domaines.

Les luminophores sont des poudres luminescentes à base d'ions des terres rares introduits dans un réseau-hôte cristallin de types oxydes, phosphates, borates... Non excitées ces poudres sont blanches, sous excitation elles sont fluorescentes dans le visible. © François JANNIN/CNRS Photothèque

L’économie de marché des terres rares

Les terres rares sont un élément important dans la production industrielle actuelle. « Comme nous sommes dans une société qui ne cesse de produire, la demande en métaux ne cesse d’augmenter. » C’est également le cas pour la demande en terres rares qui augmente depuis 1950. Jusqu’aux années 1980, ce sont surtout les États-Unis qui dominent le marché de production de terres rares. Mais depuis 1995, c’est la Chine qui en a le monopole. Cela s’explique par une main d'œuvre moins chère, des gisements plus importants et des lois environnementales plus souples permettant à la Chine de faire baisser le prix de vente. Mais depuis une dizaine d’années, l’augmentation des prix de ces métaux fait ralentir légèrement l’augmentation de la demande. Les industriels se tournent alors vers d’autres métaux aux propriétés moins avantageuses mais dont les prix sont plus intéressants. « C’est une économie de marché. »

« Le prix d’une terre rare dépend de son application et de sa rareté. » Les plus onéreuses sont l’europium, le terbium, le dysprosium ou encore le lutécium, qui sont plus chères que l’argent, par exemple. L'europium, qui est très recherché pour les luminophores de tous nos écrans, peut valoir 10 000 €/kg. A l’inverse, le lanthane, qui est assez abondant et qui n’a pas de propriétés industrielles très intéressantes, va valoir moins de 100 €/kg. »

Les terres rares : une industrie particulièrement polluante

La création de sites d’exploration et d’exploitation minière est polluante de par la production de zones d’accumulation de déchets, qui ont des conséquences néfastes sur les environnements. Mais ce sont surtout leurs propriétés chimiques qui rendent l’exploitation des terres rares polluante. En effet, ces métaux ont la particularité d’être présents ensemble dans les gisements. Cela signifie qu’il faut les séparer pour les utiliser de manière isolée. L’extraction, le traitement et la séparation des terres rares sont très coûteux en énergie, en eau et en produits chimiques. De plus, « les gisements les plus importants ont environ 5% de terres rares, mais dans la plupart des cas, c’est plutôt 1% » précise la chercheuse. Cela explique la nécessité d’extraire énormément de roches pour avoir une maigre quantité de terres rares en fin de processus. À cela, Emilie Janots ajoute que « les terres rares ont un rayon ionique proche de ceux d’éléments radioactifs comme l’uranium et le thorium. C’est pourquoi on les retrouve souvent dans les minéraux qui contiennent des terres rares créant ainsi des déchets radioactifs. » Creuser de nouvelles mines de terres rares implique également la destruction des milieux naturels et de leur biodiversité. Creuser dans le sol et y déverser des produits chimiques entraîne la dégradation de la qualité de l’eau et des nappes phréatiques. Ces pollutions sont problématiques pour les ouvriers qui, parfois, ne disposent pas d’équipement adapté, et pour les habitants qui voient leur état de santé décliner.

Mine de Mountain Pass en 2010 © AlanM1

« D’après le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la consommation de terres rares va augmenter d’environ 8% par an avec l’augmentation de la production d’éoliennes et de voitures électriques et hybrides » affirme la scientifique. Pour l’instant, les industriels extraient les terres rares des mines présentant les plus fortes concentrations. Quand celles-ci seront épuisées, ils se rabattront sur d’autres mines contenant moins de terres rares. Ainsi, les roches du fond de l’océan pourraient être envisagées. Elles sont plus riches en terres rares que la moyenne des roches continentales. Pourtant, leurs concentrations en terres rares restent bien moins élevées que celles des gisements actuels. « Aujourd’hui, nous n’avons ni les méthodes, ni les moyens, ni le besoin d’aller exploiter les terres rares au fond des océans. Mais si un jour cette exploitation devenait rentable, nous pourrions y chercher des terres rares. Ça pourrait devenir un enjeu mais ce n’est probablement pas un scénario qui aura lieu dans les prochaines années. » Cette exploitation minière de l’océan causerait cependant des problèmes de détérioration des fonds marins et mettrait en danger des espèces et des populations humaines qui dépendent de leur bon état. En effet, l’exploitation minière entraîne la création de panaches de particules sédimentaires qui ensuite se déposent sur la faune alentour modifiant ainsi les réseaux trophiques. Aussi, le passage des machines sur le fond de l’océan détruit les habitats et entraîne la disparition de la faune abyssale vivant au fond de l’océan et dans les premiers centimètres des sédiments. Également, des métaux lourds pourraient être intégrés aux réseaux trophiques, affecter les consommateurs secondaires et par conséquent l’espèce humaine. L’océan, à considérer comme une seule entité et non comme plusieurs étendues d’eau séparées, subirait partout les conséquences des changements se produisant au fond de l’océan.

Le paradoxe des terres rares

« Construire de nouvelles technologies nécessite des matériaux et des métaux. Dans le cas des éoliennes, qui sont des sources d’énergie peu émettrices de CO2, on a besoin d’avoir des terres rares dont l’extraction impacte en retour l’environnement. C’est ainsi que l’on aboutit à un paradoxe. » Une des solutions pourrait être de limiter la quantité extraite en se concentrant sur leur recyclage. Aujourd’hui, seul 1% des terres rares est recyclé. Cela est dû au fait qu’elles sont souvent présentes en petite quantité et qu’il est difficile de séparer les terres rares des autres métaux pour les recycler. Pour pousser les industriels à recycler les terres rares, il faudrait que ce processus devienne rentable.

« Penser que l’on peut avoir des énergies vertes sans déchets ou sans impact environnemental est aujourd’hui un leurre. » Dans le cadre de la transition énergétique, nos pays vont continuer à se tourner vers les « énergies vertes ». Nous allons donc continuer à avoir besoin de terres rares. La question importante sera de savoir comment recycler au maximum de terres rares pour limiter la création de nouveaux sites d’exploitation. La recherche doit également inventer de nouvelles manières d’extraire les terres rares pour limiter l’impact environnemental et les conséquences sur la santé humaine.

Lucie LEPRINCE          

Contact

Emilie Janots
Enseignante-chercheuse à l'Université Grenoble Alpes / Laboratoire ISTerre