Séismes : mieux comprendre le risque et réduire les dégâts

Décryptage Terre Solide

Août 2021 : puissants séismes en Haïti et en Alaska ; septembre : le Mexique et l’Australie tremblent ; octobre : c’est au tour de la Crète et de l’Andorre…  Les tremblements de terre sont un phénomène fréquent sur notre planète. Quelles sont les zones les plus sismiques du monde ? Peut-on prédire les séismes ? Comment protéger les populations de ces catastrophes naturelles ? Comment avance la recherche sur le risque sismique ? Avec l’aide des chercheurs Françoise Courboulex et Eric Calais, nous répondons à ces questions.

La sismicité dans le monde

Lorsqu’on regarde une carte de l’aléa sismique, on se rend compte que certaines zones du monde sont beaucoup plus exposées que d’autres. L’aléa sismique est la possibilité, pour un site donné et sur un temps donné – 50 ans par exemple – d’être soumis à un certain niveau de vibration du sol causé par un tremblement de terre. Cette répartition géographique s’explique simplement : plus un site est proche d’une faille (limite entre deux plaques tectoniques), plus son aléa est important. En outre, l’aléa augmente avec la vitesse de déplacement des plaques, qui peut aller jusqu’à près de 25 cm/an.

Carte de l’aléa sismique à travers le monde / Crédits : The Global Earthquake Model, Pagani et al. 2018

La magnitude (l’énergie du séisme) dépend, quant à elle, de la taille de la faille activée. Les plus gros séismes ont lieu dans les zones de subduction, là où une plaque plonge sous une autre.

« Les dégâts engendrés par un séisme ne dépendent pas uniquement de l’aléa sismique de la région, précise Françoise Courboulex, chercheuse au laboratoire Géoazur. La préparation du pays entre aussi énormément en jeu. » Le Japon et Haïti sont deux pays qui subissent fréquemment des séismes, mais, alors que chez le premier, les bâtiments sont construits selon des normes parasismiques et qu’il existe un système d’alerte précoce, le deuxième applique très peu de mesures de prévention. Ainsi, le séisme de magnitude 7,3 qui a eu lieu en février 2021 au large de Fukushima a fait 114 blessés. En comparaison, le séisme de magnitude 7,2 qui a touché Haïti en août 2021 a fait plus de 2 200 morts et 12 000 blessés.

Mieux comprendre le risque sismique

Pour réduire les dégâts matériels et humains, l’idéal serait, bien sûr, de pouvoir prédire les tremblements de terre afin d’indiquer à l’avance le lieu, la date et l’intensité avec laquelle le sol va trembler. Mais, bien que de nombreux chercheurs dans le monde travaillent sur ce sujet, la prédiction n’est pas encore d’actualité. En effet, les séismes sont dus à des processus complexes en profondeur et ne peuvent donc pas être observés directement, contrairement aux phénomènes météorologiques par exemple. De plus, le comportement des failles est non linéaire et donc difficile à prédire de manière déterministe. « Certaines études prétendent pouvoir prédire les séismes grâce à des signes avant-coureurs comme le changement de comportement de certains animaux ou des signaux électromagnétiques, révèle Eric Calais, chercheur au laboratoire de géologie de l'École normale supérieure (LG-ENS). Mais il ne s’agit que de corrélations et on ne peut, en réalité, rien déduire de ces signes. »

« Par contre, on évalue de mieux en mieux le risque sismique (la probabilité qu'un séisme engendre des destructions et fasse des victimes) et on appréhende donc plus précisément le danger, déclare Françoise Courboulex. On a de plus en plus de données satellitaires et terrestres à notre disposition et leur analyse ouvre de nouveaux champs d’étude qui conduisent à l’acquisition de nouvelles données etc. ». Certains chercheurs reproduisent des séismes en laboratoire, d’autres misent sur des méthodes statistiques en espérant, à force d’observer une zone, pouvoir se faire une meilleure idée de la fréquence des séismes, et d’autres, encore, tentent d’identifier les premiers signaux, en s’aidant, parfois, de techniques d’intelligence artificielle. Ils ont ainsi découvert que l’initiation d’un séisme peut s’accompagner de micro-émissions acoustiques et de changements de signaux de gravité. Si détectés à temps, ces phénomènes pourraient permettre une alerte précoce dans les zones à risque.

Pour améliorer ces détections, une piste prometteuse est l’utilisation des fibres optiques. Une équipe de sismologues du laboratoire Géoazur à Nice mène des études novatrices, en particulier sur les câbles sous-marins.  Le principe est simple : un signal est envoyé en continu dans la fibre optique et lorsqu’un séisme se déclenche, il crée des vibrations dans la fibre qui vont modifier ce signal. « Cette application n’est pas encore opérationnelle mais on sait qu’elle fonctionne et qu’elle va révolutionner l’enregistrement des séismes », déclare Françoise Courboulex. En effet, il existe déjà, pour la télécommunication mondiale, un important réseau sous-marin de câbles en fibre optique qui pourrait être exploité par les scientifiques.

Carte mondiale du réseau de câbles sous-marins en fibre optique / Crédits : TeleGeography

Autre découverte récente : certaines failles bougent et provoquent des séismes lents qui durent plusieurs jours voire semaines mais n’émettent pas d’ondes sismiques. Ces mouvements ne pouvant être enregistrés par des sismomètres, ils ont été repérés grâce à la géodésie spatiale (étude par satellite des mouvements de la surface terrestre). En effet, les mouvements des failles en profondeur déforment la surface de la Terre et peuvent donc être détectés par géodésie. Les mécanismes de ces séismes lents sont un sujet d’étude majeur car il est crucial de comprendre s’ils permettent d’empêcher les séismes destructeurs dans une zone ou si, au contraire, ils les favorisent.

Sciences participatives : une nouvelle approche en Haïti

« Si on n’est pas encore capable de faire de la prédiction, on peut néanmoins faire de la prévention ! », rappelle Eric Calais. C’est pour améliorer ce volet en Haïti qu’il a lancé le projet Osmose. « Traditionnellement, ce sont les sismologues qui fournissent de l’information aux citoyens et aux décideurs, explique-t-il. L’objectif général d’Osmose est de sortir de cette approche top-down en faisant participer tout le monde à la collecte de connaissances. On espère ainsi développer une réelle prise de conscience du risque sismique et une envie de se protéger. » Une grande diversité de chercheurs – sismologues, sociologues, anthropologues, philosophes et spécialistes des religions – vont travailler ensemble pour mieux comprendre comment la science et les risques sont perçus par la population. Sur le plan technique, des sismomètres à très faible coût et ne nécessitant pas de maintenance sont installés dans les maisons de citoyens volontaires. Le projet commence officiellement au 1er janvier 2022 mais depuis 2019, le projet pilote "socio-sismologie du risque en Haïti"(CNRS/IRD) a permis de valider l’approche et la technologie grâce à l’installation d’une douzaine de capteurs. Ce réseau, baptisé “Ayiti-séismes”, a ainsi pu fournir des données inédites lors du tremblement de terre du 14 août 2021 et compléter les informations enregistrées par les satellites, radars et sismomètres professionnels.

Le séisme du 14 août 2021 a détruit de nombreux bâtiments à Haïti, dont l’église de Saint Anne à Chardonnières. / Crédits : Reginald Louissaint Jr / AFP via Getty

Eric Calais espère pouvoir installer une cinquantaine de sismomètres supplémentaires durant le projet. « Les volontaires ne manquent pas, déclare-t-il, et ils ont une réelle envie d’aider leur pays et de participer à une entreprise scientifique. C’est très encourageant. » Ces instruments sont installés dans les maisons, à un endroit qui ne gêne pas, et sont donc beaucoup plus sujets au bruit de l’environnement que les stations conventionnelles enterrées. Pas de risque, toutefois, de fausse alerte puisque l’onde produite par un séisme est très caractéristique et sera forcément détectée par plusieurs stations simultanément. Ayiti-séismes, qui met à disposition ses données en temps réel, est capable de détecter tous les séismes d’une magnitude supérieure à 2,5 et a ainsi considérablement augmenté le nombre de tremblements de terre détectés. « En 2010, lors du dernier gros séisme, il n’y avait pas de station sismique en Haïti, rappelle Eric Calais. On avait donc, jusqu’alors, une vision très simpliste du paysage sismique. » Les données acquises pendant le séisme de 2021, ainsi que la micro-sismicité plus quotidienne commencent à faire apparaitre de nouveaux mécanismes et suggèrent l’existence de nouvelles failles. La première étape va être d’améliorer la carte de l’aléa sismique de la région. Parallèlement à cela, l’équipe d’Osmose va travailler à sensibiliser la population sur la question des bâtiments. « Le problème en Haïti c’est qu’il y a énormément de constructions non déclarées, souligne Eric Calais. Celles-ci ne respectent pas les normes et n’ont aucune chance de résister à un séisme de forte magnitude. Pourtant, même pour ce type de constructions, il y a des techniques parasismiques simples, comme la maçonnerie chaînée, qui peuvent être facilement enseignées aux maçons. » Pas de difficulté particulière pour la mise en place d’Osmose, mis à part les problèmes quotidiens du pays comme les coupures d’électricité. « C’est inhérent à la nature du projet », relativise Eric Calais dont la génératrice de courant est d’ailleurs en panne au moment de cette interview.

 

Marie Perez