Photographie aérienne du glissement de terrain d'Orville-Wilbur (Alaska)
Photographie aérienne du glissement de terrain d'Orville-Wilbur (Alaska) dont la date exacte d’occurrence a pu être déduite grâce à une détection sismologique. © Marten Geertsema, Ministry of Forests, Lands, Natural Resource Operations and Rural Development (Canada)

Augmentation significative du nombre de glissements de terrain en Alaska depuis le début des années 2000

Résultat scientifique Surfaces continentales

Une équipe franco-canadienne1 a étudié les glissements de terrain, qui se sont produits en Alaska entre 1995 et 2017, à partir d’enregistrements sismologiques permettant de les détecter sur de grandes distances. Les chercheurs ont mis au point des algorithmes novateurs d’apprentissage machine pour analyser les chroniques de données enregistrées en continu par 243 sismographes déployés dans cette région du monde. Ils ont ainsi pu établir qu’en Alaska, le nombre de glissements de terrain est en constante augmentation depuis le début des années 2000, une augmentation qui pourrait être potentiellement corrélée à l'augmentation annuelle de la température moyenne.

  • 1Les institutions impliquées sont l’Institut de physique du globe de Strasbourg (IPGS/EOST, CNRS / Unistra) et l’Université de Colombie-Britannique.

L’impact des glissements de terrain récents de Nuugaatsiaq (Groenland) et de Taan-Tyndall (Alaska) en hautes latitudes et de l’augmentation de l’activité gravitaire aux hautes altitudes (comme sur le versant des Drus dans le massif du Mont Blanc) démontre la menace que ces événements peuvent représenter pour l'activité humaine.
L’augmentation des précipitations, le retrait des glaciers et le dégel du pergélisol sont des facteurs importants de la déstabilisation des versants. Plusieurs questions se posent alors : les modifications climatiques observées actuellement, par leurs impacts sur ces facteurs, peuvent-elles avoir un effet à long terme sur l'activité des glissements de terrain dans ces régions ? Allons-nous, dans les prochaines décennies, observer davantage de glissements de terrain catastrophiques ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de produire et d’analyser des catalogues exhaustifs de glissements de terrain, couvrant une longue période temporelle et une vaste étendue spatiale. Cependant, il est difficile de quantifier les effets des forçages météorologiques à long terme sur l'activité des glissements de terrain : en effet, ces régions sont souvent inaccessibles et les observations par télédétection satellitaire ne permettent de cartographier les glissements de terrain qu’à faible résolution temporelle (semaines, mois, années), ce qui empêche la compréhension des liens entre déclenchements de glissements de terrain et évolutions climatiques à court et long terme.
En revanche, les ondes générées par les instabilités gravitaires de grande ampleur sont détectables sur les signaux sismologiques, ce qui permet un enregistrement continu de leur activité à distance et sur de grands territoires. Cependant, les signaux sismiques générés par les glissements de terrain représentent une faible proportion de tous les signaux sismiques enregistrés par les réseaux de capteurs.

Pour effectuer une exploration systématique des données sismologiques prises en continu sur plusieurs décennies par des réseaux de mesure dense, il est donc nécessaire d’utiliser des méthodes numériques d’exploration de ces données massives. Cette approche a été développée par une équipe franco-canadienne associant des chercheurs de l’IPGS et de l’Université de Colombie-Britannique qui ont mis en œuvre des algorithmes novateurs d’intelligence artificielle adaptés aux enregistrements sismologiques. Une première implémentation de cette approche a permis aux chercheurs de construire un catalogue instrumental de glissements de terrain pour l’Alaska sur une période de 22 ans (de 1995 à 2017) à partir de données enregistrées en continu par 243 stations sismologiques.

L’algorithme, optimisé pour un environnement de calcul haute performance, a permis de détecter plus de 5 000 nouveaux évènements par rapport à ceux déjà répertoriés.
Les chercheurs ont ainsi pu mettre en évidence une augmentation significative du nombre de glissements de terrain au cours du temps, depuis le début des années 2000. Les analyses statistiques qu’ils ont menées indiquent que la densification des réseaux de surveillance ne peut, à elle seule, expliquer cette augmentation. Ils ont montré qu’il existait potentiellement une corrélation entre l'augmentation annuelle de la température moyenne et l'augmentation du nombre de glissements de terrain à l'échelle de tout l’Alaska : les années les plus chaudes sont en effet celles pour lesquelles une forte activité gravitaire est observée. Cette corrélation est cependant complexe et le rôle distinct ou cumulatif des précipitations, du retrait des glaciers ou de la fonte du permafrost n’a pas encore pu être étudié. Une caractérisation plus fine de l’activité gravitaire, qui passe notamment par une localisation précise des 5 000 évènements, permettra d’étudier dans le futur les liens de causalité entre ces facteurs environnementaux et l’activité gravitaire à des échelles plus locales.

Illstration scientifique  du nombre de glissements de terrain détectés par année.
Nombre de glissements de terrain par année détectés par au moins 2 (noir), 3 (bleu), 5 (orange) et 10 (rouge) stations sismologiques déployées en Alaska.

L’application de techniques d’apprentissage automatique aux observations sismologiques constitue une avancée prometteuse pour l’étude des processus environnementaux aux échelles régionales, tels que les glissements de terrain, mais aussi les phénomènes de vêlage d’icebergs ou le déclenchement possible de glissements sous-marins. L’approche permet aussi de revisiter les observations sismologiques anciennes pour créer des chroniques d'événements sur de longues périodes.

Financement

L’étude a été financée dans le cadre du projet ANR « HydroSlide – HYDRO-geophysical observations for an advanced understanding of landSLIDES » et avec le soutien d’un financement CNRS-INSU au travers du programme TelluS. Les ressources de calcul du Mésocentre/Datacenter de l’Université de Strasbourg ont été utilisées.

Source

Hibert, C., Michéa, D., Provost, F., Malet, J.-P., & Geertsema, M. (2019). Exploration of continuous seismic recordings with a machine learning approach to document 20 years of landslide activity in Alaska. Geophysical Journal International, 219(2), 1138-1147.

Contact

Clément Hibert
EOST/IPGS