Impact du réchauffement climatique sur la feuillaison des forêts boréales eurasiennes

Grâce à leurs travaux, des chercheurs issus de laboratoires français (1), anglais, japonais et russes ont pu cartographier précisément et à grande échelle, à l'aide de données satellitaires, la date d'apparition des feuilles des forêts boréales. En comparant ces résultats aux données disponibles pour la période située avant 1982, ils ont mis en évidence une avancée - sans précédent depuis 1921 - de la feuillaison, apparue entre 1987 et 1990 sur une très large portion de l'Eurasie boréale et due à l'augmentation remarquable de la température printanière. Ces travaux publiés dans le numéro de mars de Global Change Biology permettent de mesurer les effets du réchauffement climatique sur ces forêts.

La phénologie étudie les variations, en fonction du climat, des phénomènes périodiques de la vie végétale. Dans cette étude, les chercheurs se sont particulièrement intéressés à la date d'apparition des feuilles des forêts boréales. Dans l'hémisphère nord, aux hautes latitudes, la feuillaison dépend essentiellement de la température. C'est donc un témoin direct du réchauffement climatique observé au cours du XXe siècle, qui est particulièrement marqué dans ces régions. Elle rythme en outre les échanges de carbone entre la végétation et l'atmosphère, lesquels ont un impact sur le climat.

La forêt boréale en Sibérie. © CESBIO.
Avant 1982, deux techniques permettaient d'analyser les variations temporelles de la feuillaison : la modélisation à partir des mesures météorologiques, peu précise, et les mesures sur le terrain, qui permettent une analyse plus précise, mais uniquement à l'échelle locale. En 1982, les observations spatiales (télédétection) nécessaires à ce type d'étude ont débuté. Depuis lors, de nombreux travaux basés sur ces observations ont montré que les feuilles des forêts caduques des régions boréales avaient tendance à apparaître de plus en plus tôt en raison du réchauffement. Cependant, ces mesures ne donnaient que des tendances grossières, très moyennées dans l'espace et le temps.

Tendance sur 20 ans (1982-2002) des variations (en jours) de la date d'apparition des feuilles obtenues par télédétection (en haut) et par modélisation (en bas). Les couleurs indiquent la tendance de la date de feuillaison : plus on va vers le rouge, plus la date d'apparition des feuilles est avancée par rapport au début de la période étudiée, plus on va vers le bleu, plus elle est retardée. On observe une avancée de la date d'apparition des feuilles - 5 jours en moyenne -, plus forte en Russie de l'Ouest et en Sibérie centrale. © CESBIO.
Dans leurs travaux publiés dans Global Change Biology, les chercheurs ont affiné leur interprétation des données satellites (2), notamment en prenant en compte l'effet de la neige sur le signal radiométrique (3). Ils ont également étalonné leur modèle d'apparition des feuilles basé sur la température, permettant aux observations spatiales et à la modélisation d'être en excellent accord.
Ils ont ainsi pu montrer que l'avancée globale de la feuillaison est, en moyenne de 1982 à aujourd'hui et sur l'ensemble de l'Eurasie boréale, de l'ordre de 5 jours, mais que les variations de la date d'apparition des feuilles depuis 1982 ne sont ni linéaires dans le temps, ni identiques sur toute la région : l'avancée de la feuillaison est accentuée entre 1987 et 1990 et plus marquée en Sibérie Centrale.

Variations de la date d'apparition des feuilles en Sibérie centrale depuis 1920, obtenues par télédétection (vert), par modélisation sur les données de température de réanalyse (rouge) et issues de stations météorologiques (orange), et par mesure in situ (violet, bleu clair, bleu nuit).
Outre l'amélioration des méthodes, l'originalité de l'étude a consisté à étudier l'évolution de la feuillaison sur l'ensemble du XXe siècle, en comparant ces nouveaux résultats à ceux concernant la période située avant 1982 et obtenus à l'aide des données sur le terrain et de modélisation.
La forte avancée observée entre 1987 et 1990 en Sibérie Centrale a été reliée à deux événements :
  • une température printanière anormalement élevée dans les années 1990, l'apparition des feuilles en Sibérie Centrale ayant été la plus précoce depuis 1921,
  • une température printanière particulièrement basse en 1983 et 1984 dans cette région, l'apparition des feuilles durant ces deux années ayant été la plus tardive depuis 1921,

des résultats qui confirment que les tendances observées par télédétection doivent être analysées avec précision.
Plus tôt dans le siècle, l'Eurasie boréale a connu d'autres périodes de réchauffement durant lesquelles les feuilles sont apparues de plus en plus tôt (par exemple entre 1936 et 1944 en Sibérie Centrale et à plusieurs reprises en Russie de l'Ouest), ainsi que des périodes de refroidissement se traduisant par un retard progressif de l'apparition des feuilles (notamment entre 1945 et 1960 en Sibérie centrale et orientale). Cependant, ces tendances se produisaient toujours à une échelle locale ou régionale.

L'avancée récente de la feuillaison, observée par télédétection, est donc remarquable par rapport aux événements similaires qui se sont produits depuis 1921 dans la mesure où elle a simultanément affecté la majeure partie de l'Eurasie boréale et où elle a conduit à des dates d'apparition des feuilles qui sont les plus précoces sur presque un siècle dans la région. Du point de vue du réchauffement climatique, elle indique une augmentation à grande échelle de la température printanière au cours de cette période, température qui se maintient depuis.