Mathilde Cannat reçoit la médaille d'argent 2009 du CNRS

Prix et distinction

Après un mois passé en mer, au milieu de l’Atlantique, suivi de trois jours de colloque à Paris, Mathilde Cannat retrouve son petit bureau de l’Institut de physique du globe (IPGP1) à Jussieu et l’équipe de géosciences marines qu’elle dirige. Bien qu’elle en soit à sa vingtième mission, l’atterrissage est un peu rude : à peine le temps de ranger ses affaires, un cours et une réunion l’attendent, sans parler de notre interview. La lauréate de la médaille d’argent, internationalement connue pour ses travaux sur l’accrétion océanique, se présente simplement comme « une géologue, même si le terme est un peu suranné ! ». Ce qui prouve que la géologie n’est pas un métier de tout repos, d’autant que, quand on étudie la Terre à 6 000 m au fond des océans, les choses se compliquent, les techniques deviennent plus sophistiquées, géophysique et géochimie s’en mêlent inévitablement.

Elle a proposé un modèle de croûte océanique « lente » qui, dix ans après, reste un modèle de référence.

Mais revenons à son parcours. Comme beaucoup de spécialistes de la lithosphère et des dorsales océaniques, Mathilde a fait ses premières armes en étudiant les ophiolites, en l’occurrence celles des Klamath Mountains en Californie, sous la direction d’Adolphe Nicolas et de Françoise Boudier, à l’université de Nantes. En 1983, à 26 ans, elle obtient son doctorat, fait un postdoc à l’université de Durham (Angleterre), entre au CNRS en 1986, dans l’unité Géosciences marines de Brest. Après une HDR, elle rejoint en 1992 une équipe de Paris 6. En 2001, elle forme à l’IPGP, avec quelques collègues, une nouvelle équipe de géosciences marines dont elle prendra la direction en 2008.

Mathilde Cannat est une spécialiste de l’accrétion océanique, c’est-à-dire la formation d’une nouvelle croûte à l’axe des dorsales océaniques. C’est par ce mécanisme fondamental, découvert dans les années soixante, que l’Atlantique s’élargit par exemple chaque année de 2 à 3 cm2 et que s’accomplit la tectonique des plaques. En trois articles percutants, publiés entre 1993 et 1996, elle a proposé un modèle de croûte océanique « lente » qui, dix ans après, reste un modèle de référence. Il intègre la remontée tectonique de roches du manteau et de la croûte profonde comme une caractéristique du fonctionnement normal des dorsales lentes et ultra-lentes ; il fait appel à de grands cisaillements pour remonter des péridotites depuis le manteau jusqu’à l’affleurement. Depuis, les études géophysiques menées sur ces dorsales ont confirmé ce modèle et montré les effets d’une lithosphère axiale épaisse sur le magmatisme.

Un nouveau chantier d’études s’est donc ouvert, difficile d’accès. Les méthodes ne sont pas celles de la géologie classique : pas de cartographie aérienne ni d’imagerie satellitaire. L’observation directe par submersible se fait dans l’obscurité complète. Mathilde, qui a participé à dix-sept plongées dans le Nautile, dans des profondeurs où affleurent les roches du manteau, explique comment les méthodes indirectes et les progrès des outils - cartographie du relief, sondeurs multifaisceaux - ont changé radicalement la vision du modèle des dorsales lentes. « On aboutit à une configuration qui évoque par ses reliefs la chaîne des Alpes ! » Une géologie composite se dessine, confirmée notamment par les forages de l’Ocean Drilling program, dans laquelle roches et fluides interagissent. Ainsi la réaction de l’eau
de mer ou des fluides hydrothermaux avec les péridotites conduit à la serpentinisation, un phénomène qu’elle étudie activement aujourd’hui, dans l’Atlantique et sur la dorsale sud-ouest de l’océan Indien.

Mathilde travaille sur deux chantiers :

  • La poursuite de la mise en place de l’Observatoire fond de mer MoMAR (Monitoring the Mid-Atlantic Ridge) sur la dorsale atlantique3 « L’observation des grands fonds océaniques, avec des outils encore à l’état de prototypes, fait partie des grands défis du siècle au même titre que l’exploration de l’espace. »
  • L’étude des relations entre exhumation mantellaire et hydrothermalisme dans les dorsales lentes et les marges continentales. Les marges, ces zones où commence l’ouverture des océans, font l’objet d’un programme ANR qu’elle conduit, en collaboration avec des collègues universitaires et du monde pétrolier4.

Ce qui la passionne : la connaissance intime de la Terre, les liens entre roches et fluides, entre géosphère et biosphère.

Ce qui la passionne : la connaissance intime de la Terre et, en particulier, les liens entre roches et fluides, entre géosphère et biosphère. « Ma spécialité, c’est la géologie de terrain ! » dit-elle en souriant. Mais aussi le sens de l’organisation : elle a su diriger des expéditions en mer et déployer une énergie considérable pour structurer en France les géosciences marines et donner à cette jeune discipline une très forte image au niveau international. Ses combats : la défense de cette planète dont elle connaît si bien les remous intérieurs, et, plus étonnant chez cette gagnante, figure de proue de la communauté océanique française, la défense de la parité. « Les femmes ne sont pas assez écoutées dans les instances scientifiques », regrette-t-elle. Gageons que Mathilde va les aider à se faire entendre.

Notes

 

  1. Institut de physique du globe de paris (IPGP) : IPGP / CNRS / Universités Pierre et Marie Curie Paris 6 et Denis Diderot Paris 7 / Université de la Réunion
  2. L’accrétion peut être rapide, c’est le cas dans la dorsale du Pacifique où elle atteint 16 cm par an.
  3. Près des Açores, où, depuis la campagne Graviluck de 2006, des instruments installés au fond enregistrent les effets de l’activité tectonique et volcanique de la dorsale.
  4. Ces zones intéressent les pétroliers car elles sont susceptibles de contenir des hydrocarbures.