Suivre l'eau dans la zone critique : le projet CZ-TOP

Décryptage Surfaces continentales

Concept proposé en 2001 par le National Research Council, la zone critique désigne l’espace au sein duquel s’épanouit la vie sur notre planète. Entre ciel et terre, depuis la basse atmosphère jusqu’à la roche-mère, elle est comme un vase clos où l’eau, les gaz et les minéraux circulent, interagissent et se transforment pour constituer notre environnement. Rien de nouveau bien sûr, au regard des savoirs déjà élaborés par de nombreuses disciplines scientifiques – hydrologie, géologie, biologie, météorologie, géochimie, et j’en passe –, si ce n’est que ce nouveau terme rend sensible la nécessité de faire dialoguer entre elles ces différentes spécialités. Pour le dire autrement : la symphonie sophistiquée de la nature se regarde au microscope, se dissèque sur les paillasses des chercheurs, s’analyse, s’examine, se scrute note à note… mais pour la comprendre il faut aussi prêter l’oreille à ses mouvements dans leur globalité. A ce titre, notre connaissance de la zone critique reste très parcellaire. Parce que les sciences modernes sont très spécialisées d’une part et que cette approche holistique est nouvelle, mais également parce que cet ensemble conjugue une multitude de phénomènes qui s’écoulent sur des échelles de temps et de grandeur très variées, ce qui complique son observation.                    

En France, l’étude de la zone critique s’organise

Si l’idée a germé aux Etats-Unis, la France n’est pas en reste dans la constitution de ce nouveau champ de recherche. Pour mieux comprendre cette zone critique au sein de laquelle nous vivons, il faut des observatoires pluridisciplinaires. Ainsi, en 2016, l’infrastructure OZCAR (Observatoire de la Zone Critique, Application et Recherches) a vu le jour, réunissant et coordonnant les acteurs de la recherche publique investis dans ce domaine.

Au vu de l’étendue et de la complexité de cette zone critique, la collaboration entre les disciplines est cruciale, et la coopération entre les pays ne l’est pas moins. En 2017, suite au retrait annoncé du gouvernement américain de l’Accord de Paris, le gouvernement français a lancé le programme « Make Our Planet Great Again » :  un appel aux chercheurs étrangers travaillant sur des projets de recherche scientifique en lien avec le changement climatique pour les inviter à venir poursuivre leurs travaux en France. Ce programme a été pour Louis Derry, professeur au sein de l’Université de Cornell et directeur du bureau national des observatoires de la zone critique aux Etats-Unis, l’opportunité de retourner travailler en France, plusieurs années après son post-doctorat au Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques de Nancy.

Son projet de recherche s’est construit sur l’expérience déjà constituée des réseaux français d’observation de l’infrastructure OZCAR, ainsi que sur les données rassemblées sur les bassins versants par le programme CRITEX. Piloté par le CNRS, ce programme a pour objectif d’équiper les chercheurs d’instruments innovants pour examiner la zone critique.

 

Le projet CZ TOP, entre hydrologie, géochimie isotopique, écologie et modélisation

Louis Derry est accueilli pour cinq ans au sein de l’Institut de Physique du Globe de Paris, dans l’équipe de Géochimie des enveloppes externes dirigée par Jérôme Gaillardet, également coordinateur de l’infrastructure OZCAR et du programme CRITEX. En quelques mots, son projet consiste à étudier les réactions de la zone critique face au changement climatique, en se concentrant plus spécifiquement sur le traçage isotopique des écoulements au sein des bassins versants.

Au regard de nos connaissances actuelles, les conséquences du changement climatique sur cet entrelacement complexe de réactions entre eau, gaz et minéraux que constitue la zone critique sont peu prévisibles. Le projet CZ TOP – Critical Zone Isotope – sur lequel travaille Louis Derry a pour objectif d’évaluer l’impact du changement climatique sur le trajet des rivières et la qualité de leur eau. Pour ce faire, le chercheur navigue au croisement de plusieurs disciplines : la modélisation, l’hydrologie, la géochimie isotopique, ou encore l’écologie. Partant des mesures en rivière fournies par CRITEX, il confronte ces dernières à différents modèles pour mieux comprendre comment et par quels chemins l’eau s’infiltre dans le sol, ou encore quelles transformations chimiques elle subit au contact des minéraux présents dans la terre. Il s’intéresse tout spécifiquement au rapport isotopique des éléments chimiques retrouvés dans l’eau, qui sont autant d’indices permettant de retracer l’histoire de ces éléments chimiques, et donc celui de l’écoulement de l’eau qui les contient.   

 

Un projet nécessaire

Le programme Make Our Planet Great Again invitait les chercheurs à travailler sur le sujet du changement climatique, et de nombreux projets lauréats étaient des recherches portant spécifiquement sur le climat. Le projet de Louis se démarque quelque peu de ce fil directeur, mais il n’en est pas moins un travail indispensable. On sait que le climat change : il faut maintenant en prévoir les conséquences, pour pouvoir s’adapter, anticiper la réaction de nos territoires à cet évènement majeur et prendre les bonnes décisions au moment voulu.

Depuis ce premier appel à projet, le programme n’a pas perdu de sa popularité auprès de la communauté internationale. En janvier 2022, 40 bourses seront attribuées à des jeunes chercheurs dont les travaux s’inscrivent dans une approche « One Health » ou « une seule santé » en français. Ce concept fait état de la prise en compte des liens étroits qui unissent la santé humaine, la santé animale et l’état écologique, et met en lumière la nécessité d’une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires.

Ce thème fait bien évidemment écho à la pandémie de COVID-19, et plus largement à la crise écologique. Comme Louis Derry et Jérôme Gaillardet en font l’expérience au sein de leur propre champ de recherche, nombre de scientifiques sont aujourd’hui rattrapés par l’urgence écologique et sanitaire dans laquelle nous nous trouvons. Comprendre le monde n’a jamais été aussi important.

 

Propos recueillis par Ariane Mureau

Contact

Jérôme Gaillardet
Institut de physique du globe de Paris (IPGP)
Louis Derry
Institut de physique du globe de Paris (IPGP)