Antibiorésistance et environnement : l’approche des sciences de la Terre

Décryptage Surfaces continentales

La découverte des antibiotiques par Fleming en 1928 a été un événement majeur dans la lutte contre les maladies infectieuses. Mais aujourd’hui, les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques, un processus susceptible de provoquer des impasses thérapeutiques. Dans quelle mesure l’environnement est-il impliqué dans l’émergence et la circulation des bactéries antibiorésistantes. Fabienne Petit, enseignante-chercheure à l’Université de Rouen-Normandie, au sein du laboratoire M2C et microbiologiste spécialisée dans la dissémination de l’antibiorésistance dans l’environnement aquatique, nous éclaire sur cet enjeu actuel et sur l’apport des sciences de la Terre et de l’environnement à cette problématique de santé publique.

Qu’est-ce que l’antibiorésistance et comment se développe-t-elle ?

L’antibiorésistance correspond au phénomène de résistance des bactéries aux antibiotiques.

Pour comprendre ce phénomène, il convient de se rappeler que dans l’environnement, les communautés bactériennes exposées à des concentrations toxiques en contaminants chimiques ont développé différent mécanismes de résistance, notamment au niveau génétique. Ainsi à l’échelle de la cellule, la dérégulation des mécanismes qui assurent la fidélité de copie de leur génome permettra d’augmenter la fréquence de mutations spontanées, dont celles conférant une résistance au contaminant, alors qu’à l’’échelle de la population - voire des communautés- bactériennes, le transfert de gènes entre bactéries favorisera l’émergence de souches résistantes.  Au sein d’une niche écologique, les contaminants, dont des antibiotiques, exercent alors ce qu’on appelle une pression de sélection,  qui explique l’émergence des bactéries résistantes.

Quelles sont les conséquences de l’antibiorésistance ?

Lorsque l’on ne peut pas recourir aux antibiotiques et en l’absence de vaccins, c’est l’impasse thérapeutique. Cela signifie qu’il n’y a plus de possibilité de lutter contre la multiplication des bactéries pathogènes dans l’organisme humain ou animal. Les conséquences sont majeures en termes de santé publique. Selon une revue récente du journal Lancet, les scientifiques ont estimé que, pour l’année 2019, à l’échelle mondiale, la mortalité directe due à l’antibiorésistance était de 1,25 million de personnes et la mortalité indirecte (correspondant à la surinfection de patients atteints d’une autre pathologie) était de 4,95 millions de personnes. C’est pourquoi, aujourd’hui, on parle de pandémie silencieuse.

Quelle est la relation entre antibiorésistance et environnement ?

L’étude de l’ADN ancien extrait d’archives sédimentaires et datant de plus de 30 000 ans, a démontré l’existence de gènes bactériens impliqués dans la synthèse d’antibiotiques ou conférant la résistance aux antibiotiques. Ainsi les antibiotiques sont présents naturellement dans l’environnement, et ce bien avant l’apparition de l’Homme. Aujourd’hui, le sol est un environnement qui présente un immense potentiel, car il s’y développe des microorganismes producteurs d’antibiotiques inconnus. En termes d’écologie microbienne, le rôle de ces molécules, à des concentrations bien plus faibles que celles utilisées en médecines, humaine ou animale, reste encore méconnu. Plusieurs hypothèses sont émises : serait-ce un moyen de communication entre bactéries ? Ou bien serait-ce une manière de sélectionner ou d’exclure des espèces bactériennes pour mieux coloniser une niche écologique ?

Actuellement, une démarche intégrative, appelée One Health (Une seule santé) , conduit à étudier les interactions complexes entre l’être humain, les animaux et l’environnement qui, ensemble, régissent l’émergence et la circulation des bactéries antibiorésistantes et des gènes correspondant. Ce concept a été mis en place, sous l’égide de l’ONU, par trois institutions internationales : l’OMS, l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et l’Organisation mondiale de la santé animale. Aujourd’hui, cette approche mobilise, autour de projets communs, des scientifiques impliqués dans cette problématique, chez l’Homme, l’animal et plus récemment l’environnement !

Dans l’environnement, l’enrichissement du résistome1  des différents compartiments de l’environnement (eaux, sols, sédiments) est corrélé à l’occupation des sols et aux pratiques en termes de prescriptions en santé humaine et animale. Ainsi, à l’échelle d’un bassin versant, la présence de zones urbaines, d’hôpitaux, d’élevages intensifs ou d’aquacultures s’accompagne d’une contamination de l’environnement en antibiotiques, bactéries résistantes aux antibiotiques et des gènes correspondants. Dans ces l’environnements, deux risques pour la santé publique sont alors identifiés. Le premier est le transfert de nouveaux gènes de résistance aux antibiotiques de bactéries de l’environnement à des souches potentiellement pathogènes pour l’Homme, voire les animaux. Le second risque serait un transfert de gènes de résistance de bactéries d’origine clinique à des bactéries pathogènes opportunistes et présentes dans l’environnement (comme les Pseudomonas et les Aeromonas).

  • 1 ensemble des gènes conférant la résistance aux antibiotiques.
Antibiogramme de gélose montrant le phénotype de résistance aux antibiotiques de la souche épidémique AYE (d'Acinetobacter baumannii", une bactérie opportuniste est responsable d'un nombre croissant d'infections nosocomiales ultra -résistantes. © Pierre-Edouard FOURNIER/CNRS Photothèque

En quoi l’approche des sciences de la Terre et de l’environnement est intéressante concernant l’étude de l’antibiorésistance ?

Le changement climatique s’accompagne  d’une augmentation de la fréquence et/ou de l’intensité des évènements climatiques extrêmes. Ainsi, en quelques heures, une rupture des canalisations d’une station d’épuration des eaux usées, ou encore le ruissellement de l’eau  sur des sols amendés, peut contaminer les milieux aquatiques et exposer les populations humaines et animales à une contamination par des bactéries résistantes aux antibiotiques. De même les périodes de canicule génèrent de nouveaux risques liés à de nouveaux usages, comme la baignade dans des rivières urbaines où la contamination par des bactéries résistantes aux antibiotiques est avérée. L’approche de l’INSU permet d’appréhender cette problématique de santé, en intégrant l’impact du changement climatique dont les évènements extrêmes.

Au-delà de la nécessaire collaboration interdisciplinaire qui repose sur le concept de « One Health », la démarche impose une collaboration étroite entre hydrogéologues, sédimentologues, chimistes de l’environnement, microbiologistes et écologistes microbiens, écotoxicologues et modélisateurs. Cette approche associe également les personnes qui prescrivent des antibiotiques et les gestionnaires.

En tant qu’institut de recherche en sciences de la Terre et de l’environnement, l’INSU est en mesure de développer des approches qui reposent sur l’observation de marqueurs de la dissémination de l’antibiorésistance communs aux domaines de la santé humaine et animale. Cette observation se réalise à différentes échelles spatiales (le long du continuum sol/eau ou terre/mer) et à différentes échelles temporelles (études menées également sur des archives sédimentaires). Sur des sites dédiés à l’observation (les services nationaux d’observation ou SNO),  le suivi de ces marqueurs peut être réalisé en parallèle au suivi des paramètres physico-chimiques (turbidité, Température, pH…) à haute fréquence, ce qui permet d’étudier des sites aux caractéristiques contrastées en termes de démographie humaine et animale, activité industrielle et agricole, et conditions hydroclimatiques.

L’INSU réfléchit activement à définir un ou des paramètres « santé »  commun à tous ses services d’observation afin d’étudier leur devenir dans la zone critique1 . Dans un premier temps, une démarche prospective est envisagée sur des sites intégrés dans des SNO et répartis sur le territoire métropolitain.. L’objectif à terme est de modéliser et construire des scénarios au service de l’épidémiologie prédictive, voire de définir des systèmes d’alerte s’appuyant sur l’identification de périodes ou des sites où le danger de dissémination ou d’exposition de l’Homme ou des animaux à des marqueurs de l’antibiorésistance serait le plus élevé.

  • 1Zone à l’interface entre l’eau (hydrosphère), surface terrestre et l’atmosphère
Suivi des bactéries résistantes aux ATB dans le bouchon vaseux de l'estuaire de Seine (prélèvement de terrain). © UMR M2C

Comment limiter l’antibiorésistance ?

Selon l’OMS, avec le risque de ne plus disposer de traitements médicamenteux pour lutter contre les maladies infectieuses, la résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui une grave menace pesant sur la santé mondiale. Pour limiter ce risque, il faudrait diminuer l’usage des antibiotiques à l’échelle mondiale, alors qu’en parallèle une augmentation des prescriptions est à prévoir avec l’accès, légitime, des pays en voie de développement aux antibiotiques. C’est pourquoi, l’OMS et l’OIE (Office International des Épizooties) recommandent de les utiliser à bon escient, tant sur les humains que les animaux.

Concernant l’environnement, dans un contexte de changement climatique, il importe d’évaluer les seuils limites des capacités d’épuration naturelle et d’assurer un suivi tant des périodes que des zones à risque.

Contact

Fabienne Petit
Université de Rouen Normandie, UMR Morphodynamique continentale et côtière (M2C / URN / CNRS / UNICAEN / URN))