Un livre blanc sur les paléoclimats et les paléoenvironnements

Décryptage Terre Solide Océan Atmosphère Surfaces continentales

Au commencement était le passé. Nées du besoin de comprendre le présent ainsi que les mécanismes physiques, chimiques et biologiques qui régissent la surface de notre planète, les sciences « paléoclimats et paléoenvironne­ments », ou « paléo », comme on les appelle parfois, explorent la profondeur du temps indissociable des sciences de la Planète et de la vie. La démonstration du changement climatique en cours, de son ampleur et de sa rapidité sans précédent dans l’histoire de la Terre, n’est pas le moindre des succès de cette approche. Au fil des décennies, une communauté s’est formée, partageant des concepts et des approches multi- ou inter­disciplinaires, maîtrisant de nombreuses disciplines et métiers, et mobilisant des outils spécifiques et souvent innovants.

C’est pour faire le point sur l'état de cette science et identifier ses tendances et enjeux que l’INSU a souhaité la réalisation d’un livre blanc sur les paléoclimats et paléoenvironne­ments. A ce titre, il a missionné Pascale Braconnot, alors chargée de mission Climat pour l’institut, pour coordonner ce travail. Cette dernière s’est appuyée sur un comité rassemblant des spécialistes couvrant les différentes facettes des thématiques « paléoclimats et paléoenvironnement » et plus largement sur une communauté de plus de 700 scientifiques.

A l’occasion de la sortie de ce livre, Guillaume Leduc, chercheur CNRS au CEREGE1 et secrétaire du comité, et Pascale Braconnot ont répondu à quelques questions sur cette discipline très dynamique et pleine de potentiel.

  • 1CNRS / Aix Marseille Université / Inrae / IRD

Paléoclimat et paléoenvironnement : qu’est-ce que c’est ?

Les termes paléoclimat et paléoenvironnement font référence à l'étude du climat et de l'environnement passés. Le comité a passé des heures à essayer de s’accorder pour dire si ce sont vraiment deux choses différentes. Ces deux sciences sont extrêmement liées, avec de constants allers-retours entre les deux domaines et leurs méthodes. En effet, les recherches en paléoclimat s’appuient sur des données issues de l’environnement, comme par exemple les pollens qui permettent de reconstruire la végétation et d’étudier le climat passé qui y est associé.

Il n'y a pas de limite stricte pour définir quand commence la période paléo :  Dès qu’on peut parler de climat et d’environnement dans l’histoire de la Terre, et dans la mesure où l’objectif des études menées est bien d’améliorer notre connaissance sur ces sujets, alors les recherches sont éligibles à l’appellation « paléo ». Cela, même si les méthodes ne sont pas exactement les mêmes selon les périodes et les échelles de temps étudiées. En somme, la paléo c’est l’étude de ce qu’il reste du passé, son héritage qui est encore visible dans les paysages, comme un affleurement de sédiments par exemple. Passé et présent sont en effet liés : on sait, par exemple, que les basses températures du petit âge glaciaire sont encore perceptibles dans les eaux profondes du Pacifique. Il faudra encore quelques siècles avant que l'on ne ressente pleinement le réchauffement actuel à cet endroit alors qu’il est nettement ressenti ailleurs. Les échelles de temps à considérer quand on regarde le passé de notre planète varient selon qu’on étudie l'océan ou l'atmosphère. C’est pour cela qu’il ne peut y avoir de définition stricte de la période à étudier en paléo.

Dead horse point, Permien-Trias de l'Utah, USA, S. Bourquin
Dead horse point, Permien-Trias de l'Utah, USAS. Bourquin

Ces réflexions nous ont amenés à une autre question : faut-il inclure les études autour de l’humain dans la paléo ? L’humain agit sur les forçages climatiques et modifie l’environnement : on pense bien-sûr à l’augmentation des gaz à effet de serre, mais bien avant l’ère industrielle, les métaux lourds ont commencé à perturber l’environnement avec la production d’outils, la déforestation a modifié l’albédo. On a finalement des traces paléo de l’activité humaine depuis la sédentarisation de l’Homme.

Nous avons donc convenu que ces études faisaient partie du paléo à condition qu’il y ait un lien direct avec le climat ou l’environnement : par exemple, l’humain qui utilise les ressources naturelles, l’humain qui impacte le climat…



À quoi servent les recherches « paléo » ?

Les archives paléoclimatiques et paléoenvironnementales permettent d’objectiver et comprendre le changement climatique et les incidences de l’utilisation des ressources sur l'environnement. Elles fournissent également des informations essentielles sur l’influence du climat et de l'environnement sur les espèces animales et végétales, et permettent donc de comprendre les problématiques de biodiversité actuelles. Même si les forçages actuels n’ont pas toujours existé, la paléo permet de tirer des enseignements du passé pour comprendre les fonctionnements et anticiper le futur. Notamment, elle peut nous apprendre beaucoup sur les points de bascule parce qu’elle permet de voir les changements de fonctionnement. Les sciences du paléo ont donc un potentiel énorme.

Cette discipline est par ailleurs très liée aux réflexions actuelles sur la science de la durabilité et les interactions entre l'humain et son environnement. En effet, en ce qui concerne le climat et l’environnement, l’humain est spectateur et acteur des changements globaux : il est impacté par un climat et un environnement changeants, il utilise les ressources de cet environnement, et perturbe le climat et les écosystèmes pas son activité.

Ce livre blanc montre la richesse et le dynamisme de la communauté, très ouverte à l’international, mais aussi les fragilités inhérentes à une approche par essence interdisciplinaire qui masque parfois sa visibilité et peut complexifier la recherche de moyens dédiés. Cette analyse en profondeur révèle aussi le défi de rapprocher de façon encore plus agile les données et les modèles, en continuant à effacer les silos disciplinaires ou les frontières entre les approches « paléo » et « contemporaines ». »
Nicolas Arnaud et Stéphane Blanc, directeurs de l'INSU et de CNRS Ecologie & Environnement

L'objectif de ce livre blanc était de recenser les forces et difficultés de la communauté "Paléoclimats & Paléoenvironnements" en France, ainsi que d'identifier les obstacles scientifiques et structurels qui doivent être surmontés pour relever les nouveaux défis. La feuille de route du comité présentait les éléments suivants : un état des lieux des activités en France, l'identification des communautés menacées, un bilan des besoins en ressources humaines, la maintenance et le renouvellement des parcs instrumentaux, et l'identification des développements technologiques importants. Le comité avait également pour objectif de définir les axes de recherche et les questions scientifiques pour les 10-20 ans à venir, et de réfléchir à comment renforcer les synergies au sein de la communauté française.

Sous l’impulsion de la direction de l’INSU, la réflexion s’est élargie aux autres domaines et instituts du CNRS (principalement CNRS Écologie & Environnement et CNRS Sciences humaines & sociales). La démarche a également largement débordé les frontières du CNRS pour embarquer les personnels des diffé­rents organismes de recherche et des universités s’investissant dans les thématiques paléo.

Quels sont les grands enseignements de ce livre blanc ?

Ce que cette étude met en évidence, c’est que la communauté paléo a beaucoup d’interactions avec les autres sciences et elle est, en cela, très moderne. Elle aborde des questions à la croisée des disciplines où il est nécessaire que chacun des spécialistes puisse les aborder avec ses propres angles et ses propres méthodologies. Par exemple, il y a beaucoup d’interactions avec la biologie dans la mesure où l’ADN fossile est un outil émergeant pour estimer la biodiversité, et inversement, la compréhension du système climatique va permettre de comprendre l’évolution de la faune et de la flore. Tout l’enjeu est de favoriser les rencontres.

Prélèvement ADN Néolithique - Fouille de Pertus, Alpes de Haute Provence, France,
Prélèvement ADN Néolithique - Fouille de Pertus, Alpes de Haute Provence, France,C. Lepere

Par ailleurs, cette étude nous apprend que ces sciences sont incroyablement à la pointe, que ce soit par les infrastructures et les technologies qu’elles utilisent, par leurs méthodes novatrices, en géochimie notamment, ou par les innovations instrumentales auxquelles elles donnent lieu. Côté modélisation et grandes simulations, notre communauté bénéficie d’une reconnaissance au niveau international.

Concernant les grands enjeux pour la communauté, ils sont de plusieurs ordres :

  • La formation de spécialistes et la reconnaissance des métiers.
    En effet les métiers « naturalistes » sont d’une manière générale en perte de vitesse, les formations universitaires ne sont pas bien adaptées. Il y a également la nécessité de former la nouvelle génération à l'utilisation de nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle et la construction et l’exploitation des bases de données paléo. Il faut aussi que ces scientifiques soient reconnus même en l’absence de publications.
  • La réduction de l'impact environnemental des recherches paléo, en adoptant des pratiques plus responsables. Les campagnes de collecte de carottes de sédimentaires ou glaciaires ont une empreinte carbone très importante. Plus que tout autre, la communauté se doit de réfléchir à ses pratiques, en favorisant par exemple la ré-exploitation des données déjà acquises pour profiter de nouvelles méthodes, regrouper des missions océanographiques pour les optimiser… sans pour autant brider la science. Les scientifiques sont prêts à faire des efforts et sont déjà très moteurs.
  • La nécessité de mettre en place une infrastructure solide, en favorisant la collecte et le partage des données entre les différentes institutions et laboratoires.
Spectromètre de masse par accélérateur ASTER
Spectromètre de masse par accélérateur ASTER, site du CEREGE© Thibaut VERGOZ / CEREGE / CNRS Images
« Nous avons pris un plaisir énorme à travailler avec ce comité : la qualité des interactions y a été remarquable.
Les objectifs étaient ambitieux. Les groupes de travail du comité ont mobilisé de nombreuses personnes pour mener l’analyse bibliométrique, définir la taille de la communauté, identifier les sources de financement, répertorier les différentes formations ou nous aider à réfléchir à la façon de mener les études de façon ouverte avec un souci d’innovation dans le long terme. Nous remercions tous ces collaborateurs pour le temps précieux qu’ils nous ont accordé. Ces apports permettent une cartogra¬phie la plus objective possible de la communauté.

Nous rêvons désormais qu’il serve pour guider les recherches futures et renforcer la reconnaissance de cette science particulièrement à la pointe.»

Pascale Braconnot et Guillaume Leduc

En savoir plus sur le livre blanc paléoclimats et les paléoenvironnements