Des intenses émissions de gaz volcanique ont-elles entraîné un changement climatique majeur il y a 2,5 milliards d'années ?

Résultat scientifique Terre Solide

Les phénomènes volcaniques permettent des échanges de gaz entre la Terre et l'atmosphère. Si ces flux de gaz volcaniques peuvent être analysés en temps réel, les flux passés sont beaucoup plus difficiles à étudier. Des chercheurs de laboratoires français1 proposent d'aborder le problème différemment : en analysant la composition de roches et minéraux formés il y a plusieurs milliards d'années, ils en déduisent la composition, et donc l'évolution, de l'atmosphère sur cette période. Ils montrent ainsi que les flux passés étaient 10 à 100 fois supérieurs aux flux actuels, durant un intervalle de temps limité vers la fin de l'ère archéenne, il y a 2,5 milliards d'années. Ces intenses émissions de gaz volcaniques requièrent un régime géodynamique différent de la tectonique des plaques, et ont pu déclencher des changements environnementaux extrêmes, tels que l'oxygénation de l'atmosphère. Cette étude fait l'objet d'une publication dans Nature.

  • 1Le Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques (CRPG, CNRS / Université de Lorraine) et l'Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP, CNRS / Université Paris-Diderot / IGN)
Formation de Dresser, sur le craton du Pilbara, au nord-ouest de l'Autralie. Le craton du Pilbara est l'une des deux seules croûtes continentales archéennes préservées, datant de 3,6 à 2,7 milliards d'années.

Les éléments volatils (eau, dioxyde de carbone, halogènes, gaz nobles, etc.) piégés à l’intérieur de la Terre sont injectés dans l’atmosphère lors des éruptions volcaniques. L’accumulation de ces gaz au cours des temps géologiques a été cruciale pour la formation et l’évolution de l’atmosphère terrestre et des océans, permettant ainsi le développement de la vie.

Les flux de gaz expulsé du manteau vers la surface - un phénomène appelé dégazage - sont compensés par leur retour en profondeur lors de la subduction de la croûte océanique riche en ces éléments. L’équilibre entre les flux sortants et entrants a permis de maintenir les conditions nécessaires à l’habitabilité de notre planète. Cependant, cet équilibre est parfois bouleversé lorsque de grandes quantités de gaz sont libérées lors de phénomènes volcaniques extrêmes. Si ces flux de gaz volcaniques peuvent être analysés en temps réel, les flux passés sont beaucoup plus difficiles à étudier.

Une étude publiée dans Nature, propose d'aborder le problème différemment, en analysant la composition de l’atmosphère ancienne, piégée dans des roches et minéraux formés il y a plusieurs milliards d’années. Les auteurs de cette étude ont analysé la composition isotopique d’un gaz rare, le xénon, contenu dans des inclusions fluides piégées dans des cristaux de quartz et dans de la matière organique. Cet élément a 9 isotopes, dont l’un, le xénon-129, est enrichi dans le manteau terrestre par rapport à l’atmosphère.

Exemple de roches étudiés par les chercheurs. A gauche : baryte datant de l'ère Archéenne ; au milieu : matière organique prevelée dans une roche sédimentaire ; à droite : inclusions fluides piégées un quartz © B. Marty (gauche et droite) & D. Bekaert (milieu)

Comme on s’y attendait, les échantillons d’atmosphère ancienne contiennent moins de 129Xe, car le dégazage volcanique plus récent a enrichi l’atmosphère en cet isotope au cours du temps. Cependant, le déficit observé dans les échantillons anciens requiert des taux de dégazage volcanique passés bien plus importants, de un à deux ordres de grandeur par rapport à l’actuel. De plus, ce déficit de 129Xe était à peu près constant entre 3,3 et 2,7 milliards d’années, puis a augmenté rapidement aux alentours de la transition entre les ères Archéenne (3,8 - 2,4 milliards d’années) et Protérozoïque (2,4 - 0,6 milliards d’années). Autrement-dit, durant une courte période il y a 2,5 milliard d'années, une grande quantités de gaz volcanique a été libérée dans l'atmosphère terrestre, à un taux entre 10 à 100 supérieur à ce que l'on connaît actuellement.

La tectonique des plaques ne peut rendre compte d’un tel taux de dégazage extrême, ni de la brièveté de ce phénomène. Il faut dès lors envisager un régime thermique transitoire durant lequel le manteau évacue la chaleur en excès via magmatisme intense, puis se refroidit pour revenir au régime de tectonique des plaques qui a lieu encore de nos jours. C'est magmatisme intense et transitoire qui a entraîné cet important dégazage observé il y a 2,5 milliard d'années.

De tels épisodes de dégazage intense de CO2 et autres gaz volcaniques ont pu contribuer à un changement environnemental majeur à la transition entre les ères Archéennes et Protérozoïques : l’oxygénation de l’atmosphère. Cette étude souligne l’impact du volcanisme global sur l’atmosphère et l’environnement, et pourrait nous aider à mieux cerner les effets d’injection massive de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, tels que ceux se produisant actuellement.

Références

Bernard Marty, David V. Bekaert, Michael W. Broadley & Claude Jaupart. Geochemical evidence for high volatile fluxes from the mantle at the end of the Archaean. NatureI (2019) doi:10.1038/s41586-019-1745-7