35 ans du protocole de Montréal : quel bilan ?

Décryptage Océan Atmosphère

La vie sur Terre est protégée par la couche d’ozone qui agit comme un filtre contre certains rayons UV nocifs du Soleil.  Aussi, lorsque dans les années 1980, un trou dans la couche d’ozone est découvert, la communauté internationale réagit immédiatement. Le 16 septembre 1987, le protocole de Montréal interdit la production de certains gaz, très utilisés dans la fabrication de nombreux objets du quotidien, qui détruisent l’ozone. 35 ans plus tard, les concentrations atmosphériques de ces gaz sont en baisse et le trou ne s’agrandit plus. Le protocole s’avère être une réussite pour la sauvegarde de la couche d’ozone et pour le climat puisque les gaz interdits sont de puissants gaz à effet de serre. Pour aller encore plus loin, le protocole a récemment été amendé afin d’éliminer certains gaz de remplacements ayant aussi un puissant effet de serre.

La couche d’ozone est située entre 15 et 35 km d’altitude dans la stratosphère, la région de l’atmosphère s’étendant de 10 à 50 km d’altitude. Avec l’oxygène moléculaire (O2), l’ozone (O3) bloque tous les rayons UV de longueurs d’ondes comprises entre 100 et 280 nm (UV-C) et c’est le seul gaz qui filtre les rayons UV de longueurs d’ondes comprises entre 280 et 315 nm (UV-B). Les UV-C et UV-B sont particulièrement dangereux pour les êtres vivants et la couche d’ozone constitue donc une barrière de protection naturelle.

La protection UV par la couche d’ozone © UNEP Ozone Secretariat

Dans les années 1970, des scientifiques alertent sur la menace que font peser sur la couche d’ozone des composés produits par l’industrie chimique, les chlorofluorocarbures (CFC).   Dans les années 1980, un trou dans la couche d’ozone est découvert au-dessus de l’Antarctique, qui s’avère être aussi grand que le continent polaire. « On parle souvent de « trou » mais il s’agit, en réalité, d’une diminution locale très importante de la concentration d’ozone (50 % dans les années 1980) et non d’un véritable trou », explique Sophie Godin-Beekmann, directrice adjointe scientifique à l’INSU. Ce phénomène est provoqué par des gaz, baptisés « substances appauvrissant la couche d'ozone » ou SAO, massivement utilisés dans la fabrication de nombreux produits du quotidien. « Avant les années 1970, on n’avait peu de moyens pour étudier la composition de l’atmosphère et donc suivre l’effet de ces gaz, rappelle Sophie Godin-Beekmann. Si on y avait autant recours, c’est qu’ils présentent l’avantage d’être inertes et donc inoffensifs pour les ouvriers et les consommateurs. » Mais pas inoffensifs pour l’atmosphère. Les SAO les plus importants sont les CFC, contenant du chlore, et les halons, contenant du brome. On les trouve dans les réfrigérateurs, les climatiseurs, les bombes aérosols (comme les déodorants), les isolants et les extincteurs de feu. Lorsque les SAO atteignent la couche d’ozone, les rayons UV les cassent, libérant leurs atomes de chlore ou de brome. Un atome de chlore peut détruire jusqu’à 100 000 molécules d’ozone. « L’ozone se trouve en très faible quantité dans l’atmosphère : entre 8 et 10 particules par million de molécules d’air (ppm) au maximum. À titre de comparaison, il y a aujourd’hui en moyenne 415 ppm de CO2 dans l’atmosphère », précise Sophie Godin-Beekmann. Les molécules d’ozone sont donc vite décimées par les SAO. Le trou est apparu au-dessus de l’Antarctique car les températures extrêmement basses de cette région en hiver permettent la formation de nuages stratosphériques polaires, dans lesquels certaines réactions favorisent ensuite la destruction de l’ozone par les constituants chlorés et bromés au printemps polaire.

Face à cette découverte qui met en danger la vie sur Terre, 24 pays et la communauté économique européenne ratifient, en 1987, le protocole de Montréal. L’objectif : réduire et, à terme, éliminer les SAO de la couche d’ozone. Pour cela, ils sont interdits et remplacés par d’autres gaz. Aujourd’hui, 198 parties ont signé le protocole, ce qui a permis d’arrêter l’émission de 98,6 % des SAO.

Abondances passées et prévues du chlore issu des SAO dans l’atmosphère à environ 19 km d’altitude © UNEP Ozone Secretariat

Les SAO ayant une durée de vie de 50 à 100 ans, l’arrêt de leur production n’entraine pas leur disparation immédiate. De plus, si certains pays ratifient l’accord dès 1987, la production de SAO continue ailleurs pendant plusieurs années. Résultat, les concentrations de SAO poursuivent leur augmentation jusqu’à la fin des années 1990 mais commencent ensuite à baisser, confirmant l’efficacité du protocole. Selon les projections, on devrait revenir aux niveaux d’ozone des années 1980 dans les années 2030 pour les moyennes latitudes de l’hémisphère nord, et dans les années 2050 pour les moyennes latitudes de l’hémisphère sud, et dans les années 2060 pour l’Antarctique. « C’est donc d’ici 40 ans que le trou devrait commencer à se reboucher, mais cela dépendra également de l’évolution du climat d’ici là », ajoute Sophie Godin-Beekmann.

© Copernicus

Légende : Le trou dans la couche d’ozone se forme en août et atteint son maximum fin septembre – début octobre. Il disparaît ensuite à la fin du printemps austral lorsque la stratosphère polaire se réchauffe. Le trou se reforme tous les ans et sa taille varie d’une année sur l’autre. En 2019, des conditions météorologiques inhabituelles ont réchauffé précocement la stratosphère, ce qui a conduit à un trou beaucoup plus petit que les années précédentes mais il s’agit là d’une anomalie. 

Selon les scientifiques, en l’absence de protocole, les concentrations d’ozone auraient été tellement basses d’ici 2065 que les habitants des moyennes latitudes de l’hémisphère nord auraient attrapé des coups de soleil en 5-10 minutes d’exposition. Aux États-Unis, il est estimé que 443 millions de cancers de la peau et 63 millions de cataractes auront pu être évités pour les personnes nées entre 1890 et 2100. Le protocole de Montréal a également permis de ralentir le changement climatique en évitant l’émission de 135 milliards de tonnes équivalent carbone entre 1990 et 2010.

Son succès est principalement dû à deux éléments. D’une part, des substituts aux SAO ont été rapidement trouvés, permettant aux industries de conserver en partie leur procédés habituels. D’autre part, le protocole a différencié les responsabilités historiques des pays, accordant un délai à certains pays pour le mettre en application. Ainsi, pour les CFC, la production a été interdite dès 1996 dans les pays développés, mais seulement à partir de 2010 pour les pays en développement. De plus, le fonds multilatéral pour l'application du protocole de Montréal a été créé en 1991 par les pays les plus riches pour accompagner les autres dans leur transition. « Le protocole de Montréal est intéressant car il a servi de pionnier pour les accords sur le climat, pointe Sophie Godin-Beekmann. C’est la première fois que, partant d’un constat scientifique, des pays se mettent d’accord sur une action commune et suivent les effets de cette action grâce à des observations à long terme. » On sait que les observations sont fiables car, par exemple, en 2018, un ralentissement de la baisse du CFC-11 dans l’atmosphère a été remarqué, suggérant qu’il était à nouveau produit quelque part. Il s’est avéré que des usines chinoises avaient recommencé à en fabriquer malgré l’interdiction. Après des pourparlers avec la Chine, la situation s’est réglée et la baisse de CFC-11 a repris son rythme normal. L’observation en continue et à long terme permet de vérifier que l’accord est bien respecté et de nourrir les modèles climatiques qui simulent l’évolution à long terme de l’ozone.  

« Bien que le protocole de Montréal soit un succès pour la couche d’ozone, les gaz qui ont remplacé les SAO restent de puissants gaz à effet de serre », rappelle Sophie Godin-Beekmann. Certains hydrofluorocarbures (HCF), qui ont remplacé les CFC, ont un effet de serre 14 000 fois supérieur à celui du CO2. C’est pourquoi, en 2016, l’amendement de Kigali a été adopté pour réduire de 80 % 18 des HFC les plus nocifs sur les 30 prochaines années. Cela permettra d’éviter 0,2 à 0,4°C de réchauffement sur le siècle. Il s’agit d’un pas important car c’est la première fois qu’un protocole international est amendé pour un objectif, la protection du climat, différent du but initial de ce protocole.

 

Marie Perez