Pourquoi et comment étudie-t-on les trous noirs ?

Décryptage Univers

Entre la première image de trou noir en 2019, les prix Nobel de physique récompensant des travaux sur les trous noirs en 2015 et 2020 et l’image du trou noir au centre de notre galaxie en 2022, ces objets célestes défraient la chronique depuis quelques années ! Mais malgré les progrès de la science, ils restent encore très mystérieux. Leur étude, au-delà de nous les rendre plus familiers, pourrait permettre de faire évoluer la théorie de la relativité générale et de mieux comprendre la formation des galaxies. Marta Volonteri, chercheuse CNRS à l’IAP1 et Thibaut Paumard, chercheur CNRS au LESIA2 , nous brossent le portrait de ces objets fascinants.

  • 1Institut d'astrophysique de Paris (IAP), Tutelles : CNRS / Sorbonne Université
  • 2Laboratoire d'études spatiales et d'instrumentation en astrophysique (LESIA – Observatoire de Paris), Tutelles : CNRS / Observatoire de Paris / Sorbonne Université / Université Paris Cité / CNES

« Le trou noir est certainement l’un des objets de l’Univers les moins bien connus, déclare Marta Volonteri. Comment se forme-t-il ? Comment se met-il à tourner ? C’est un domaine où on a beaucoup de théories mais peu de certitudes, ce qui le rend passionnant à étudier ! »

Un trou noir est un objet céleste qui piège toute forme de rayonnement. Cela est dû à sa compacité, c’est-à-dire à son rapport masse/taille très élevé, qui crée un champ gravitationnel si intense qu’aucun rayonnement ne peut s’en échapper. Cela est aussi valable pour la matière. On le dit « noir » car il ne peut ni émettre, ni diffuser de lumière. Il possède un « horizon des évènements » qui est la limite au-delà de laquelle on entre dans la zone de non-retour.

Il existe des trous noirs de différentes tailles. Les plus petits (de masse inférieure à deux fois la masse du Soleil) se seraient formés peu après le Big Bang, mais leur existence n’est pas encore confirmée à l’heure actuelle. Il y a ensuite les trous noirs de quelques masses solaires qui sont créés suite à l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive. On parle de trous noirs stellaires. Enfin, les trous noirs au centre des galaxies ont une masse pouvant atteindre plusieurs milliards de fois celle du Soleil. Il s’agit de trous noirs supermassifs, comme celui au centre de la Voie lactée. Entre ces deux dernières échelles, il existerait des trous noirs de masse intermédiaire avec une masse de quelques milliers de masses solaires.

En 2017, des astronomes découvrent, au centre d’une galaxie située à 13,1 milliards d’années-lumière, un quasar (un trou noir entouré d’un amas de galaxies très lumineux). Le trou noir en son centre fait 800 millions de masses solaires. Ce géant, baptisé J1342+0928, est le plus lointain jamais détecté et donc le plus vieux puisque la lumière des galaxies qui l’entourent a mis 13,1 milliards d’années à nous atteindre. Il est donc presque aussi vieux que l’Univers (13,8 milliards d’années) ! Les trous noirs s’évaporent et finissent par disparaitre : les plus massifs sont donc aussi ceux qui durent le plus longtemps. « Ce sont des déchets de très longue durée, plaisante Thibaut Paumard. Comme ils ont une espérance de vie beaucoup plus longue que les autres objets célestes, on imagine qu’un jour l’Univers pourrait n’être qu’un vaste champ de trous noirs ».

Vue d’artiste du trou noir J1342+0928 © Robin Dienel / Carnegie Institution for Science

Les trous noirs étant invisibles, comment les a-t-on découvert ? Tout commence en 1783 avec l’astronome John Michell. Isaac Newton ayant supposé que la lumière est constituée de particules, Michell en conclut que la lumière devrait être soumise, comme toute particule, à la gravitation. C’est alors qu’il imagine des corps si compacts que leur champ de gravité attirerait la lumière et l’empêcherait de s’échapper. Autrement dit, des trous noirs, qu’il baptise « étoiles noires ». Il explique également que ces corps invisibles pourraient être détectés grâce aux effets de leur champ de gravité. Mais, dans la mécanique newtonienne, la gravitation n’est pas censée affecter la lumière et c’est pourquoi il faut attendre la relativité générale d’Einstein, au début du 20ème siècle, pour que le concept puisse être vraiment théorisé.

S’il est impossible d’observer directement un trou noir, sa présence peut être déduite par plusieurs méthodes indirectes. La première : détecter l’influence de son champ gravitationnel sur les étoiles qui l’entourent. En 2018, l’instrument Gravity du Very Large Telescope observe l’étoile S2 au moment où elle passe au plus près du trou noir super-massif Sagittarius A* qui se trouve au centre de la Voie lactée. Les scientifiques mettent alors en évidence, pour la première fois, le rougissement gravitationnel, prédit par la relativité générale d’Einstein. Ce terme désigne le retard que subit un signal se propageant dans un champ de gravité très fort, et qui se traduit par un décalage de longueur d’ondes, détectées par l’instrument de mesure, vers le rouge. La précession de Schwarzschild, qui modifie la trajectoire de l’étoile S2 autour de Sagittarius A*, est également mesurée par Gravity. L’orbite de S2 précesse, ce qui signifie que le périgée de son orbite autour du trou noir change à chaque rotation, de sorte que l’orbite suivante est en rotation par rapport à la précédente, générant l’aspect d’une rosette. C’est la première fois que cet effet est mesuré pour une étoile en orbite autour d’un trou noir supermassif et les résultats sont en parfait accord avec les prédictions de la relativité générale. La deuxième technique a recours au disque d’accrétion. Il s’agit d’un disque de matière – attirée là par le champ de gravité très intense du trou noir et qui gravite autour de lui – juste au-delà de l’horizon des évènements. Au sein du disque d’accrétion, les collisions de matière entrainent une dissipation d’énergie et l’émission de rayons X. C’est ce rayonnement qui permet, en 2019, d’obtenir la première image d’un trou noir. Il s’agit de M87*, trou noir supermassif situé au cœur de la galaxie M87. Trois ans plus tard, c’est le trou noir Sagittarius A* qui révèle son visage au monde. Cet exploit est rendu possible grâce à un télescope d’un genre nouveau : l’Event Horizon Telescope, un réseau de onze radiotélescopes situés à travers le monde, doté d’une sensibilité et d’une résolution spatiale jamais obtenues auparavant.

Gauche : Image du trou noir supermassif M87* © EHT / Droite : Image du trou noir Sagittarius A* © EHT Collaboration. Les trous noirs se trouvent au centre des disques d’accrétion lumineux

Enfin, les ondes gravitationnelles permettent, depuis quelques années, de repérer des systèmes binaires de trous noirs. Einstein avait prédit que les évènements très énergétiques de l’Univers, comme la fusion de deux trous noirs, produiraient des ondes gravitationnelles qu’on pourrait détecter. Mais il s’agit de signaux très faibles qui nécessitent des instruments de grande précision. En 1992, une équipe de recherche construit un interféromètre (Ligo) et commence à chercher des ondes gravitationnelles tout en améliorant son instrument. L’interféromètre est doté de deux faisceaux laser qui, en se recombinant, produisent des interférences qui sont détectées sur une photodiode. Si une onde gravitationnelle atteint l’interféromètre, elle va perturber le chemin des faisceaux, ce qui va modifier la figure d’interférence. Et en 2015, ça marche ! L’équipe détecte des ondes gravitationnelles dont la forme correspond à ce que prédit la relativité générale pour la fusion de deux trous noirs et l’effet provoqué par le trou noir en résultant. Ces trous noirs, qui font chacun 30 fois la masse du Soleil, se trouvent à 1,5 milliards d’années-lumière de nous.

« On ne peut pas encore confirmer à 100 % qu’il s’agit de trous noirs puisque l’observation directe est impossible, rappelle Thibaut Paumard. Mais pour l’instant, les seuls objets qui correspondent à ces observations et qui entrent dans le cadre de la relativité générale sont les trous noirs. Un des intérêts de ces objets, justement, est qu’ils pourraient révéler des limites de la relativité générale. » Certains scientifiques pensent, en effet, que la relativité générale ne peut pas tout expliquer et qu’une nouvelle théorie plus performante finira par émerger, permettant, notamment, de réunir relativité générale et mécanique quantique.

« L’autre raison pour laquelle les trous noirs nous intéressent est que les formations des galaxies et de leurs trous noirs sont intimement liées, révèle Marta Volonteri. Il y a notamment une corrélation entre la masse des trous noirs supermassifs et la masse du bulbe des galaxies (la partie plutôt sphérique au centre), mais on ne sait pas pourquoi. » Et ce n’est qu’une des questions que se posent les scientifiques. Pourquoi et comment se forment les trous noirs au centre des galaxies ? Qui, du trou noir ou de la galaxie, se forme en premier ? Comme ces trous noirs évoluent-ils et quelle est leur influence sur la galaxie ? On sait qu’ils produisent beaucoup d’énergie et que celle-ci influence les propriétés des gaz de la galaxie qui, eux-mêmes, modèrent le taux de formation des étoiles. Les galaxies seraient donc très différentes sans trou noir central. À noter que si, pour l’instant, toutes les galaxies massives découvertes ont un trou noir supermassif central, les scientifiques n’ont pas encore trouvé de galaxie naine en possédant. 

Le bulbe galactique de M81, en blanc, occupe le centre de la galaxie © NASA, ESA and the Hubble Heritage Team

« L’instrument Gravity est en cours d’amélioration jusqu’en 2024 pour devenir Gravity+, explique Thibaut Paumard. Cette version évoluée permettra d’étudier des centaines, voire des milliers de trous noirs à assez grande distance et de remonter jusqu’à l’époque du pic de formation des trous noirs. Petit à petit, on reconstruit leur histoire. »