Autopsie d'un séisme
Le séisme de Maule survenu au Chili le 27 février 2010 (Mw 8.8) se range, tout comme le séisme du Japon de mars 2011, dans la catégorie des séismes géants. Le glissement sur les failles dépasse la dizaine (voire plusieurs dizaines) de mètres tout au long de ruptures de plusieurs centaines de km d'extension. Ces ruptures géantes peuvent atteindre la fosse de subduction et ainsi engendrer des Tsunamis qui ravagent les côtes.
Grâce à des mesures GPS réalisées avant, pendant et après le séisme, l'équipe Franco-Chilienne du laboratoire international "Montessus de Ballore" (CNRS-INSU, Université du Chili) auquel participent du côté français le Laboratoire de géologie (ENS, CNRS-INSU) et l'IPGP (CNRS-INSU, Paris Diderot), a pu quantifier et mettre en évidence certaines caractéristiques du séisme de Maule dont l'extension de la zone de glissement et le moment précis où la rupture est sortie de sa zone naturelle (la lacune sismique de 1835) pour aller rompre une deuxième lacune, devenant à cet instant une rupture géante. Une étude publiée en ligne dans la revue Sciencexpress, le 28 avril 2011.
Une dizaine d'années d'observation
La région de Concepción-Constitución (Chili) où s'est produit le séisme de Maule, avait été identifiée de longue date, notamment par le groupe de chercheurs franco-chiliens, comme une zone à très haut risque sismique car aucun tremblement de terre ne s'y était produit depuis le séisme de 1835 (Mw 8.5) décrit par Darwin & Fitzroy, on parle de lacune sismique.
Cette lacune, véritable laboratoire naturel, fut instrumentée dès le début des années quatre-vingt dix par les géophysiciens afin d'enregistrer les éventuelles prémices d'un séisme majeur. Au cours des dix dernières années, alors que les plaques Pacifiques et Amériques du Sud convergent à la vitesse de 7 cm/an, aucun mouvement de surface n'avait été observé dans cette zone du Chili, indiquant un couplage des deux plaques au niveau de l'interface de subduction et un déficit de glissement de 12 mètres en prenant en compte la période de 175 ans nous séparant du dernier séisme. Pour les spécialistes un séisme majeur était inéluctable.
Si l'espoir des scientifiques de détecter les signes avant coureurs d'un séisme majeur a été vain, ils disposent maintenant de l'enregistrement des mouvements du sol avant, pendant et après le séisme pour en décrire et analyser dans le détail les caractéristiques. Ce type d'étude, encore rare, est primordial pour faire progresser la compréhension des mécanismes qui se produisent lors d'un séisme majeur et d'une manière générale mieux évaluer les aléas.
Une rupture qui se propage dans deux directions

Ainsi, on découvre que des stations côtières comme Constitucion (CONS) se sont déplacées de près de 5 mètres vers l'Ouest, alors que des stations dans la cordillère, à plus de 200km à l'intérieur des terres (MAUL), se sont déplacées de plus d'un mètre.
Une analyse plus fine montre que les vecteurs déplacements pointent vers deux directions distinctes, ce qui indique une rupture complexe avec deux zones de glissement distinctes de part et d'autre de l'épicentre. La rupture s'est propagée simultanément dans deux directions, vers le Nord et vers le Sud.
La rupture a atteint la surface
Ces données sont complétées par les observations sur des points de campagne au maillage beaucoup plus fin (une trentaine, notamment le long de la côte), installés en 1996 à l'initiative de J. Ruegg (IPGP) et mesurés à plusieurs reprises depuis. Leur position et leur vitesse étaient donc connues avant le séisme, et leur localisation au cours de la campagne de mesures, organisée dans les jours qui ont suivit le séisme, permet de déterminer leur déplacement co-sismique. L'ensemble des données confirme que toute la zone a glissé de manière très importante : dans la zone affectée par le séisme, l'ensemble du plan de subduction a rompu, depuis les plus grandes profondeurs (~40-50km) jusqu'à la surface, c'est-à-dire jusque dans la fosse.
Le fait que la rupture atteigne la surface est une observation importante qui remet en question un point de vue consensuel dans la communauté scientifique. Pour beaucoup, la partie la plus superficielle, frontale, du contact entre les deux plaques ne pouvait glisser rapidement pendant un grand séisme du fait des propriétés mécaniques des matériaux en présence (sédiments pour l'essentiel). Le même phénomène s'est produit au Japon, lors du récent séisme de Tohoku. C'est peut-être, là, une particularité des séismes géants : leur rupture parvient jusqu'à la surface et rompt toute la largeur de l'interface de subduction, ce qui expliquerait également la forte amplitude des Tsunamis qu'ils déclenchent (au-delà de la simple quantité de glissement sur la faille).

500 km de côte affectés
Pour finir, les déplacements verticaux enregistrés tout au long de la côte (jusqu'à près de 2 mètres de surrection au niveau de la péninsule d'Arauco), indiquent clairement la longueur de la zone de rupture : près de 500 km. Celle-ci est nettement plus grande que la rupture de 1835 qui correspondait à un séisme sensiblement plus faible (Mw 8.4 à 8.5). La rupture de 2010 reprend deux zones de ruptures anciennes : celle de 1835 de Concepcion à Constitucion, et celle de 1928 (séisme de Talca, Mw ~8) au Nord de Constitucion. Même si le nord de la rupture de 2010 recouvre partiellement le sud de la grande rupture de Valparaiso de 1906 (Mw 8.5), elle ne semble pas affecter la zone des ruptures des séismes plus récents de Valparaiso (1971 et 1985, Mw ~8).
Cela pose le problème de l'aléa sismique dans cette région de manière aigüe : Est-ce que cette zone n'a pas rompu en 2010 parce-que les conditions pour cela n'étaient pas réunies (pas assez de déformation accumulée par exemple) ou bien est-ce au contraire parce que la rupture a été stoppée, ne parvenant pas à traverser une zone de faible couplage par exemple, alors que la zone elle-même est prête à lâcher ? Les mesures post-sismiques en cours devraient éclairer ce point.


L'apport des mesures à haute fréquence
Un autre aspect du travail publié concerne les données GPS à haute fréquence acquises pendant la rupture. La plupart des stations GPS permanentes enregistrent avec une fréquence de 1 mesure par seconde, ce qui permet de calculer leur position avec cette même fréquence (et une précision un peu réduite par rapport au positionnement statique).
Ces enregistrements, désignés sous le nom de « motogrammes », complètent idéalement les enregistrements sismologiques réalisés par les sismographes et les accéléromètres parce qu'ils ne sont jamais saturés et qu'ils mesurent directement le déplacement du sol sans qu'il soit nécessaire d'intégrer mathématiquement son accélération ou sa vitesse. Du coup, ces données permettent des observations inhabituelles qui éclairent la rupture sous un jour nouveau. En particulier, il est maintenant possible de dessiner le chemin suivi par chaque station au cours du temps avec une grande précision.
Dans le cas du séisme de Maule, ces motogrammes révèlent un événement important environ 60 secondes après le début de la rupture, le moment où la rupture est sortie de sa zone naturelle (la lacune sismique de 1835) pour aller rompre une deuxième lacune (celle de 1928), devenant à cet instant une rupture géante. L'étude détaillée de la rupture grâce à ces enregistrements nous en apprendra sans doute plus sur ce séisme en particulier et les séismes géants en général.
Sources
The 2010 Mw 8.8 Maule Mega-Thrust Earthquake of Central Chile, Monitored by GPS, Sciencexpress / www.sciencexpress.org / 28 April 2011 / Page 3 / 10.1126 / Science.1204132
C. Vigny,1 A. Socquet,2 S. Peyrat,3 J.-C. Ruegg,2 M. Métois,1,2 R. Madariaga,1 S. Morvan,1 M. Lancieri,1 R.Lacassin,2 J. Campos,3 D. Carrizo,4 M. Bejar-Pizarro,2 S. Barrientos,3,5 R. Armijo,2 C. Aranda,5 M.-C. Valderas-Bermejo,5 I. Ortega,5 F. Bondoux,6 S. Baize,7 H. Lyon-Caen,1 A. Pavez,3 J. P. Vilotte,2 M.Bevis,8 B. Brooks,9 R. Smalley,10 H. Parra,11 J.-C. Baez,12 M. Blanco,13 S. Cimbaro,14 E. Kendrick8
- Laboratoire de Géologie de l'ENS, UMR CNRS 8538, Paris,
- Institut de Physique du Globe de Paris et Université Paris-Diderot (Sorbonne Paris-Cité), UMR CNRS 7154, Paris
- Departamento de Geofisica, Universidad de Chile,Santiago, Chile
- Advanced Mining Technology Center, Universidad de Chile, Santiago, Chile
- Servicio Sismologico Nacional, Universidad de Chile, Santiago, Chile
- Institut pour la recherche et le développement, IRD, Lima, Peru
- BERSSIN/IRSN, Fontenay-aux-Roses
- SES, Ohio State University, Columbus, OH, USA
- HIGP, University of Hawaii, Honolulu, HI, USA
- CERI, University of Memphis, Memphis, TN, USA
- Instituto Geográfico Militar, Santiago, Chile
- Universidad de Concepcion, Los Angeles, Chile
- Universidad Nacional de Cuyo, Argentina
- Instituto Geográfico Nacional, Argentina