Des gouttes de magma peuvent migrer à travers un cristal

Comment les liquides magmatiques et autres fluides géologiques peuvent migrer à travers le manteau terrestre pour arriver en surface ? Cette question demeure un problème important en Sciences de la Terre. Dans un article publié par la revue Science (10 novembre 2006, vol. 314, p. 970-974), des chercheurs du laboratoire Magmas et Volcans (Observatoire de Physique du Globe de Clermont-Ferrand, Université Blaise Pascal et INSU-CNRS) et du laboratoire Pierre Süe (CEA, Saclay) ont révélé qu'une gouttelette de liquide magmatique , soumise à un gradient de température, peut se déplacer à travers la structure même de l'olivine (minéral prépondérant des roches du manteau), alors que les fluides (gaz ou fluides supercritiques majoritairement constitués d'eau et/ou de dioxyde de carbone) ne le peuvent pas.

Ce processus s'effectue par un mécanisme continu de dissolution et cristallisation du minéral hôte, contrôlé par les seules cinétiques d'interface (sans interférence de la diffusion). Lors de la migration, les bulles de gaz exsolvé demeurent fixes et se séparent progressivement du liquide. Cette migration transcristalline est plus rapide que le mécanisme classique d'écoulement le long des arêtes des grains pour des degrés de fusion inférieurs à 0,1 % ; elle permet donc la percolation et la ségrégation à l'échelle du cristal des liquides les plus primitifs.


L'activité géologique de notre planète (et plus particulièrement les différentes manifestations du volcanisme) implique fondamentalement la formation, la migration et l'interaction des magmas et des fluides. Or on comprend toujours très mal comment les magmas issus directement de la fusion des roches profondes peuvent se déplacer.

Sur la base de travaux expérimentaux inspirés de ceux effectués en métallurgie, on considère classiquement que la distribution des magmas issus de la fusion des roches du manteau est entièrement gouvernée par la notion d'équilibre textural, et que tout magma formé se dispose de façon à obtenir une configuration d'énergie minimale. Il en résulte un réseau interconnecté de liquide présent aux joints triples qui permet son écoulement le long des arêtes des grains, en principe dès les premiers degrés de fusion.

L'étude expérimentale effectuée par Schiano et co-auteurs montre que si l'on prend en compte les gradients de température présents à l'intérieur de la Terre, alors un nouveau mécanisme de migration magmatique (au travers de la structure cristalline plutôt qu'aux joints de grains) peut opérer. Cette étude repose sur l'observation de systèmes naturels composés d'inclusions magmatiques préservées au sein de minéraux. Les inclusions sont soumises à un gradient de température au moyen d'une platine thermométrique placée sous microscope, pour visualiser l'évolution des inclusions au cours du temps. On observe que les inclusions migrent à travers leur minéral hôte en direction du point chaud, à vitesse constante (quelques nanomètres par seconde) et sans modification chimique. Lors de la migration, la forme des inclusions évolue vers une morphologie à facettes, contrôlée par la cristallographie du minéral hôte. Par contre, les bulles de gaz exsolvé demeurent fixes et se séparent progressivement du liquide. L'analyse thermodynamique de cette migration révèle qu'elle s'effectue par un mécanisme couplé de dissolution et cristallisation du minéral hôte, contrôlé par les seules cinétiques d'interface (sans interférence de la nucléation ni des diffusions).

Elle permet de plus d'extrapoler les résultats expérimentaux aux conditions naturelles du manteau terrestre. Il en ressort que le mécanisme observé expérimentalement devrait effectivement opérer dans ces conditions, plus lentement qu'au laboratoire mais de façon significative à l'échelle des temps géologiques. De fait certaines inclusions mixtes magma/fluide (ainsi que des couples d'inclusions magmatiques et fluides reliées par un tube capillaire) observées dans des échantillons du manteau rapportés en surface par les laves de certains volcans, présentent exactement les mêmes figures géométriques que celles observées au laboratoire, et semblent donc témoigner directement d'une migration transcristalline naturelle, interrompue en cours de fonctionnement.

C'est donc un nouveau mode de migration des magmas qui vient d'être mis en évidence, et les calculs montrent qu'il devrait être plus efficace que les mécanismes connus antérieurement quand la fusion mantellique est encore peu avancée (moins de 0,1 % de liquide produit). Ces résultats montrent aussi que les inclusions fluides à CO2 présentes dans les minéraux mantelliques, et qui sont généralement considérés comme des témoins directs de la présence de phase fluides carboniques mobiles dans le manteau, pourraient en fait seulement signer le passage antérieur de liquides migrant au sein des minéraux. Par suite il n'existe plus guère d'arguments directs pour croire à l'existence de phase fluides percolant librement à travers le manteau et modifiant sa chimie.

Une autre conséquence de cette étude, plus technique mais également porteuse d'avenir, est que la mesure des vitesses de migration intracristalline permet de quantifier les lois cinétiques de dissolution et cristallisation des minéraux dans des conditions directement transposables à de nombreux systèmes naturels et sans ambiguïté (très faible déséquilibre thermique et absence d'interférence avec d'autres phénomènes tels que la nucléation et la diffusion chimique).