Des scientifiques découvrent un gigantesque filament de matière "manquante" entre amas de galaxies
Une équipe internationale à laquelle participent des scientifiques CNRS Terre & Univers (voir encadré) a découvert un gigantesque filament de gaz chaud reliant deux paires d'amas de galaxies sur une distance de 23 millions d'années-lumière. Pour la première fois, une analyse spectroscopique confirme que ce filament contient un milieu intergalactique chaud-tiède (WHIM) qui constitue une partie de la matière ordinaire "manquante" prédite par le modèle cosmologique standard mais jamais détectée auparavant dans un filament individuel.
Depuis des décennies, les cosmologistes s'interrogent sur le devenir d'environ la moitié de la matière ordinaire de l'Univers qui devrait se trouver sous forme de gaz chaud dans les filaments cosmiques selon les modèles théoriques. Sa détection directe s'avérait cependant extrêmement difficile en raison de sa faible luminosité et de la contamination possible par d'autres sources de rayonnement X. L'équipe s'est concentrée sur un filament exceptionnel connectant quatre amas du superamas de Shapley : A3532 et A3530 d'un côté, A3528-N et A3528-S de l'autre. La stratégie observationnelle a combiné les atouts complémentaires des télescopes spatiaux dans les rayons X Suzaku, capable de détecter des sources très faibles malgré sa résolution spatiale limitée, et XMM-Newton, moins sensible aux structures étendues mais capable de localiser précisément les sources ponctuelles comme les trous noirs supermassifs. Ces derniers ont été systématiquement soustraits des mesures pour isoler le signal du filament. Les scientifiques ont ainsi détecté un excès de 21% de rayonnement X dans la région du filament par rapport au rayonnement de fond cosmique.
Le filament entre deux amas de galaxies observé par les télescopes à rayons X Suzaku

Le filament entre deux amas de galaxies (en haut et en bas de l'image) observé par les télescopes à rayons X Suzaku (JAXA) et XMM-Newton (ESA). Le gaz du filament est visible sous forme de régions plus brillantes au centre de l'image. Les "trous" dans le filament sont des artefacts de la méthode d'observation : à ces emplacements se trouvent des trous noirs (points brillants) qui ne font pas partie du filament. Leur rayonnement X est soustrait du filament. © Migkas et al.
Les résultats révèlent un filament composé principalement d'électrons libres et de protons à 11,6 millions de Kelvin, avec une densité dix fois supérieure au milieu intergalactique standard. Sa masse colossale de 10¹³ masses solaires équivaut à cent fois celle de la Voie lactée. Ce filament fait partie du superamas de Shapley, l'une des plus vastes structures de l'Univers proche située à 650-750 millions d'années-lumière dans la constellation du Centaure et regroupant plus de 10 000 galaxies. "C'est véritablement un mini-Univers constitué de plus de 30 amas de galaxies connectés par un réseau complexe de filaments", explique Nabila Aghanim, directrice de recherche CNRS qui avait cartographié la structure tridimensionnelle de ce superamas dans le cadre du projet ERC ByoPiC. Ces données optiques ont révélé que le filament était orienté diagonalement par rapport à nous, information cruciale pour déterminer avec précision son volume total et la densité du gaz qu'il contient. Cette découverte valide de manière spectaculaire les prédictions cosmologiques et ouvre de nouvelles voies pour localiser la matière manquante dans l'Univers. "Nous avions détecté du gaz chaud en empilant des milliers de filaments, mais il était difficile de déterminer ses propriétés physiques", souligne la scientifique française. Désormais, la caractérisation précise du WHIM dans un filament individuel marque une étape décisive pour comprendre l'architecture cosmique à grande échelle.
Observations du filament entre les amas de galaxies du superamas de Shapley

Observations du filament entre les amas de galaxies du superamas de Shapley. En jaune, on peut voir deux paires d'amas de galaxies, chaque amas étant composé de centaines de galaxies. Entre les amas, on observe un nombre accru de galaxies du filament par rapport au fond du ciel. © Migkas et al
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Migkas, K., Pacaud, F., Tuominen, T., Aghanim, N. Detection of pure warm-hot intergalactic medium emission from a 7.2 Mpc long filament in the Shapley supercluster using X-ray spectroscopy. Astronomy & Astrophysics (2025). https://doi.org/10.48550/arXiv.2506.14917
Laboratoire CNRS impliqué
Institut d'astrophysique spatiale (IAS - OSUPS)
Tutelles : CNRS, Université Paris-Saclay