En route pour l’Océan austral avec la campagne Swings

Décryptage Océan Atmosphère

Situé entre le 40e parallèle sud et le continent antarctique, l’océan Austral est une région clé du climat, notamment parce qu’il est un des puits de carbone les plus importants au monde et un « hub » entre les 3 autres océans pour les nutriments. Mais tant en raison de son éloignement que de sa dangerosité, c’est aussi une région méconnue. C’est pourquoi une soixantaine de scientifiques embarqueront le 11 janvier, dans le cadre de la campagne Swings (South West Indian Geotraces Section), afin d’en apprendre plus sur le rôle de chacun des éléments qui entrent dans le processus de séquestration de carbone. « C’est un projet très structurant, dans lequel on retrouve toutes les équipes françaises compétentes sur la thématique abordée» s’enthousiasme Françoise Vimeux, présidente du programme LEFE, qui a évalué très positivement puis soutenu le projet dans le cadre de son appel d’offre. « Elles vont explorer des questions brulantes liées au climat, d’ailleurs soulevées lors de la prospective INSU : comment le cycle des éléments traces influence-t-il la pompe à carbone ? ».

Les éléments traces sont des éléments chimiques essentiels aux organismes vivants et présents naturellement en très faible quantité dans le sol, l’eau et l’air. Dans l’océan, leurs mécanismes de diffusion sont encore méconnus. Quantifier leurs transports vers et au sein de l’océan est l’objectif du programme international GEOTRACES dans lequel s’inscrit cette mission. Sa particularité est de coupler biogéochimie, modélisation et océanographie physique.

Outre les équipes françaises, Swings est un projet international auquel participe des équipes américaines, anglaises, sud africaines, belges, suisse...Par exemple pour la collecte et l'analyse des aérosols (Bill Landing, Florida State Univ.) ou pour l'assimilation de fer en surface par le plancton (Thomas Ryan Keogh, CSIRO, Cape Town) ou encore l'istopie du Nickel (Nolwen Lemaitre et Derek Vance, ETH, Zurich)

A travers un focus sur l’implication de quelques scientifiques, découvrez les facettes et enjeux de cette campagne.

PI de Swings

Catherine Jeandel (CNRS) du LEGOS et Hélène Planquette (CNRS) du LEMAR.

Julie Deshayes : la modélisation pour guider le positionnement de la campagne

Pourquoi associer une modélisatrice à une campagne océanographique ? La diffusion des éléments traces reflète la dynamique lente des océans. La mesure des courants ne donne pas accès à cette diffusion. Etudier ces éléments permettra d’obtenir des « coefficients de diffusion » par zone géographique, qu’on pourra injecter dans les futurs modèles. En supplément, Julie Deshayes (LOCEAN) a proposé de mettre son expertise au service du positionnement des mesures. Une démarche assez novatrice qu’elle nous explique :

« On ne connait pas l’océan profond en temps réel. Via les flotteurs Argo, reliés aux satellites, on dispose d’informations sur l’état physique et biogéochimique de l’océan, mais avec un retard de 3 à 6 mois. L’équipe ne peut donc pas bénéficier de ces données, qui seraient pourtant utiles pour faire des mesures aux meilleurs endroits. En revanche, pour guider le bateau, on peut tenter de prévoir, grâce aux données satellitaires, ce qui va se passer dans 5 jours ».  

Cerise sur le gâteau, en comparant ces prédictions avec les données réelles qui seront relevées sur place, on peut espérer en retirer de quoi améliorer les modèles.   

Ingrid Obernosterer : étudier les bactéries qui digèrent les métaux

Microbiologiste au LOMIC, Ingrid Obernosterer s’intéresse pour sa part aux micro-organismes, et plus précisément aux bactéries qui digèrent les métaux. Au cours de cette campagne, elle regardera la diversité de ces organismes et surtout leur activité métabolique : Comment utilisent-ils et transforment-ils les éléments traces ? De quoi ont-ils besoin ?

« Les micro-organismes ont besoin d’une quinzaine de métaux pour leur métabolisme : fer, manganèse, cobalt, cuivre, nickel... Dans l’Océan austral, on sait qu’ils manquent de fer. Quel est le rôle des autres métaux dans ce contexte ? »

Les échantillons seront congelés à -80°C, puis séquencés au laboratoire. Ceci permettra d’étudier leur potentiel métabolique. C’est ce qu’on appelle une approche « OMIC », qu’il est très original d’avoir dans une telle mission.

Valérie Chavagnac : à la recherche des sources hydrothermales

A la fin des années 70, on a découvert l’existence de sources hydrothermales dans le fond des océans.  Par leurs émanations de fluide très riches en métaux, notamment en fer, et en gaz elles modifient la chimie des océans et alimentent des écosystèmes étonnants. Peu à peu, on en découvre partout le long des dorsales océaniques. Alors pourquoi pas le long de la dorsale sud-ouest indienne ? C’est ce que regardera Valérie Chavagnac, chercheuse au GET, qui étudiera plus précisément de quelle manière, si elles sont présentes, elles affectent la composition de l’océan. « Mais trouver une source hydrothermale au fond des mers, c’est comme trouver une aiguille dans une botte de foin » nous avoue-t-elle. « Par chance, l’IPGP a réalisé en 2001, une carte bathymétrique de l’axe de la dorsale ce qui donne une idée plus précise de la zone à investiguer. On aura juste 3 jours de travail très intensif pour traquer la présence de sources » : Dans un premier temps, un sondeur multifaisceaux permettra d’obtenir une carte bathymétrique détaillée de la zone d’étude, et également de détecter des anomalies acoustiques dans la colonne d’eau, puis des capteurs montés sur une rosette CTD mesureront in situ la température, la salinité, le pH et le potentiel d’oxydoréduction. Si des anomalies physico-chimiques telles que celles générées par les panaches hydrothermaux sont identifiées dans la colonne d’eau, alors nous prélèverons des fluides. Si tous ces indices concordent, nous analyserons les fluides à bord, pour y rechercher des gaz tels que le méthane, l’hydrogène et le dioxyde de carbone. Si leur concentration est forte, nous aurons une très forte probabilité qu’une source hydrothermale est présente à cet endroit.

Frédéric Planchon : évaluer les flux d’export de carbone ou de métaux traces

Le pompage du CO2 par l’océan est un processus important, que toute modification de la production primaire (via le plancton notamment) est susceptible d’altérer. C’est sur ce sujet que travaille Frédéric Planchon (LEMAR), qui, lors de cette campagne regardera en quoi la sédimentation organique alimente le cycle des éléments traces et du carbone.

Un traceur particulier, le Thorium 234, produit par l’Uranium 238, s’avère assez pratique pour estimer les flux de sédimentation au sein de la colonne d’eau océanique sur les 1000 premiers mètres. Après avoir prélevé des échantillons, il sera en mesure de compter la distribution du thorium dans l’eau. Faites à bord, ces mesures impliquent une logistique lourde, avec notamment l’utilisation d’un « château de plomb » (entre 400 et 500 kilos !) pour éliminer les autres sources de radiation naturelle. Ces analyses sont alors couplées avec des prélèvements de matière particulaire pour évaluer des flux d’export de carbone ou de métaux traces …

« On sait que la pompe biologique est particulièrement active dans cette zone, mais on a besoin d’acquérir des données pour mesurer le gradient qui existe entre les zones subtropicales et les zones circumpolaires. La zone est très contrastée en termes d’espèces et de phytoplancton. Il y a donc des variations très importantes des flux d’exports ».

Le chercheur espère également répondre à des questions liées à l’hydrothermalisme, par exemple : le thorium permettrait-il de détecter les sources d’hydrothermalisme ?  Comment les apports hydrothermaux affectent la répartition des éléments traces ?

Emmanuel de Saint-Léger : l’instrumentation au cœur de l’expédition

Dans toute mission océanographique, le sujet de l’instrumentation est crucial. SWINGS, qui n’y déroge pas, a particulièrement bénéficié des services de la division technologique (DT) de l’INSU, et Emmanuel de Saint- Léger, responsable du Parc national d’instrumentation océanographique à la DT, avoue avoir dû relever quelques défis.

« D’abord, par définition, les particules sont en très petites quantités. Pour effectuer des mesures, il faut donc beaucoup d’eau, des milliers de litres ! » Pour ces raisons, on utilise des bouteilles et des pompes immergées qu’on pourra déployer à plusieurs profondeurs. Toute cette eau est filtrée pour récupérer les particules et ce sont surtout les filtres qu’on analyse.

Par ailleurs, comme on recherche des traces de métaux, il ne faut pas que l’eau soit contaminée par les instruments utilisés, qui devront donc être en titane ou en plastique. On a aussi un « container labo », sorte de salle blanche pour faire de la chimie propre.

Enfin, l’océan Austral est connu pour être tumultueux. « On passera les fameux quarantièmes rugissants et les cinquantièmes hurlants : Il y aura probablement de la casse ! Malgré tout, il faut garantir qu’on pourra toujours faire des mesures de qualité. A 2000 kilomètres des terres, tout doit être soit remplaçable, soit réparable ! ». Emmanuel de Saint- Léger fera d’ailleurs partie des deux personnes embarquées pour intervenir sur place.

Avec Emmanuel, Frédéric, Ingrid et Valérie embarqueront sur le Marion Dufresne tandis que Julie et Valérie resteront sur la terre ferme. Julie guidera le bateau en s’appuyant sur les relevés de ses stagiaires qui seront à bord. A distance ou non, gageons qu’ils remonteront dans leurs filets de quoi faire avancer notre compréhension du climat.

Propos recueillis par Anne Brès

En savoir plus sur Swings

Laboratoires impliqués dans le projet Swings

  • Laboratoire des sciences de l'environnement marin (CNRS/Ifremer/IRD/Université de Bretagne occidentale)
  • Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (CNRS/Cnes/IRD/Université Toulouse III - Paul Sabatier)
  • Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/ENS-PSL/École polytechnique-Institut Polytechnique de Paris/Sorbonne Université)
  • Laboratoire d'océanographie et du climat : expérimentations et approches numériques (CNRS/IRD/MNHN/Sorbonne Université)
  • Centre européen de recherche et d'enseignement de géosciences de l'environnement (CNRS/Inrae/IRD/Aix-Marseille Université)
  • Laboratoire d'océanographie microbienne (CNRS/Sorbonne Université)
  • Institut méditerranéen d'océanologie (CNRS/IRD/Université de Toulon/Aix-Marseille Université)
  • Laboratoire Climat, environnement, couplages et incertitudes (CNRS/Cerfacs)
  • Division technique de l'INSU du CNRS