IASI, un allié spatial pour étudier atmosphère, météo et climat

Décryptage Océan Atmosphère

Depuis 2006, le spectromètre infrarouge IASI a été installé sur plusieurs satellites météorologiques qui orbitent autour de la Terre. En réceptionnant le rayonnement infrarouge émis par notre planète après sa traversée de l’atmosphère, il permet aux scientifiques d’en déduire les caractéristiques et la composition de l’atmosphère sur l’ensemble du globe. Ces données sont utilisées pour améliorer les prévisions météo, étudier le changement climatique, analyser l’efficacité des réglementations visant à le limiter, et repérer certains évènements comme les éruptions volcaniques ou les feux de forêts. La cinquième conférence IASI, qui se tient du 6 au 10 décembre 2021, permet aux scientifiques de partager et examiner les derniers résultats obtenus grâce à cet instrument.

L’instrument IASI (Interféromètre atmosphérique de sondage dans l’infrarouge), développé par le CNES en coopération avec EUMETSAT, est installé sur trois satellites météorologiques européens, Metop-A, B et C, lancés en 2006, 2012 et 2018. Le premier Metop a récemment été désactivé car sa durée d’activité était écoulée.

Il s’agit d’un spectromètre qui enregistre le rayonnement infrarouge émis par la Terre. Depuis son orbite à environ 800 km d’altitude, il scanne la totalité de l’atmosphère terrestre deux fois par jour, à 9h30 et 21h30. Les données sont réceptionnées par une antenne parabolique sur Terre et envoyées aux laboratoires en quasi temps réel (deux heures après le passage du satellite au plus tard). Elles sont ensuite analysées à l’aide de programmes informatiques automatisés. Ce sondeur atmosphérique a déjà enregistré plus de 45 milliards d’observations qui sont utilisées dans plusieurs domaines.

 

1. La prévision météo

 

À partir des spectres enregistrés par IASI, on peut déduire la température et l’humidité de l’atmosphère, ainsi que la température de surface des océans (qui permet d’anticiper la formation de cyclones) et la température de surface des continents en ciel clair. Il restitue, par couche de 1 km d'épaisseur, les températures avec une précision de 1°C et l'humidité avec une précision de 10 %. IASI a ainsi un œil sur tous les compartiments du système Terre. Ces mesures représentent la principale source d’information pour élaborer les prévisions météo (c’est 60 % des données utilisées par Météo France par exemple). Ainsi, leur utilisation a permis d’affiner la qualité des prévisions à l’échelle de la journée et au-delà, notamment en permettant de mieux localiser les zones pluvieuses et de mieux anticiper l’évolution des tempêtes. Il a ainsi été établi qu’IASI est le meilleur sondeur météorologique jamais développé.

Carte des températures globales moyennée en été © S. Safieddine

2. L’étude du changement climatique

 

La Terre émet naturellement du rayonnement infrarouge. En traversant l’atmosphère, ce rayonnement est modifié par les molécules et particules de l’atmosphère qui en absorbent ou en diffusent une partie. IASI enregistre en continu ce signal modifié. L’analyse de ces enregistrements (spectres) permet ainsi de connaître la composition de l’atmosphère.

Exemple de spectre infrarouge terrestre. Les régions d’absorptions des principaux composés atmosphériques sont indiquées. © S. Whitburn

IASI permet de suivre un grand nombre de paramètres essentiels à la surveillance de l’évolution du climat (propriétés radiatives des surfaces, nuages, poussières désertiques, gaz à effet de serre, couche d’ozone en Antarctique) et d’en déduire leurs tendances sur près de 15 ans. L’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) est ainsi sans appel : elles ont augmenté respectivement de 7,7 et 6,4 % en quatorze ans.

 

Série temporelle de CO2 et CH4 estimée à partir de IASI/Metop-A de 2007 à 2020 © C. Crevoisier
Évolution du CO2 dans la moyenne troposphère vue par IASI/Metop-A de 2007 à 2020 en fonction de la latitude. L’augmentation globale, la variation saisonnière et le gradient latitudinal sont bien visibles. © C. Crevoisier

Le CO2 d’origine anthropique est principalement émis lors de la combustion d’énergies fossiles et le CH4provient en grande partie des activités agricoles, de l’élevage, de la gestion des déchets et de l’industrie gazière. À eux seuls, ces deux gaz sont responsables de 80 % du réchauffement global. En octobre 2021, une étude1 publiée dans la revue Nature climate and atmospheric science a analysé les données d’IASI entre 2008 et 2017 pour en déduire les modifications du bilan radiatif terrestre dans l’infrarouge. Outre la part du réchauffement dû à l’augmentation des gaz à effet de serre, l’étude montre également la diminution des concentrations en CFC-11 et CFC-12, deux composés responsables du trou dans la couche d’ozone. Très utilisés dans les circuits de réfrigération et les mousses isolantes depuis les années 1920, ils ont été interdits par le protocole de Montréal qui est entré en vigueur en 1989. Ces résultats viennent confirmer l’efficacité du protocole.

Grâce à IASI, les scientifiques peuvent donc réaliser un suivi régulier de près d’une vingtaine de variables climatiques afin de valider les modèles climatiques et évaluer l’efficacité des réglementations mises en place.

Altitude des aérosols poussières désertiques traversant l’Europe les 22 et 23 février 2021. Les particules de sable sont transportées par des vents violents provenant du Sud et survolent la France et le Nord-Est de l’Europe. © V. Capelle

3. Le suivi des évènements atmosphériques

 

Il était initialement prévu qu’IASI observe une dizaine de gaz, mais c’est en réalité 33 composants atmosphériques qui sont aujourd’hui mesurés avec une très grande précision. Certains d’entre eux, comme l’ammoniac, sont cartographiés depuis l’espace pour la première fois. Plusieurs types d’évènements terrestres peuvent être détectés ou suivis grâce à certains de ces gaz :

  • Le monoxyde de carbone (CO) est émis en grandes quantités par les incendies
  • Le dioxyde de soufre (SO2) est un indicateur d’éruption volcanique
  • L’ammoniac (NH3) est un gaz caractéristique de l’agriculture intensive et de l’élevage
  • L’ozone est responsable de pics de pollution, notamment en période de canicule
  • L’acide formique est associé à la croissance des forêts
Monoxyde de carbone mesuré par IASI entre le 20 et le 30 juin 2020. En mauve, on observe des concentrations élevées de CO dans les fumées des grands feux en Sibérie et via la pollution émise au-dessus de la Chine. © S. Safieddine

Les scientifiques qui suivent ces données en temps réel peuvent donc donner des alertes en cas d’évènement extrême. Lors de l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull en avril 2010, le suivi des déplacements du nuage de SO2 et de cendres permit de délimiter les zones à risque pour l’aviation. En octobre de la même année, IASI donna l’alerte la veille de l'éruption du volcan indonésien Merapi, sauvant ainsi des milliers de vies.

Distribution spatiale de SO2 observée par IASI suite à trois éruptions volcaniques majeures © Lieven Clarisse et Maya George

Entre 2023 et 2038, trois satellites Metop-SG (seconde génération) viendront remplacer ceux actuellement en place. Ils seront équipés de l’instrument IASI-NG (nouvelle génération) qui, grâce à sa configuration optique innovante, aura deux fois plus de résolution spectrale et de signal instrumental qu'IASI et sera donc encore plus précis.

1 Trends in spectrally resolved outgoing longwave radiation from 10 years of satellite measurements

 

Marie Perez

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