La campagne Magic 2021 s’envole vers la Scandinavie pour mesurer les gaz à effet de serre

Décryptage Campagne Océan Atmosphère

Pour la quatrième mission de l’initiative Magic1 , lancée en 2017, les scientifiques vont se rendre au-delà du cercle arctique. Dans cette région qui se réchauffe deux fois plus vite que le reste du globe, ils étudieront la répartition atmosphérique des gaz à effet de serre grâce à des instruments au sol, des ballons et des avions de recherche. Cyril Crevoisier, chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD-IPSL) et principal investigator de la mission, nous explique son déploiement et ses objectifs.

  • 1 Monitoring de la composition Atmosphérique et des Gaz à effet de serre à l’aide d’Instruments déployés dans des Campagnes de mesures

En quoi consiste la mission ?

 

La campagne de terrain Magic2021 va mesurer les deux principaux gaz à effet de serre (GES) anthropiques : le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) dans la région circumpolaire arctique, c’est-à-dire au-delà du cercle arctique. Plus spécifiquement, elle vise le nord de la Suède, de la Finlande et de la Norvège, du 14 au 27 août. Nous allons étudier à la fois les émissions d’origine naturelle et d’origine anthropique (plateformes pétrolières et centrales électriques). La question des sources naturelles de méthane est particulièrement compliquée car il en existe beaucoup et elles ne sont pas évidentes à quantifier – en particulier les lacs, zones humides, marécages, tourbières –  à ces latitudes. Le satellite Sentinel-5P de l’ESA a récemment détecté des hot spots naturels de méthane au niveau du lac Inari en Finlande et nous allons notamment tenter de confirmer ces observations. La campagne est pilotée par le CNRS et le CNES et soutenue par l’agence spatiale allemande (DLR), l’ESA, EUMETSAT et la NASA.

Le cercle arctique est représenté en bleu sur la carte

Quels sont ses objectifs ?

 

L’initiative Magic, lancée en 2017, a créé un cadre multi-équipes, multi-missions et multi-instruments pour la communauté scientifique française, avec deux objectifs principaux. D’une part, améliorer notre connaissance de la distribution atmosphérique des GES anthropiques et des flux associés. En effet, la distribution verticale des GES, en particulier dans la moyenne à haute troposphère et dans la stratosphère, reste encore méconnue car la plupart des réseaux existant ne réalisent que des mesures de surface. D’autre part, préparer les futures missions spatiales françaises pour le suivi des GES, annoncées lors de la COP21. Il s’agit de Merlin (mission franco-allemande pour la mesure du méthane), MicroCarb (mission française pour la mesure du dioxyde de carbone) et IASI-NG (mission européenne pour la mesure de la composition atmosphérique et du climat).

La structure de l’atmosphère © Météo France

Pourquoi avoir choisi d’étudier la région circumpolaire arctique cette année ?

 

Les trois premières campagnes, en 2018, 2019 et 2020, ont eu lieu en France et ont permis de réaliser des tests techniques et de confirmer les protocoles de mesure. Pour la première grande campagne scientifique cette année, nous avons choisi la région circumpolaire arctique pour plusieurs raisons. Déjà, car il s’agit d’un endroit clé pour comprendre le cycle du carbone et du méthane puisque présentant de nombreux puits et sources. Ensuite, parce qu’elle se réchauffe deux fois plus vie que le reste de la planète, ce qui pose beaucoup de questions sur les conséquences de ce réchauffement. Par exemple, la fonte du pergélisol, le sous-sol gelé, relâche le méthane qui y est piégé, mais en quelles quantités ? Enfin, c’est une région où il y a très peu de stations d’observation et où les mesures par satellites sont compliquées. En effet, les satellites dédiés au GES observent principalement le rayonnement solaire et, dans ces hautes latitudes, non seulement le rayonnement est très faible une bonne partie de l’année, mais en plus certaines surfaces comme la neige et les zones humides perturbent l’observation.

Quels instruments seront utilisés ?

 

Nous aurons recours à une vingtaine d’instruments de télédétection installés sur trois avions de recherche, des ballons atmosphériques et des stations au sol. Il y a deux innovations dans cette campagne. Déjà, l’avion ATR42 de l’unité Safire (service des avions français instrumentés pour la recherche en environnement) sera équipé de deux lidars1 , un qui mesure les concentrations des GES (le lidar CHARM-F développé par le DLR et démonstrateur aéroporté de la mission Merlin) et l’autre la distribution du vent. C’est la première fois que ces deux instruments voleront ensemble et ça nous permettra d’en déduire directement les flux de GES. La disponibilité du lidar CHARM-F sur l’ATR42 de Safire est un signe fort de la coopération franco-allemande pour la préparation de la mission Merlin.

  • 1La télédétection par lidar est une technique de mesure à distance. Il s’agit d’envoyer un faisceau lumineux (souvent issu d’un laser) vers une cible et de mesurer la distance et les propriétés de cette cible grâce au faisceau qu’elle renvoie.
ATR42 de l’unité SAFIRE © SAFIRE

L’autre innovation, c’est de déployer simultanément plusieurs dispositifs dans les mêmes zones. Pris individuellement, chacun mesure des caractéristiques différentes des GES. Les instrument sols ou les lidars aéroportés vont mesurer des concentrations intégrées de GES, une sorte de moyenne pondérée des concentrations aux différentes altitudes. Ainsi, un instrument au sol va fournir une concentration moyenne sur l’ensemble de la colonne atmosphérique et un avion sur la partie de la colonne entre le sol et son altitude de vol. Seul le ballon permet de connaître les concentrations à différentes altitudes puisqu’il monte puis redescende au gré des vents, mais, par contre, impossible de maîtriser sa trajectoire. Ces moyens de mesure sont donc complémentaires, ce qui nous a donné l’idée de les coupler pour aboutir à des profils de GES plus précis. Deux types de ballons seront utilisés : des petits ballons qui montent jusqu’à une trentaine de kilomètres, explosent, et relâchent leurs instruments au sol grâce à un parachute, et les gros ballons de la campagne Klimat 2021. Il s’agit d’une campagne menée chaque année par le CNES qui déploie des ballons stratosphériques, hauts comme la tour Eiffel et capables d’embarquer jusqu’à 2 tonnes de matériel ! On peut donc y mettre plus d’instruments et accéder à des altitudes plus élevées.

Préparation pour un vol de Ballon Stratosphérique Ouvert sur la base de Kiruna en aout 2016 © Olivier Membrive, 2016

Anticipez-vous des difficultés ?

 

Outre la situation sanitaire qui fait peser un risque d’annulation jusqu’au dernier moment, le seul véritable obstacle dans ce type de campagne est la météo. C’est elle qui décide quand on vole. En 2019, les deux semaines de mesures prévues se sont transformées en deux jours. Heureusement, cela a été suffisant pour confirmer le principe de couplage des instruments.

Qu’est-ce qui est prévu pour les futures missions ?

 

Magic2022 s’intéressera aux émissions anthropiques de CO2 de Reims, une ville de taille moyenne. Très peu d’études sont menées sur des villes de cette taille, la plupart étant réalisées sur les mégalopoles. Nous encerclerons Reims avec une dizaine de capteurs au sol. En 2023, nous espérons pouvoir aller en région tropicale où beaucoup de questions sur le cycle du carbone se posent encore, avant de participer pleinement aux campagnes de « calibration/validation » des missions MicroCarb et IASI-NG qui suivront leur lancement. Le tout en poursuivant les collaborations tant nationales qu’internationales établies ces trois dernières années.

 

Propos recueillis par Marie Perez

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Contact

Cyril Crevoisier
Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) / IPSL