L'effet de hammam : quand l’océan chaud bouleverse les prévisions atmosphériques

Résultat scientifique Océan Atmosphère

L'atmosphère est un système chaotique, ce qui limite la prévisibilité du temps à quelques dizaines de jours. Le changement climatique en cours peut-il altérer cette limite en facilitant ou entravant la prévision météorologique ? À l'aide d'une approche mathématique innovante, une équipe européenne1 a découvert qu’un océan plus chaud de 4°C, à l’image d’un hammam, modifierait significativement les propriétés chaotiques de l’atmosphère, en facilitant les prévisions météorologiques. Est-ce une bonne nouvelle ? Pas vraiment, car les régimes de temps (alternances de perturbations et de temps stable) seraient profondément altérés et que ces modifications pourraient être le premier symptôme d’un dérèglement majeur.

  • 1Les laboratoires et institutions impliquées sont les suivants : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE/IPSL, CNRS / CEA / UVSQ) Université de Stockholm & Université d’Uppsala (Suède) et Centro euro-Mediterraneo sui Cambiamenti Climatici (Italie)

Les effets des émissions anthropiques sur le climat sont indéniables. Si le réchauffement de la planète est étudié depuis longtemps, les modifications éventuelles de la circulation atmosphérique induites par les gaz à effet de serre restent un champ d’étude très ouvert pour les scientifiques. Elles reposent sur les propriétés de l’atmosphère dont la dynamique obéit aux lois du chaos : les prévisions météorologiques sont inévitablement vouées à l’échec après une dizaine de jours car sensibles aux petites perturbations des conditions initiales. C’est pourquoi, une équipe européenne de chercheurs1 s'est demandée si le changement climatique en cours pouvait faciliter ou compliquer la prévision météorologique en bouleversant le chaos atmosphérique.

Pour répondre à cette question, les chercheurs ont analysé les données de pression atmosphérique au niveau de la mer dans la région de l’Atlantique Nord pour la période 1850-2100. Cette variable est en effet un traceur de la circulation atmosphérique aux moyennes latitudes et présente l’avantage d’être mesurée depuis longtemps. Cette étude inclut de longues séries d’observations ainsi que les modèles climatiques du GIEC. Les chercheurs ont ainsi pu étudier la cohérence des changements de prévisibilité entre les modèles et les observations pour la période historique et étudier les effets dans le futur de différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre.
Pour "mesurer" la prévisibilité, les chercheurs ont employé des techniques récentes développées dans le contexte de la théorie des systèmes dynamiques, une branche des mathématiques appliquées. L’indicateur de changement de prévisibilité utilisé était la dimension locale : chaque jour, la circulation atmosphérique peut évoluer selon un nombre fini de possibilités et si la dimension locale est petite, l’atmosphère est plus prévisible.

Les chercheurs ont trouvé que la dimension locale diminuait dans la majorité des bases de données quand la température globale augmentait. Dans les observations qui assimilent des données océaniques en plus des données atmosphériques (CERA20C), ils ont remarqué des comportements contrastés. De plus, ils ont constaté que certains modèles du GIEC ne montraient pas une diminution significative de la dimension. Ceci les a incité à enquêter pour savoir si l’océan était coupable de ces désaccords.

Pour trouver la réponse, les chercheurs ont utilisé trois ensembles de simulations climatiques idéalisées, réalisées avec des émissions de gaz à effet de serre constantes : un ensemble de simulations dans des conditions similaires au présent, un ensemble avec un océan plus chaud de 4°C et un dernier ensemble avec quatre fois la teneur actuelle en CO2. Ils ont remarqué qu'une augmentation significative de prévisibilité était associée aux simulations avec un océan plus chaud, à l’image d’un hammam.
L’effet hammam altère significativement les propriétés chaotiques de l’atmosphère, ce qui facilite les prévisions météorologiques. Ce n’est pas vraiment une bonne nouvelle parce que ces changements correspondent à de profondes modifications de l’atmosphère : les régimes de temps (alternances de perturbations et de temps stable) seront profondément altérés. De plus, bien que l’analyse des modèles climatiques du GIEC faite par les chercheurs ne montre pas de perturbation catastrophique de la circulation atmosphérique avant 2100, l’analogie avec des modèles mathématiques du chaos suggère que les modifications détectées pourraient être le premier symptôme d’un dérèglement majeur.

 

  • 1Les laboratoires et institutions impliquées sont les suivants : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE/IPSL, CNRS / CEA / UVSQ) Université de Stockholm & Université d’Uppsala (Suède) et Centro euro-Mediterraneo sui Cambiamenti Climatici (Italie)
Illustration scientifique
Dimension locale (moins sa valeur en 2000) pour tous les ensembles d’observations (CERA20C, ERA20CM, 20CRv2C) et modèles (CMIP5, CESM, CMIP5 RCP45 et CMIP RCP85). Lignes = moyenne d’ensemble. Points = valeurs de chaque membre de l’ensemble.

Source

Davide Faranda, M Carmen Alvarez-Castro, G Messori, D Rodrigues, P Yiou. The hammam effect or how a warm ocean enhances large scale atmospheric predictability. Nature Communications, March 2019. DOI: 10.1038/s41467-019-09305-8

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