MAJIS, un spectro-imageur pour explorer Jupiter et ses lunes

Décryptage Univers

Plus grande géante gazeuse du système solaire, Jupiter s’avère un objet d'étude particulièrement intéressant dans la mesure où l’on rencontre fréquemment ce type de planète en orbite autour d'autres étoiles que le Soleil. Par ailleurs, ses nombreuses lunes (près de 80 identifiées à ce jour) font du système jovien un véritable système solaire miniature. Les plus grandes parmi celles-ci, Europe Ganymède et Callisto, sont des « lunes glacées », dont on pense qu’elles hébergeraient des océans salés sous leur surface. Si on les explorait, y trouverait-on de la vie ?

Fin août-début septembre 2022 partira justement la sonde JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui va explorer le système de Jupiter. Ce sera la première fois que l’Europe s’aventure seule dans le système solaire externe. En développement depuis presque dix ans, l’ensemble des instruments de cette sonde sont donc en voie de finalisation. Il y a quelques jours, l’Institut d’astrophysique spatiale (IAS) a livré à Airbus la dernière unité dont il est responsable scientifique et maitre d’œuvre. La conclusion d’une aventure qui a démarré en 2009 !

Nous avons fait le point sur cet instrument spatial, ses défis et les enjeux scientifiques de cette mission avec Cydalise Dumesnil, responsable technique de l’instrument, et François Poulet, PI de l’instrument, tous deux à l’IAS.

JUICE, à la découverte de Jupiter et ses lunes glacées

Fin août-début septembre 2022, la sonde JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) partira en direction de Jupiter. Elle arrivera à destination en 2031, et devrait nous permettre d’en savoir plus sur le système jovien qui recèle une grande diversité d’objets et de processus physiques complexes (planète géante, anneaux, satellites glacés présentant des océans salés dans leur sous-sol, magnétosphère s’étendant sur plus de sept millions de kilomètres en direction du Soleil et quasiment jusqu'à l'orbite de Saturne, volcanisme sur Io, satellites irréguliers). Pendant 4 ans, la mission observera de manière régulière l’atmosphère et la magnétosphère de Jupiter, ainsi que ses lunes grâce à plusieurs dizaines de survols. Elle se mettra ensuite en orbite, à une altitude de 500 km autour de Ganymède en 2035, d’où elle étudiera la surface glacée, la structure interne et l’exosphère du satellite jovien. S’il reste assez de carburant, la sonde descendra à 200 km de la lune afin d’explorer au mieux sa structure interne.

Huit laboratoires du CNRS1 sont associés, toujours en étroite collaboration avec le CNES (qui est maitre d’ouvrage) à quatre des dix instruments embarqués par JUICE pour mener à bien sa mission : RPWI, PEP, SWI, UVS, RIM et MAJIS. C’est sur ce dernier instrument que la contribution française est la plus remarquable.

MAJIS pour caractériser l’atmosphère jovienne et la surface des satellites

MAJIS, pour « Moons And Jupiter Imaging Spectrometer », est un spectromètre imageur (extrayant des informations de la lumière solaire réfléchie ou de l’émission thermique propre des objets qu’il observe) hyper-spectral (mesurant de nombreuses bandes étroites du spectre électromagnétique). À travers deux voies différentes, MAJIS couvrira en effet les longueurs d'ondes visible et infrarouge (500-5540 nm) avec une résolution spatiale de moins de 100 m à quelques km lors des survols des satellites et de 125 kilomètres pour Jupiter !

Grâce à ses capacités de spectroscopie et d’imagerie, le travail de MAJIS sera de caractériser la composition de l’atmosphère jovienne ainsi que les surfaces et les exosphères des satellites. Lorsque JUICE sera proche de ses objets d’étude, d’autres instruments, notamment un radar, interviendront de manière complémentaire pour sonder la structure interne des satellites et leur exosphère.  

L’instrument est constitué de 3 sous-systèmes distincts : La tête optique (Optical Head) qui comprend notamment le télescope et les spectromètres, l’électronique (Main Electronics), qui assure le pilotage de l’instrument et le traitement des données grâce à un logiciel de bord spécifiquement développé, et enfin un Harnais, qui assure la connexion entre les deux premières unités.

C’est l’Institut d’astrophysique spatiale qui avait la charge du développement de l’instrument complet, au sein d’un consortium technique (voir encadré ci-dessous).

  • 1IAS, IPAG, IRAP, LATMOS, LERMA, LESIA, LPC2E, LPP

Majis

Intégration de MAJIS dans la cuve thermique et sous-vide en vue de l'étalonnage à l'IAS

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Des défis à relever

Ceci ne s’est pas fait sans quelques défis techniques !

D’abord, en tant qu’instrument cryogénique, la tenue au froid de ses différents éléments optiques doit être garantie. Il a donc fallu mettre en place un système piloté par les radiateurs afin de refroidir l’instrument. Ensuite, le système jovien étant un environnement radiatif assez particulier, il a fallu blinder les composants électroniques et certaines optiques … mais la masse s’est alors avérée trop importante par rapport à la masse allouée. L’optimisation a été assez complexe.

Par ailleurs, la grande couverture spectrale a nécessité d’avoir deux voies complexifiant la chaine de détection complète avec des détecteurs infrarouge spécifiquement développés pour le projet MAJIS. Pour simplifier les opérations en vol, on a eu l’idée d’utiliser d’un scanner sur lequel est déposé un miroir qui permet de positionner l’angle de visée de MAJIS dans une direction privilégiée pour l’observation.

Tout ceci se déroulant dans des temps contraints ! En effet, il y avait un impératif fort en termes de planning du fait d’une part du nombre réduit de fenêtres de lancement et d‘autre part de la masse de JUICE et de sa charge utile qui requièrent un lanceur lourd. Pour ces raisons le lancement ne peut être fait que par Ariane 5 ou Ariane 64. Mais en 2023, il n’y aura plus d’Ariane 5 … tandis qu’Ariane 64 ne sera peut-être pas encore opérationnel.

En tous cas, une chose est certaine : l’instrument MAJIS est prêt pour son intégration sur le satellite ! Cydalise Dumesnil et François Poulet n’ont plus qu’à s’armer de patience avant de récolter les fruits de leur travail, qui participera à de multiples découvertes sur le système jovien…  à partir de 2031 ! Mais heureusement, des survols de Vénus et du couple Terre-Lune (et peut être d’astéroïdes si la trajectoire le permet) permettront de patienter lors de la phase de croisière.

Le consortium technique

Le CNES est maitre d'ouvrage de l'instrument. L’Institut d’astrophysique spatiale avait quant à lui la charge du développement de l’instrument complet, au sein d’un consortium technique avec les italiens, dont notamment l’agence spatiale italienne (ASI), l’Institut d’astrophysique spatiale de planétologie italienne (IAPS), qui est co-PI, et enfin le constructeur aéronautique italien Leonardo Company. La contribution de ce dernier concerne la tête optique. On note également une contribution du Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA) au segment sol, et une participation de laboratoires belges chargés des tests de radiations et de la caractérisation des détecteurs d’une des 2 voies de MAJIS. Ce sont donc plusieurs dizaines d’ingénieurs, de techniciens et de scientifiques d’instituts publics et partenaires privés en France, Italie, Belgique et Etats-Unis qui ont participé à la réalisation de cet instrument pendant plusieurs années. L’équipe scientifique est quant à elle constituée de 56 scientifiques provenant de 7 pays.

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