Mayobs 13 : une campagne océanographique mouvementée !

Terre Solide

Petit retour en arrière : mai 2018, les habitants de Mayotte ressentent pendant plusieurs semaines, et fortement, une série de séismes. Afin de comprendre ce qui se passe dans cette zone d’ordinaire calme, une première campagne océanographique est montée. Les scientifiques découvrent alors un volcan sous-marin en formation au large de Mayotte ! Nous sommes alors en mai 2019. On installe un réseau de surveillance. Avril 2020, alors qu’il est prévu d’y retourner pour relever les données sur les différents instruments … le confinement vient s’en mêler ! L’histoire, racontée par Eric Humler, responsable du réseau de surveillance volcanologique et sismologique de Mayotte (REVOSIMA) et coordinateur de la première mission, nous démontre que pour récupérer de précieuses données, on peut toujours compter sur la détermination des scientifiques !

Quel est le contexte à Mayotte ?

Il y a déjà deux ans, à partir du 10 mai 2018, une série de séismes a paniqué la population. Plusieurs séismes ont été ressentis, dont l’un a dépassé 5 de magnitude, des bâtiments ont été fissurés. Ce n’était pas habituel dans cette région du globe : le dernier en date remontait à 1995.  

Une mission du Groupe d’Intervention Macrosismique (GIM) pilotée par le BCSF-RénaSS est dépêchée sur l’ile. Puis, pour comprendre les phénomènes en cours et leur évolution, le CNRS coordonne, très vite, un appel d’offre auquel répondent plusieurs laboratoires impliquant une quarantaine de scientifiques. Une campagne océanographique, composée de scientifiques du CNRS, du BRGM, de l’IFREMER et de l’IPGP, démarre. L’île et les fonds sous marins à l’est des côtes Mahoraise sont équipés de sismomètres et de stations GPS.

En mai 2019, les scientifiques découvrent …  le quatrième volcan actif français, en formation, sous leurs yeux !  Situé à 50 km de l’île et à 3 500 m de profondeur, il fait 800 mètres de hauteur avec une base de 4 à 5 km de diamètre.

Afin de suivre l’activité sismo-volcanique et géodésique de l’île, l’Etat créé le Réseau de surveillance Volcanologique et Sismologique de Mayotte (REVOSIMA), coordonnée par la Délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer (DIRMOM).

Que s’est-il passé dernièrement ?

Si les réseaux permettent d’obtenir des données sismologiques et géodésiques en continus,  en revanche depuis août dernier, on ne savait pas si l’activité volcanique sous marine se poursuivait ou non. Pour cela, il n’y avait qu’une solution : aller voir ! De plus les sismomètres fond de mer (OBS) n’ont pas une durée de vie infinie. Leur batterie doit être rechargée … et si on ne les récupère pas rapidement, on perd les données et les appareils !

Comble de malchance, cette nécessité coïncide avec le début du confinement en France ! On espère alors quand-même pouvoir profiter du Marion Dufresne, théoriquement de passage dans les environs fin avril, mais ça s’avère impossible avant la fin de l’année. Comment faire ? Il y a quand même un million de matériel sous l’eau !

Cela ne nous laisse que quelques jours pour nous retourner … Une option se présente mais il faut faire vite. Il s’agit d’une mission, non pas avec un, mais avec deux navires océanographiques ! Une première mission sera effectuée avec un bateau privé de prospection pétrolière très bien équipé, le Gauss (de la société Fugro), dont on va téléguider le travail sur zone a partir d’un PC scientifique depuis Brest, et d’autre part un bateau de la Marine nationale en mission humanitaire liée au COVID-19, le Champlain, qui sera rejoint par quatre scientifiques de l’Ifremer, de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), sachant que d’habitude il y a entre 15 et 30 scientifiques à bord sur ce type de mission. A eux deux, les bateaux peuvent balayer toute la zone nécessaire. Parallèlement, il faut s’assurer de l’envoi  de 600 kilos d’équipement par avion jusqu’à La Réunion. C’est l’armée qui effectuera cette mission le 4 mai. Les scientifiques quant à eux arriveront le 21 avril à Saint-Gilles pour une quatorzaine stricte et des tests covid avant l’embarquement qui aura lieu le 6 mai.

Là débute une mission d’un type assez particulier ! Son déroulement  se fait au jour le jour, et en téléconférence entre Brest et le Gauss. Tous les jours, les ingénieurs à bord du Gauss font remonter les résultats principaux et sont guidés par les scientifiques depuis la France. Grâce à son équipement, le Gauss permet de faire une cartographie du fond sur 1500 km² : un sondeur sous la coque émet des ondes acoustiques sur une large surface sous-marine. En traversant la colonne d’eau et en se réfléchissant sur le fond, ces ondes permettent de construire une carte bathymétrique nous renseignant sur le relief sous-marin, d’identifier la présence éventuelle de nouvelles coulées de lave, ainsi que de détecter des émissions de gaz ou de particules dans la colonne d’eau.

De son côté, le Champlain part à la chasse aux OBS et en récupère 7 sur 9. La plupart des données sont sauvées !

Qu’a-t-on appris ?

L’analyse des données reste encore à effectuer et donnera lieu à des communications ultérieures. Elles doivent par ailleurs être croisées avec les autres observations sismologiques, géodésiques, géologiques et géochimiques disponibles à ce jour pour contribuer à un scénario d’évolution plus général.

Pour le moment, on sait juste que l’activité se poursuit, mais pas sur le volcan initialement découvert, qui fait toujours 800 m de haut et 5km de diamètre. En revanche, au nord-ouest du volcan, on a des preuves d’une activité volcanique mise en place après août 2019. Au large de Petite-Terre, de nouveaux panaches de gaz et fluides ont été découverts.

Est-ce le rôle des chercheurs d’effectuer la surveillance d’un volcan ?

En théorie non ! Mais surveillance et recherche sont intimement liées dans des cas comme celui-ci ! En surveillant, on accumule  des données géophysiques, géochimiques et géologiques … qui nourrissent la recherche. Et l’inverse est vrai : la recherche académique nourrit la surveillance. Nous cherchons par exemple à trouver des signaux « précurseurs » d’évènements sismo-volcanique, c’est-à-dire des évènements, minuscules noyés dans les données, qu’il faut identifier pour pouvoir anticiper une éruption volcanique à venir.

C’est la première fois au monde que l’on peut suivre quasiment un direct la naissance d’un volcan sous marin et mesurer en temps réel l’ensemble des paramètres physiques et chimiques qui accompagne sa naissance.  Celle-ci est-elle obligatoirement précédée par un essaim de séismes ?  Ce volcan est-il lié à une anomalie thermique comme celui de l’Ile de la Réunion ? Est-ce lié à  un contexte géologique accompagné de failles en extension ?

Derrière la surveillance, il y a de vraies questions scientifiques et une recherche académique qui se fait au service de la société.

Encadré : Comment peut-on surveiller un tel volcan ?

  • Les satellites nous permettent de surveiller le déplacement de l’île et de la voir s’enfoncer.
  • Des capteurs GPS permettent de mesurer également son déplacement
  • Les OBS sont des sismomètres posés au fond de la mer. Ils enregistrent l’activité sismique au plus proche de l’origine des ondes sismiques.
  • Des spectromètres traditionnels permettent l’analyse de la composition chimique des gaz.
  • Des Scampi qui sont des caméras qui vont sous l’eau (jusqu’à 6000 mètres) peuvent nous donner des images haute résolution.
  • On espère un jour pouvoir envoyer un sous-marin mais le coût de revient est très cher.

En savoir plus

  • Sur la découverte du volcan

La naissance d'un volcan sous la mer, novembre 2019, émission sur France Inter, avec Anne Le Friant, volcanologue, directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe à l’Institut de Physique du Globe de Paris en charge des observatoires, et Eric Humler.

  • Sur la dernière campagne

Succès des campagnes maritimes de surveillance du phénomène sismo-volcanique au large de Mayotte, communiqué de presse du ministère de la transition écologique et solidaire

Communiqué de presse de la Préfecture de Mayotte avec la synthèse des principaux résultats