Tourbière à Saint-Pierre-et-Miquelon, îles où la part de territoire occupée par les tourbières est la plus grande du territoire français. C'est dans cet habitat que croissent la plupart des plantes carnivores. © Erwan Amice / LEMAR / CNRS Photothèque

Menace sur les zones humides !

Décryptage Surfaces continentales

Qu’on les appelle marais, lagunes, mangroves, ou rizières… l’appellation « zone humide » regroupe un grand nombre d’écosystèmes. Entre terre et eau, ces milieux sont de formidables puits de carbone et réserves de biodiversité. Ils contribuent également à l’alimentation et à l’approvisionnement en eau potable d’une grande partie de la population mondiale. Alors que, dans la lutte contre le changement climatique, nous nous avons besoin de tous les alliés disponibles, nous sommes en train de faire disparaitre l’un des plus précieux. D’où l’urgence de préserver les zones humides et de mieux connaître leur fonctionnement.

Une multitude d’écosystèmes

 

Marais, tourbières, prairies humides, lagunes, mangroves, estuaires, récifs coralliens, rizières… l’appellation « zone humide » regroupe un grand nombre d’écosystèmes, depuis le sommet des montagnes jusqu’aux côtes littorales. Il s’agit de terres recouvertes d’eaux peu profondes ou imprégnées d’eau de façon permanente ou temporaire, d’origine naturelle au anthropique.

Superficie relative (en %) des différentes catégories de zones humides naturelles intérieures dans le monde © Davidson et al. 2018
Superficie relative (en %) des différentes catégories de zones humides naturelles marines/côtières dans le monde © Davidson et al. 2018
Répartition des zones humides (en %) dans le monde © Davidson et al. 2018

Par sa présence dans de nombreuses régions du monde, la France possède une grande diversité de zones humides. L’une des plus emblématiques est sans doute la Camargue, située au bord de la Méditerranée, à l’intérieur du delta du Rhône. Il s’agit de la seule zone de reproduction pour les flamants roses en France.

Colonie de flamants roses dans le Parc naturel régional de Camargue © Jérôme Fournier / CNRS Photothèque

De nombreux services rendus

 

Grâce à l’abondance de l’eau et des matières nutritives, les zones humides se caractérisent par une importante productivité biologique et une biodiversité exceptionnelle. Elles abritent les plantes halophytes (plantes des milieux salés) et la quasi-totalité des amphibiens, mais aussi une multitude de mollusques, crustacés, poissons, oiseaux. Le rapport 2018 de la Convention de Ramsar estime que 40 % des espèces de la planète y vivent ou s'y reproduisent, dont 12 % des espèces animales, et qu’elles sont particulièrement importantes pour les espèces migratrices. En France, environ 50 % des espèces d’oiseaux en dépendent. D’après ce même rapport, 14 % de la population mondiale dépend des zones humides pour vivre. Entre la production agricole (herbages, riz, légumes, sel etc.), la pêche, l’élevage de coquillages, et l’extraction de matières premières (bois, roseaux, argile, osier etc.), ces milieux leurs fournissent nourriture et/ou travail.

Elles jouent, par ailleurs, un rôle majeur dans le cycle de l'eau. Leur capacité à stocker d’importantes quantités d’eau, telle une éponge, leur permet d’alimenter les eaux souterraines qui sont l’une de nos principales sources d’eau potable. En France, par exemple, l’eau potable provient à 60 % de nappes souterraines et à 40 % de cours d’eau. Cela leur confère aussi une fonction de protection. À l’intérieur des terres, elles ralentissent le ruissellement et régulent le débit des cours d’eau, et en zone côtière, elles représentent une barrière naturelle contre les raz-de-marée. Le rôle protecteur des mangroves et des forêts côtières a clairement été démontré après le tsunami de 2004 survenu dans l’océan Indien : les dégâts matériels ont été bien moins importants là où les mangroves n’avaient pas été remplacées par des rizières ou des constructions. Que ce soit dans les terres ou sur la côte, les zones humides contribuent donc à limiter les inondations et l’érosion. Capables de stocker l’eau, elles peuvent également la restituer en période de sécheresse, soutenant ainsi les débits des cours d’eau en période de basses eaux (étiage) et préservant certaines activités agricoles - alimentation fourragère, élevage… - des effets de la sécheresse. Elles participent, de plus, au maintien de la qualité de l’eau par phytoépuration (épuration par les plantes) en piégeant ou en transformant les éléments nutritifs en excès (nitrates, phosphates), les particules fines, ainsi que certains polluants (pesticides).

Et ce n’est pas tout : un certain type de zones humides, les tourbières, malgré leur faible surface (3 % des terres émergées de la planète) renferment 30 % du stock de carbone des sols mondiaux. Elles stockent ainsi deux fois plus de carbone que toutes les forêts du monde, qui recouvrent 30 % des terres émergées mondiales. Cette capacité de piégeage de carbone est rendue possible grâce à des conditions de milieu très particulières (faible température, engorgement, acidité des eaux…) et à des communautés végétales résistantes à la décomposition microbienne dans le sol.

Les services écosystémiques offerts par les zones humides © Ramsar 2018

Des environnements menacés

 

Selon l'IPBES (la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), 87 % des zones humides ont disparu dans le monde entre le XVIIIème siècle et l’an 2000. Ce déclin s’accélère depuis quelques années : - 35 % de 1970 à 2015, soit une perte trois fois plus rapide que pour les forêts, selon le rapport 2018 de la Convention de Ramsar. D’après ce même rapport, plus d'un quart des espèces qui y vivent sont en danger d’extinction. En cause : l’urbanisation, l’intensification de l’agriculture et de la production forestière, le drainage, l’aménagement des cours d’eau, le prélèvement d’eau, l’extraction de matériaux et l’assèchement, entre autres.  

Établi à partir des données de la Liste rouge de l’UICN, l’ILR mesure les tendances relatives à la probabilité de survie de groupes d’espèces : plus l’indice est bas, plus les espèces sont menacées d’extinction © BirdLife International 2015

Les activités humaines contribuent non seulement à la disparition des zones humides, mais également à leur pollution. Eaux usées non traitées, rejets industriels, ruissellement agricole : depuis les années 1990, la pollution de l’eau s’est fortement aggravée. Dans près de la moitié des pays de l’OCDE, les concentrations de pesticides dans les eaux de zones agricoles sont supérieures aux seuils recommandés au niveau national. Selon les projections, d’ici à 2050, un tiers de la population mondiale sera exposé à un risque élevé de pollution de l’eau par l’azote et le phosphore. Ces éléments chimiques, qui font proliférer des algues, les oxydes d’azote des combustibles fossiles, l’ammoniac provenant de l’agriculture et qui provoque des dépôts acides, la pollution thermique des centrales électriques qui entraîne une raréfaction de l’oxygène, sont autant de facteurs qui font disparaitre la biodiversité. Quant aux zones humides côtières, elles sont également polluées par les plus de 5000 milliards de particules de plastique estimées à la surface des océans par l’étude « Plastic pollution in the world’s oceans: more than 5 trillion plastic pieces weighing over 250 000 tons afloat at sea » parue dans la revue Plos One en 2014.

Capteur servant à capter divers composants de l'eau (métaux, plastiques, etc.) dans la mangrove de la Gabarre, en Guadeloupe, qui est directement affectée par la décharge à proximité © Cyril Fresillon / PEPSEA / CNRS Photothèque

Une préservation cruciale

 

Face au changement climatique, à l’augmentation de la demande en eau et aux risques accrus d’inondations et de sécheresse, les zones humides ont un rôle essentiel à jouer dans le développement durable. Elles contribuent d’ailleurs, de manière directe ou indirecte, à la réalisation de 75 des 232 indicateurs des Objectifs de développement durable (ODD).

La Convention de Ramsar est un traité international qui a été adopté le 2 février 1971 pour la conservation et l'utilisation durable des zones humides. Il a ainsi été convenu de la date du 2 février pour la journée mondiale des zones humides. Elle rassemble aujourd’hui 170 pays, dont la France qui a signé le traité en 1986. La convention s’articule autour de trois piliers : l’utilisation rationnelle de l’ensemble des zones humides, la désignation et la conservation de sites Ramsar, et la promotion de la gestion transfrontalière. Il existe plus de 2300 sites Ramsar dans le monde (dont 50 en France métropole et outre-mer), ce qui en fait un des plus grands réseaux d’aires protégées au monde. Cela représente toutefois moins de 20 % des zones humides mondiales, d’où la nécessité de continuer à étendre le réseau. Plusieurs études soulignent ses multiples avantages comme la sensibilisation du public, le soutien croissant à la protection et l’encouragement de l’écotourisme et de la recherche.

Dans son rapport 2018, la Convention de Ramsar propose différentes pistes pour lutter contre la dégradation des zones humides. Parmi celles-ci, on trouve notamment les incitations fiscales en faveur de la biodiversité avec l’exemple du projet Fiscal Benefits, lancé en 2015 par BirdLife South Africa. Ce projet a encouragé l’introduction d’une nouvelle incitation fiscale dans la législation nationale, permettant aux propriétaires qui déclarent des aires protégées de pouvoir bénéficier d’une réduction d’impôt. La première réduction a été accordée en 2016 à un propriétaire de terrains situés dans une zone importante pour les oiseaux et la biodiversité. Autre piste : l’intégration de la protection des zones humides dans les plans de lutte contre les catastrophes naturelles. C’est ce qu’ont fait les Pays-Bas avec l’initiative Room for the River qui a restauré les plaines d’inondation naturelles de plusieurs cours d’eau afin de réduire l’impact des inondations. De même, sur le site Ramsar de l’estuaire de la Krabi en Thaïlande, des mangroves sont en cours de restauration pour protéger les communautés côtières vulnérables aux tempêtes tropicales et atténuer les effets de l’élévation du niveau marin.

La rivière Waal au Pays-Bas avant (photo de gauche) et après (photo de droite) la restauration du cours d’eau via le projet Room for the River © RWS / Johan Roerink

Le rapport met également les décideurs politiques en garde sur certains sujets et notamment sur le développement des énergies renouvelables que sont les biocarburants et l’énergie hydroélectrique. En effet, la production de biocarburants peut entrainer la conversion de zones humides en terrains de culture. Quant à l’hydroélectricité à grande échelle, elle a des répercussions sur les régimes d’écoulement de nombreux cours d’eau et donc sur les zones humides qui en dépendent. Il est crucial que les pays prennent ces éléments en compte dans l’évolution de leur production d’énergie. L’Union Européenne, par exemple, a décrété en 2017 que « les biocarburants ne peuvent pas être cultivés dans des zones converties qui étaient auparavant des terres retenant des stocks de carbone élevés, telles que des zones humides ou des forêts ».

Marie Perez

Remerciements : Francis Muller, Directeur du Pôle-relais tourbières de la Fédération des Conservatoires d'espaces naturels