Modéliser l’effet de parcs de turbines sous-marines sur les grands courants océaniques

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Des parcs de turbines sous-marines pour produire de l’électricité à partir de l’énergie des grands courants marins : l’idée est intéressante ! Mais avant de concevoir et réaliser les développements technologiques nécessaires à la conception de tels parcs et à leur installation, il s’agit d’identifier les sites les plus favorables et d’en évaluer l’énergie récupérable. À partir de simulations numériques, les chercheurs d’une collaboration internationale1 ont montré comment l’implantation de tels parcs pouvait perturber ces grands courants, au point parfois d’en changer le cours, réduisant dans les cas extrêmes de plus de 80 % la puissance potentiellement récupérable.

  • 1Les laboratoires et organismes de recherche ayant contribué à ces travaux sont les suivants : l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP), l'Institut d'océanographie P.P. Shirshov (Académie des sciences de Russie), le Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (CNRS / UGA) et Ocean Next (Grenoble).

Les grands courants océaniques tels que le Gulf Stream ou le Kuroshio représentent une importante ressource d’énergie renouvelable de la planète. Sur la base d’observations in situ ou spatiales de ces courants, on estime que l’énergie cinétique qu’ils transportent représente une réserve de puissance de l’ordre de plusieurs dizaines de Gigawatts (~ 20 GW pour le courant de Floride). Ces courants étant relativement persistants en amplitude et en direction, leur exploitation pourrait être plus productive que celle des courants de marée ou des éoliennes, qui sont soumis à de fortes intermittences.
Le développement de technologies de production d’énergie électrique à partir de ces courants nécessite une connaissance préalable des sites les plus favorables à l’implantation de grands parcs (ou fermes) de turbines sous-marines et de leur potentiel énergétique. La recherche de tels sites est souvent basée sur des estimations des courants de surface issues de l’observation spatiale ou des dérives de flotteurs, qui offrent une couverture globale. Cette approche a cependant des limites. Elle ne permet pas de déterminer avec précision les courants à proximité des côtes, leur profil vertical et leurs variations à haute fréquence. Surtout, elle ne prend pas en compte les modifications de courant qui pourraient être induites par l’implantation d’un parc comprenant un grand nombre de turbines.

Des chercheurs d’une collaboration internationale1 ont tenté de repousser ces limites en utilisant des simulations numériques des courants océaniques dans lesquelles les effets de parcs de turbines virtuels (TPP pour Turbine Power Plant) étaient pris en compte.

Les chercheurs ont réalisé une simulation à très haute résolution des courants océaniques (grille de calcul de l’ordre de 10 km), à l’échelle globale et de la surface au fond, sur une période de 5 ans avec le modèle communautaire de circulation océanique NEMO. Une comparaison avec les observations a montré que ce modèle donnait une bonne représentation des grands courants océaniques et de leur variabilité. Comme ces courants sont plus intenses près de la surface, les TPP devront être installés autant que possible à de faibles profondeurs. Cette simulation (sans TPP) a été utilisée pour calculer la puissance totale disponible dans l’écoulement (le TAP, pour Theoretical Available Power), pour des sections de 10 km de large dans la tranche de profondeur de 26 à 40 m, et ainsi identifier les sites les plus favorables à l’implantation de TPP.
Quarante deux sites ont été étudiés en détail. Un TPP virtuel a été implanté dans 16 d’entre eux, sous la forme d’une force de traînée proportionnelle à la poussée que l’écoulement exercerait sur les palles d’un grand nombre de turbines (> 600) de grand diamètre (20 m). Une nouvelle simulation avec ce TPP virtuel a été réalisée pour chacun de ces sites. La puissance dissipée par cette force de traînée permet d’estimer la puissance théoriquement exploitable (HP, pour Harnessable Power).

Cette étude a permis de documenter les modifications de courant induites par les TPP et d’évaluer l’impact de ces changements sur la puissance théoriquement exploitable. Il s’avère que les modifications de courant diffèrent fortement d’un site à l’autre et que la connaissance de la puissance exploitable (HP) ne peut être déduite de la puissance disponible (TAP, qui peut être estimé par observation). L’identification précise des sites les plus intéressants nécessitera donc des approches de modélisation avec insertion de TPP dans le modèle.
L’étude de l’impact de TPP placés dans le courant de Floride et aux Philippines montre que pour certains sites un TPP peut provoquer un déplacement important du courant vers le large, réduisant de manière significative la puissance exploitable estimée sur ces sites (jusqu’à 80 %) et perturbant sensiblement les conditions environnementales. Elle montre également que des sites pourtant distants de plusieurs dizaines de kilomètres peuvent avoir une interaction négative, ce qui nécessitera une coordination entre les sites dès leur conception.

Illustration scientifique
Puissance totale disponible dans les grands courants océaniques (le TAP en MW) pour des sections de 10 km de large dans la gamme de profondeur 26-40 m. Cette carte a été calculée avec 5 ans de courants d’une simulation sans turbine réalisée avec le modèle global ORCA12 (basée sur le code NEMO) développé et utilisé conjointement par le service Copernicus (CMEMS) pour ses prévisions et par des chercheurs de l’INSU pour l’étude du changement climatique dans l’océan. Les encarts montrent les 42 sites identifiés comme particulièrement favorables à l’exploitation des courants pour la production d’électricité (cercles et croix). Les cercles indiquent les 16 points de grille du modèle où un parc de turbines virtuel a été implanté entre 26 et 40 m de profondeur. À chaque site, le HP (la puissance exploitable en MW calculée avec les courants modifiés par la présence des turbines) et le TAP (calculé avec les courants non modifiés par les turbines) sont comparés par le Coefficient de réduction de puissance Cp (en %). Cette comparaison est donnée sous la forme : No du site : HP (TAP) Cp%.

 

  • 1Les laboratoires et organismes de recherche ayant contribué à ces travaux sont les suivants : l’Institut des géosciences de l'environnement (IGE/OSUG, CNRS / IRD / UGA / Grenoble INP), l'Institut d'océanographie P.P. Shirshov (Académie des sciences de Russie), le Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (CNRS / UGA) et Ocean Next (Grenoble).

Source

Barnier, B., Domina, A., Gulev S., Molines, J.-M., Maitre, T., Penduff, T., Le Sommer, J., Brasseur, P., Brodeau, L., and Colombo, P., (2020) : Modelling the impact of flow-driven turbine power plants on great wind-driven ocean currents and the assessment of their energy potential. Nature Energy, March 2020, https://www.nature.com/articles/s41560-020-0580-2

Contact

Bernard Barnier
IGE/OSUG