Oman, les profondeurs d'un océan visibles à pied sec
L'Oman, sultanat situé au sud-est de la péninsule d'Arabie, présente une singularité géologique qui attire depuis 25 ans des équipes scientifiques francaises : un massif de roches ophiolithiques. Il s'agit d'une nappe de lithosphère océanique charriée sur un continent, il y a environ 80 millions d'années, qui permet d'étudier à pied sec la nature et la structure profonde du plancher océanique dont l'étude directe est, évidemment, entravée par plusieurs kilomètres d'eau. L'ophiolite d'Oman est un objet qui révèle encore bien des surprises. C'est pourquoi une dizaine de chercheurs francais, allemands et américains(1), s'y retrouvent pour une nouvelle mission entre le 16 janvier et le 7 février de cette année.
Rappelons, que c'est à l'axe des dorsales que se forme la lithosphère océanique (élément de l'ensemble impliqué dans la tectonique des plaques), en général constituée en surface de roches de composition basaltiques (les basaltes et les gabbros qui sont l'équivalent des basaltes cristallisés dans une chambre magmatique) formant la croûte et en profondeur de roches du manteau le plus superficiel. La différence de nature entre les roches de la croûte et du manteau au sein de la lithosphère océanique correspond à une discontinuité vis-à-vis de la propagation des ondes sismiques : la discontinuité de Mohorovičić (Moho).
Les dorsales lentes comme la Dorsale Atlantique, où le plancher océanique est produit au rythme de quelques centimètres par an, sont profondément entaillées par des failles. Des dragages et surtout l'observation directe depuis de petits sous-marins en permettent l'étude des structures profondes. En revanche, on ne peut étudier directement les structures profondes des dorsales rapides (taux d'expansion de l'ordre de la dizaine de centimètres), dont les reliefs sous-marins sont plus atténués, qu'en quelques points singuliers, par essence peu représentatifs de la structure générale. Ceci confère une importance particulière aux forages océaniques, d'autant plus que, l'expansion des dorsales rapides étant quasi-continue sur des centaines de kilomètres et sur plusieurs millions d'années, un forage unique permettrait théoriquement d'en connaître tous les secrets. Mais jamais aucun forage n'a pu traverser l'ensemble de la lithosphère, ni même de la croûte. Nous sommes encore loin de cet objectif, puisque les roches océaniques les plus profondes jamais atteintes par forages sont des gabbros provenant d'environ 1400 mètres de profondeur, rapportés il y a un peu plus d'un an du puits 1256D du programme international de forages océaniques profonds IODP. Jusque-là, nous n'avions aucun échantillon des niveaux inférieurs aux basaltes du plancher océanique et à leurs conduits d'alimentation. Traverser la croûte océanique, atteindre le Moho et pénétrer le manteau sous-jacent devrait être le but prioritaire d'une future Mission Moho du programme de forages IODP, qui sera l'objet d'un projet international soumis ce printemps et dont l'un des porteurs est Benoît Ildefonse du laboratoire "Géosciences Montpellier".
Face à cette quasi-impossibilité d'observer la structure profonde des dorsales rapides, on comprend mieux l'intérêt des géologues pour l'Ophiolite d'Oman. Elle affleure dans des conditions uniques au monde par sa taille, un massif d'environ 500 km de long et 50 km de large en moyenne, par la qualité de ses affleurements et la conservation exceptionnelle de ses structures. 25 ans de travail en Oman, conduit notamment par le groupe de Montpellier sous la direction d'Adolphe Nicolas "Géosciences Montpellier", ont permis d'identifier ces roches comme issues d'une dorsale rapide ou ultrarapide et ont contribué aux progrès de la connaissance sur ce type de dorsales. En particulier, la zone de transition, entre le niveau des roches volcaniques et subvolcaniques et celui des gabbros, atteinte lors de la récente expédition IODP 312, a été décrite en de nombreux endroits de l'Ophiolite d'Oman*. Cette transition montre à l'air libre le passage, en une centaine de mètres, entre des roches qui à la dorsale sont à la température de 450°C environ (la base du niveau subvolcanique), à des roches formées à 1200°C au toit des lentilles magmatique où cristallisent les gabbros. C'est ce niveau fascinant, où un gradient thermique fossile d'environ 7°C/m (le gradient géothermique normal en milieu continental est de 1°C /30 m) peut être observé sur le terrain, que veulent étudier ensemble des participants aux expéditions de forage du puits IODP 1256D et les géologues de Montpellier.
Depuis la mission ... à la recherche d'une lentille magmatique aux dorsales océaniques
Avec un relais de chercheurs les 29 et 30 Janvier, la mission est entrée dans sa seconde période. La mission s'est d'abord déployée dans la partie sud de l'ophiolite à environ 200 km de Muscate, la capitale. Pour deux chercheurs (U.Montpellier et ENSG de Nancy), il s'agissait de préciser les conditions dans lesquelles le basalte issu du manteau et qui alimente une dorsale s'accumule sous le Moho avant son intrusion à travers la croûte, jusqu'au plancher océanique. Les produits de cette accumulation sont de nature différente, ce qui sera précisé par les analyses géochimiques, après un échantillonnage guidé par une connaissance précise du contexte structural.
Pour les autres chercheurs de la mission, l'objectif est de comprendre comment une lentille magmatique, s'étendant sur 2 km à l'axe de la dorsale, à 1-2 km sous le plancher et épaisse de ~50 m seulement, peut engendrer 3-4 km de gabbros, le principal constituant de la croûte. Il s'agit aussi de comprendre comment, par une circulation d'eau océanique intense, cette lentille peut se refroidir de ~700°C sur quelques 100 à 200m. Ce sujet est d'actualité car un forage océanique récent dans le Pacifique est parvenu jusqu'à une structure équivallente. Dans ce forage, ainsi qu'en Oman où la croûte est froide, la lentille a disparu. L'enjeu est de localiser les limites de la lentille magmatique et d'en comprendre le fonctionnement. Sous réserve de confirmation au laboratoire, c'est maintenant chose faite dans le cas de l'Oman. Dans une approche d'allers et retours terrain/laboratoire, les chercheurs pensent avoir identifié sur des sites découverts en 2006 et déjà analysés, des niveaux de roches qui correspondent au bord de l'ancienne lentille magmative active et aux couches qui séparaient le niveau du magma fondu (1200°C) sous la lentille (niveaux convectifs) de celui des fluides hydrothermaux supercritiques (1000°C) juste au dessus, et celui de l'eau de mer de basse température (<450°C). Suivant la même approche, 4 nouvelles coupes ont été levées et échantillonnées, afin de circonscrire d'éventuelles variations du système, liés à l'instabilité de la lentille telle qu'elle est reconnue aux dorsales rapides.
La seconde période se déroulera dans le nord de la chaîne avec une équipe renforcée par plusieurs chercheurs allemands (Université de Hannovre). Son objectif est identique, mais dans des segments de l'ophiolite différents, situés à plusieurs centaines de km des premiers. Suivant la même approche, des sites reconnus pour certains depuis 20 ans, vont faire l'objet d'une étude de terrain et d'un premier échantillonnage serré.
Ainsi, l'ophiolite d'Oman où furent anticipées plusieurs découvertes majeures concernant les dorsales rapides, faites depuis à l'aide de puissants moyens à la mer, pourrait précéder et, pourquoi pas, guider les découvertes sur la lentille magmatique attendues du nouveau forage océanique IODP 1256.
Notes
- Laboratoires participant à l'expédition :
- Laboratoire Géosciences Montpellier (UMR 5243)
- Institut fuer Mineralogie der Universitaet Hannover (Allemagne)
- Texas A&M University, College Station (USA) (IODP Staff Scientist)
- Nicolas et Boudier, 1991 ; Nicolas et al. 2000