Origine de la vie sur Terre : l’asymétrie « naturelle » des molécules biologiques viendrait de l’espace
Certaines molécules existent sous deux formes qui sont l’image symétrique l’une de l’autre dans un miroir : elles sont dites chirales. Or, sur Terre, les molécules chirales du vivant, notamment les acides aminés et les sucres, ne sont présentes que sous une seule forme : gauche ou droite. Comment la vie a-t-elle privilégié l’une de ces deux formes au détriment de l’autre ? Un consortium réunissant plusieurs équipes françaises piloté par Louis d’Hendecourt[1], directeur de recherche CNRS à l’Institut d’astrophysique spatiale (Université Paris-Sud 11 / CNRS), a pour la première fois obtenu un excès de molécules de forme gauche (puis un excès de forme droite) dans des conditions reproduisant celles de l’espace interstellaire. Ce résultat suppose donc une origine « cosmique » de l’asymétrie des molécules biologiques sur Terre. Les chercheurs suggèrent également que la nébuleuse solaire s’est formée dans une zone d’étoiles massives. Ces travaux viennent d’être publiés en ligne sur le site de The Astrophysical Journal Letters. Réalisée au synchrotron Soleil, cette expérience a été menée en collaboration avec le Laboratoire de chimie des molécules bioactives et des arômes (Université de Nice/CNRS) et a bénéficié du soutien du CNES.
Les molécules chirales sont des molécules pouvant exister sous deux formes possibles (énantiomères) qui sont l’image symétrique l’une de l’autre dans un miroir : lévogyre (gauche) et dextrogyre (droite). Par exemple, nos mains sont chirales car elles se présentent sous deux formes non superposables mais symétriques l’une de l’autre dans un miroir, la main gauche et la main droite. Les molécules biologiques sont pour la plupart chirales, certaines formes étant privilégiées. Ainsi, les acides aminés des protéines n'existent que sous une de leurs deux formes énantiomériques : la forme gauche (L). Les sucres présents dans l'ADN des organismes vivants sont eux uniquement de forme droite (D). On appelle homochiralité, cette propriété des molécules biologiques de n’exister dans la nature que sous une de leurs deux formes structurales.

Ce résultat conforte l’hypothèse selon laquelle l’origine de l’homochiralité est prébiotique et cosmique, c’est-à-dire réellement interstellaire. Selon ce scénario, l’apport de matière organique « extraterrestre » comportant un excès énantiomérique synthétisé via un processus astrophysique asymétrique (ici, il s’agit d’un rayonnement UV-CPL) serait à l’origine de l’asymétrie des molécules du vivant sur Terre. Cette matière pourrait même avoir été formée en-dehors du système solaire. Enfin, la nébuleuse solaire pourrait s’être constituée dans des régions de formation d’étoiles massives. En effet, dans de telles régions, un rayonnement infrarouge polarisé circulairement dans un même sens est observé. Au-delà de ces résultats, la sélection d’un seul énantiomère constatée sur Terre pour les molécules du vivant ne serait pas le fruit du hasard, mais bien celui d’un mécanisme physique déterministe.
[1] médaille d'argent 2003 du CNRS
[2] Louis d’Hendecourt a développé dans les années 80 une technique permettant de générer en laboratoire des analogues de glaces interstellaires.
[3] La nébuleuse d'Orion produit de la lumière polarisée circulairement à 17 % dans l'infrarouge. Selon les calculs, elle rayonnerait également dans l’ultraviolet, un rayonnement capable de casser les liaisons covalentes (fortes) entre les atomes des molécules de glace.
Sources
"Non-racemic amino acid production by ultraviolet irradiation of achiral interstellar ice analogs with circularly polarized light". Pierre de Marcellus, Cornelia Meinert, Michel Nuevo, Jean-Jacques Filippi, Grégoire Danger, Dominique Deboffle, Laurent Nahon, Louis Le Sergeant d'Hendecourt, and Uwe J. Meierhenrich. The Astrophysical Journal Letters. , vol. 727 (issue 2), L27 (2011).Voir http://iopscience.iop.org/2041-8205/727/2/L27