Pascal Chevrot, nouveau pilote du développement instrumental innovant à l'INSU
Arrivé en novembre 2024 à la direction des développements instrumentaux innovants pour la recherche et l'observation (DIIRO), Pascal Chevrot porte l'ambition de favoriser le partage autour du développement instrumental innovant entre les domaines scientifiques de l'INSU, les instituts du CNRS et les organismes partenaires. Entre transversalité, partenariats industriels et technologies émergentes, il construit sa feuille de route en reconnaissant que le développement instrumental innovant constitue un levier stratégique majeur pour la performance et l’attractivité de la recherche française, en favorisant l’accès à des données de pointe, en renforçant la visibilité des laboratoires, et en consolidant leur rôle dans les grands projets scientifiques internationaux.
Vous êtes récemment arrivé à la tête de la DIIRO. Quelle est votre feuille de route pour les prochains mois ?
J'ai eu le grand plaisir de rejoindre le CNRS-INSU (Institut national des sciences de l'Univers du CNRS) début novembre 2024 en tant que DAS (Directeur Adjoint Scientifique) en charge des développements instrumentaux innovants. Je porte également la contribution de l'INSU à la politique du CNRS d'innovation, de valorisation et de relation avec les entreprises, en lien étroit avec la Direction Générale Déléguée à l'Innovation.
Ma première mission consiste à établir une feuille de route autour de quatre objectifs clés : valoriser la transversalité et encourager la fertilisation croisée entre communautés INSU, instituts et organismes partenaires ; développer un modèle économique et mobiliser des ressources externes ; renforcer les partenariats inter-instituts, inter-organismes et avec les entreprises ; animer la politique de valorisation et d’innovation, notamment via l'animation du réseau des correspondants valorisation de l'INSU au sein des OSU (Observatoires des Sciences de l'Univers).
Depuis mon arrivée, je m'appuie sur une équipe remarquable construite par mes prédécesseurs : Cyrille Flamant pour le développement instrumental innovant, et Laurent Jammes pour l'innovation et les relations avec les entreprises. Je travaille en étroite collaboration avec Thierry Labasque, Directeur Adjoint Technique, qui est mon binôme pour le pilotage du développement instrumental innovant.
La direction bénéficie également du soutien de la CS-IIT (Commission Spécialisée - Instrumentation Innovante et Transverse), présidée par Éric Defer, qui réunit des experts issus de l'INSU, des autres instituts du CNRS et des organismes partenaires. La Division Technique constitue enfin un levier essentiel de notre politique du développement instrumental innovant.
Vous mentionnez la fertilisation croisée entre communautés. Concrètement, comment comptez-vous favoriser le partage entre les domaines scientifiques de l'INSU ?
La DIIRO est une création issue de la prospective transverse, répondant à un besoin exprimé par les communautés scientifiques de mieux partager les connaissances, les savoir-faire et les expertises en matière de développement instrumental.
Nous nous inscrivons dans la continuité des actions menées jusqu'à présent, en nous appuyant notamment sur le programme national IIT (Instrumentation Innovante et Transverse), les ateliers expérimentation et instrumentation, et la Division Technique qui constitue le pilier de notre engagement. S’appuyant sur ces acquis, notre démarche entre désormais dans une nouvelle phase : l’assouplissement des conditions d’accès au programme national IIT a pour objectif de favoriser le partage des savoir-faire et de renforcer les collaborations autour du développement instrumental entre les communautés des sciences de la Terre et de l’Univers, les instituts du CNRS et les organismes partenaires.
Fondamentalement, le développement instrumental, en soi, n'est pas cloisonné. L'existence de nombreux appels à projet de la MITI (Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires) et la sélection du thème « Instrumentation sans limites » pour le COMP 2024-2028 (Contrat d’Objectifs, Moyens et Performance) l'illustre bien.
Pour autant, les habitudes et les pratiques font qu'il est parfois difficile de se projeter au-delà de son environnement immédiat. Un des objectifs principaux de la DIIRO, c'est d'offrir davantage d'opportunités de partage et d'espaces d'expression, et surtout d'arriver à valoriser ces occasions.
Notre feuille de route, qui sera partagée dans les prochains mois, reprend les méthodes éprouvées de l'INSU : appui sur les prospectives de domaine et prospectives transverses, animation scientifique nationale, financement et suivi des priorités issues des prospectives, territorialisation des actions, appui sur les SNO (Services Nationaux d'Observation) et IR (Infrastructures de Recherche).
Au-delà des technologies elles-mêmes, l'action de la DIIRO accorde une attention prioritaire aux femmes et aux hommes qui les conçoivent, les développent et les font vivre. L'identification, la structuration et le développement des compétences, le recrutement, la formation et la consolidation des viviers humains sont des conditions essentielles à la soutenabilité et à l'ambition de notre action.
Vous mentionnez le programme IIT comme outil central. Comment allez-vous le faire évoluer pour qu'il réponde mieux aux besoins émergents ?
Nous avons très significativement ouvert le programme IIT dans deux directions. D'abord, il n'est plus nécessaire qu'un des porteurs de projet soit issu d'un laboratoire dont l'INSU est tutelle principale. Ensuite, tout projet scientifique souhaitant bénéficier d’un financement dans le cadre d’un programme national de l’INSU, et dont l’axe principal porte sur le développement instrumental innovant, est désormais encouragé à rejoindre la dynamique collective du programme national IIT.
Nous prolongeons par ailleurs une pratique très appréciée par les porteurs de projets : un projet doit nécessairement être porté par un binôme ingénieur / chercheur.
Enfin, et cela est essentiel : les porteurs s'engagent à mener des actions de partage et de communication ; nous porterons également une attention particulière aux équipes ayant cherché des compétences au-delà de leurs proches frontières ; le potentiel de valorisation économique, sociétale et environnementale doit être étudié ; l'impact environnemental du développement doit être évalué.
Nous avons ainsi tout à la fois largement ouvert cet outil d'émergence et de structuration, et renforcé des fondamentaux valorisant le partage, l'échange et la valorisation.
Au-delà du programme IIT, le dernier Comité Inter-Institutions a ouvert la réflexion autour des guichets similaires dans d'autres institutions : le guichet R&T (Recherche et Technologie) du CNES (Centre National d'Études Spatiales), le guichet “Recherche à risque” du CEA (Commissariat à l'Énergie Atomique), certains appels à projet de l'IRD (Institut de Recherche pour le Développement). Notre objectif sera de faire mieux connaître ces différents guichets, servir d'interface avec ceux-ci, et orienter les projets candidats vers les financements les plus adaptés.
Nous poursuivons la même logique pour les grands programmes nationaux (PEPR - Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche, Equipex, etc.) menant des développements instrumentaux innovants. En nous appuyant sur l'exemple de Terra Forma, construit autour d'une logique de partage et de pérennisation, nous chercherons à encourager des pratiques similaires dans la plupart des grands programmes nationaux en STU (Sciences de la Terre et de l'Univers).
Au-delà de l'ouverture du programme IIT, comment voyez-vous l'impact des nouvelles technologies numériques comme l'IA sur l'instrumentation scientifique ?
L'intelligence artificielle (IA) et le calcul haute performance (HPC - High Performance Computing) représentent des leviers majeurs de transformation pour l'instrumentation scientifique.
D'abord, l'IA permet d'enrichir l'instrument lui-même, en intégrant des capacités d'analyse embarquée, de détection automatique, ou d'optimisation temps réel des paramètres d'acquisition. On parle de capteurs intelligents, capables d'adapter leur comportement aux conditions de mesure ou de filtrer les données utiles dès la source.
Ensuite, les outils d'IA et le HPC transforment la chaîne de traitement des données : des volumes massifs, complexes, souvent multi-sources, peuvent être analysés plus rapidement, avec des approches d'apprentissage automatique qui identifient des signatures, anomalies ou corrélations jusque-là inaccessibles. Cela ouvre la voie à une science plus exploratoire, prédictive, voire prescriptive.
Enfin, ces technologies favorisent une co-conception plus étroite entre instrumentation, modélisation et simulation. On peut tester virtuellement des configurations instrumentales avant déploiement, ou intégrer des jumeaux numériques pour piloter des réseaux d'observation complexes.
Pour le programme SUN, récemment ouvert en 2025, cela signifie soutenir une nouvelle génération d'instruments hybrides, où la frontière entre capteur, algorithme et modélisation devient plus fluide, au service d'une observation plus fine, plus rapide, et plus utile à la décision scientifique et sociétale.
FOCUS : Programme national sciences de l'Univers et du numérique (PNSUN)
Nouveauté 2026 : "SUN : Mathématiques, méthodes numériques, HPC/HPDA et intelligence artificielle pour les sciences de la Terre et de l'Univers"
Dans le contexte actuel de transformation numérique des sciences, le recours aux mathématiques, aux méthodes numériques, au calcul et traitement de données haute performance (HPC/HPDA), ainsi qu'à l'intelligence artificielle est devenu incontournable dans les sciences de la Terre et de l'Univers. Ces outils interviennent désormais à tous les niveaux de la recherche, de la modélisation à l'analyse de données, en passant par l'assimilation et la quantification des incertitudes.
Face à cette évolution, le programme national et inter-organismes SUN répond à un besoin croissant de la communauté scientifique en soutenant le développement de ces approches méthodologiques, devenues un véritable enjeu de recherche à part entière. SUN vise à encourager les travaux de recherche interdisciplinaires à l’interface entre les sciences du numérique et celles de la Terre et de l’Univers, afin de favoriser l’émergence de no velles synergies scientifiques et technologiques.
Le programme s'articule autour de deux volets complémentaires :
- Un appel blanc ouvert aux projets innovants dans les domaines de la modélisation, l'assimilation de données, la quantification des incertitudes, l'analyse de données et l'intelligence artificielle appliqués aux sciences de la Terre et de l'Univers.
Des actions ciblées sur quatre thématiques stratégiques identifiées comme prioritaires : l'optimisation des systèmes d'observation, l'interopérabilité des données hétérogènes, la conception de codes innovants pour l'exascale et la modélisation hybride physique/IA, ainsi que les méthodologies d'intégration d'émulateurs IA dans les chaînes de modélisation.
Vous parlez d'instruments hybrides et de co-conception avec l'industrie. Quels partenariats industriels stratégiques voulez-vous développer ?
L'accélération des transitions technologiques, climatiques et sociétales exige de l'INSU un engagement renforcé dans l'innovation et le développement de relations stratégiques avec le tissu industriel. La DIIRO visera à contribuer à assurer la souveraineté scientifique française et européenne en STU à travers une consolidation des relations avec les industriels sous-traitants « clé » de l'INSU.
L'INSU doit renforcer ses liens avec les industriels qui participent au développement instrumental, en particulier dans les phases critiques de prototypage et d'intégration. Cette relation de confiance est un levier essentiel de souveraineté technologique, et donc scientifique.
Par exemple, l'Institut est représenté au sein du Pôle d'excellence Grands Fonds Marins, qui a pour ambition de structurer une filière industrielle nationale dans le domaine. L'INSU entend y contribuer activement, en soutenant à la fois l'essor industriel, le développement économique et les activités de recherche associées aux grands fonds.
Nos actions prioritaires sont multiples : créer un annuaire national des sous-traitants principaux des laboratoires INSU ; formaliser des conventions-cadres avec plusieurs entreprises partenaires ; organiser un séminaire tous les deux ans INSU-industrie, concomitamment aux AEI (Ateliers d'Expérimentation et d'Instrumentation) ; mobiliser les correspondants valorisation des OSU pour cartographier les partenariats industriels locaux ; développer activement les partenariats avec les pôles de compétitivité et clusters technologiques.
Nous pensons que la relation avec la plupart des industriels stratégiques de l'INSU doit se structurer notamment par la création de laboratoires communs. Un exemple est le laboratoire commun ECLAT : partenariat INSU–Inria–Observatoires–Eviden (Atos) sur le calcul haute performance au profit de l'astronomie.
Au-delà des partenariats industriels, quelles technologies émergentes identifiez-vous comme prioritaires pour l'observation scientifique dans les années à venir ?
Pour répondre à cette question, il me semble important de commencer par définir ce qu'est, pour l'INSU, un instrument.
Au sein de la DIIRO, nous pensons que l'instrumentation contribue à accroître la connaissance scientifique et technologique. Elle vise à capturer et exploiter des observables clés permettant de décrire et comprendre les phénomènes physiques, chimiques et biologiques du système Terre-Univers. Son développement ouvre des fenêtres d'observation inédites, sur des échelles de temps et d'espace variables. Elle peut être un objet de recherche en soi.
L'instrumentation et le questionnement scientifique sont intimement liés, s'alimentent et s'appellent l'un l'autre. Les progrès et les ruptures de l'un auront un impact sur l'autre. Ainsi, toute nouvelle avancée en matière de recherche fondamentale en physique, chimie ou biologie peut révolutionner un champ entier d'instrumentation. À l'inverse, une technologie instrumentale émergente peut susciter de nouvelles questions scientifiques.
Plusieurs sources nous aident à identifier ces ruptures. Les prospectives de domaine comportent un volet instrumental et évoquent les enjeux liés à l'instrumentation. Nous souhaitons également participer activement à la future prospective TS (Terre Solide), et que la future prospective transverse traite largement du sujet.
Nous nous intéressons aussi aux exercices similaires dans les autres instituts proches : CNRS Ingénierie, CNRS Physique, CNRS Nucléaire & Particules, CNRS Écologie & Environnement, CNRS Sciences informatiques, CNRS Mathématiques. L'actuel COMP Instrumentation sans limite a choisi deux thèmes particuliers : les capteurs quantiques d'une part, et l'instrumentation low tech en environnement.
Ces différentes sources de réflexion nous permettront d'avoir une vision éclairée des futurs enjeux technologiques autour des sous-systèmes de l'instrumentation.
Avec cette vision d'ensemble sur le développement instrumental innovant, quel impact espérez-vous que la DIIRO ait sur la compétitivité de la recherche française ?
Le développement instrumental innovant a un impact majeur et structurant sur la compétitivité de la recherche française à plusieurs niveaux.
Il permet d'acquérir des données nouvelles, plus précises, à haute résolution spatiale, temporelle ou spectrale. Il positionne les équipes françaises à la pointe des découvertes scientifiques, dans un contexte international très concurrentiel.
Disposer de technologies avancées renforce l'attractivité des laboratoires français, leur visibilité et leur capacité à piloter des projets européens ou internationaux. Le développement instrumental innovant est souvent un critère décisif pour obtenir des financements compétitifs, des ERC (European Research Council), ou coordonner des infrastructures de recherche.
Le développement d'instruments mobilise un réseau d'acteurs industriels, de PME innovantes et d'expertises techniques. Cela crée des écosystèmes vertueux de co-innovation, où la recherche académique nourrit l'innovation industrielle, et inversement — un levier fort pour la valorisation économique et technologique de la recherche.
Investir dans des technologies instrumentales souveraines (optique, capteurs, IA embarquée, miniaturisation, robotique, etc.) permet de réduire les dépendances stratégiques et de garantir une autonomie d'accès à des données critiques (climat, ressources, risques…).
Enfin, l'instrumentation scientifique est un moteur d'innovation transverse : les développements initiés pour la recherche irriguent souvent d'autres secteurs (santé, environnement, spatial, défense, etc.), avec un effet levier économique et sociétal bien au-delà du monde académique.
Glossaire des acronymes
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
COMP : Contrat d’Objectifs, de Moyens et de Performance du CNRS
CS-IIT : Commission Spécialisée - Instrumentation Innovante et Transverse
DAS : Directeur Adjoint Scientifique
DIIRO : Direction des développements Instrumentaux Innovants pour la Recherche et l'Observation
ERC : European Research Council
HPC : High Performance Computing (Calcul Haute Performance)
IA : Intelligence Artificielle
IIT : Instrumentation Innovante et Transverse
IR : Infrastructure de Recherche
IRD : Institut de Recherche pour le Développement
MITI : Mission pour les Initiatives Transverses et Interdisciplinaires
OSU : Observatoires des Sciences de l'Univers
PEPR : Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche
PN : Programme National
R&T : Recherche et Technologie
SNO : Services Nationaux d'Observation
STU : Sciences de la Terre et de l'Univers
TS : Terre Solide