Premier bilan scientifique de Tara Oceans
L'expédition Tara Oceans a quitté Lorient le 5 Septembre 2009 pour une circumnavigation des deux hémisphères. Il aura fallu un an de travail intense au consortium scientifique OCEANS et à l'équipe de Tara Expéditions pour préparer techniquement et scientifiquement cette expédition, dont l'objectif est l'étude des écosystèmes marins planctoniques, éléments clés de la biosphère pour les grands équilibres de notre planète, depuis les virus jusqu'aux larves de poissons, ainsi que de certains écosystèmes coralliens peu ou pas étudiés. Et le succès semble au rendez-vous.

Pourquoi une telle expédition ?
Les micro-organismes marins sont encore très peu étudiés, bien qu'ils soient des marqueurs importants de l'état des océans et du climat, qu'ils soient à la base de la chaîne alimentaire et qu'ils puissent être la source d'innovations médicales.
La composition de nombreux écosystèmes planctoniques et coralliens est peu connue et il est par conséquent difficile d'avoir une vision globale de leur modification et de leur évolution sans un recensement géographique dans un laps de temps aussi court que possible.
Les études menées jusqu'à présent ont toujours été parcellaires : études de certaines espèces dans des endroits spécifiques, souvent déconnectées des paramètres physicochimiques mais jamais de l'ensemble des organismes occupant le biotope étudié.
Il y a très peu ou pas d'études mondiales corrélant les paramètres environnementaux avec la composition en organismes vivants d'une colonne d'eau.

Elle propose une nouvelle façon de faire de l'océanographie, une océanographie systémique, intégrative, qui permettra de modéliser au plus juste les écosystèmes et leurs évolutions.
Le consortium "OCEANS"
Pour faire avancer les connaissances sur ces problématiques majeures et atteindre les objectifs fixés, le consortium scientifique international et interdisciplinaire "OCEANS" a été constitué. Il comprend une centaine de scientifiques, parmi lesquels une vingtaine de coordinateurs(1) qui ont tous des spécialisations complémentaires allant de l'océanographie physique et chimique à la biologie du plancton en passant par la génomique, la microbiologie, la modélisation, l'écologie, et la bioinformatique.
Ce qui est unique dans cette expédition
Le but de ce projet est COMMUN à tous les scientifiques impliqués et il ne peut être réalisé que par l'ENSEMBLE du consortium.
Ce projet a été bâti en un temps record par les scientifiques. Il s'appuie sur l'utilisation d'un voilier, Tara, qui a été modifié et équipé spécifiquement de techniques et technologies très récentes dont certaines n'existaient encore pas il y a 5 ans.
Ce sont les mêmes scientifiques qui coordonnent l'échantillonnage et l'acquisition des données en mer et les analysent ensuite à terre.
La combinaison de données à large échelle et de natures différentes (génétique + imagerie) va permettre de définir un nouveau type de répertoire d'information et de créer de nouveaux champs d'étude.
Fruit d'une collaboration public/privé, Tara Oceans est une expédition qui n'est pas concurrente mais complémentaire des études menées par les grands instituts océanographiques.
Ce projet a permis la création d'un vaste réseau scientifique qui perdurera au-delà des 3 ans de l'expédition, grâce aux liens établis avec des Instituts, laboratoires et chercheurs dans tous les pays visités. Les spécialistes locaux font partie de la communauté de scientifiques qui analyse les données océanographiques et biologiques, lesquelles seront à la disposition de toute la communauté scientifique.
Déjà 9 mois d'expérimentation

Un appareil à bord est utilisé avec succès par la NASA afin de calibrer les données satellitaires de l'agence spatiale américaine.
56 stations d'échantillonnage des écosystèmes planctoniques, couvrant une grande variété d'écosystèmes (anoxique, plus ou moins riche en sels nutritifs, côtiers, au large ou avec des structures physiques particulières comme le tourbillon de Chypre), ont été réalisées en Atlantique, Méditerranée, Mer Rouge, Mer d'Arabie et océan Indien.
Une expérience utilisant des gliders (planeurs sous-marins) pour étudier un gyre (tourbillon) au sud de Chypre a été un grand succès.
Tara ayant un faible tirant d'eau, 28 plongées ont été effectuées sur le site corallien environnant Djibouti, qui n'avait pas été étudié depuis 18 ans, et 17 sur le site de Saint Brandon, un atoll corallien de l'océan Indien (au nord de l'Ile Maurice) jamais échantillonné. Et une vingtaine de plongées sont planifiées sur le récif corallien de Mayotte où Tara se trouve actuellement.
Des résultats préliminaires
Bien qu'il soit trop tôt pour parler de véritables résultats scientifiques, on peut dores et déjà dire que l'expédition est un succès.
Les échantillons planctoniques acquis par une variété de systèmes d'échantillonnage rarement mise en oeuvre lors des campagnes multidisciplinaires et les données physicochimiques et bio-optiques, dont certaines issues de nouveaux instruments, sont de très bonne qualité et exploitables. C'est une prouesse méthodologique de faire autant de prélèvements et d'analyses sur Tara.
La quantification des groupes d'organismes, depuis les virus jusqu'aux larves de poissons, à l'aide de microscopes automatisés a déjà commencé et est complète pour certaines stations de prélèvement.
De nouveaux virus bactériens ont été découverts en grand nombre.
Différentes communautés de protistes, associées à différentes conditions physicochimiques, ont déjà été identifiées.
Le séquençage moléculaire massif d'organismes ayant des tailles comprises entre quelques microns et un millimètre a commencé au Genoscope et fonctionne. Les premières estimations montrent qu'il est effectivement possible de caractériser la biodiversité globale des stations échantillonnées en utilisant cette nouvelle méthode. La comparaison des séquences trouvées avec celles déjà présentes dans les bases de données mondiales confirme qu'une infime partie seulement est connue. L'analyse fonctionnelle de ces gènes montre que plus de 90% d'entre eux ne sont pas connus.
L'échantillonnage des récifs coralliens a été un succès, mais l'analyse des échantillons a tout juste commencé.
Un "lien manquant" dans l'évolution des métazoaires a été découvert : une espèce de Amphioxus avec des yeux et un cerveau primitifs.
En conclusion, la récente réunion des coordinateurs scientifiques de Tara Oceans a confirmé que la méthodologie d'échantillonnage fonctionne correctement et délivre des données de haute qualité. L'échantillonnage en haute mer correspond aux plans de travail compte tenu des aléas diplomatiques et de sécurité (état de la mer, piraterie). L'analyse des données est scientifiquement très prometteuse.
Notes
- Coordinateurs scientifiques : Eric Karsenti, EMBL (Heidelberg) - Jean Weissenbach, Génoscope (Evry) - Francesca Benzoni, Bicocca (Milan) - Chris Bowler, Ecole Normale Supérieure et CNRS (Paris) - Colomban de Vargas, CNRS (Roscoff) - Gaby Gorsky, CNRS (Villefranche) - Christian Sardet, CNRS (Villefranche) - Silvia Gonzalez-Acinas, ICM-CSIC (Barcelone) - Stefanie Kandels-Lewis, EMBL (Heidelberg) - Emmanuel Reynaud, UCD (Dublin) - Fabrice Not, CNRS (Roscoff) - Mick Follows, MIT (Boston) - Olivier Jaillon, Genoscope, CEA (Evry) - Uros Krzic, EMBL(Heidelberg) - Hiroyuki Ogata, University of Marseille, CNRS (Marseille) - Stéphane Pesant, University of Bremen - PANGAEA® - Jeroen Raes, Université Libre de Bruxelles - Matt Sullivan, University of Arizona - Didier Velayoudon, dvipc (Paris)