Solar Orbiter : Sur les 10 instruments embarqués par la sonde, 6 sont issus des laboratoires du CNRS

Univers

Comment le champ magnétique émerge-t-il de l’intérieur du soleil et quel est son impact sur l’atmosphère solaire ? Quels sont les mécanismes impliqués dans la formation de la couronne et du vent solaire ? Quels sont les processus physiques expliquant l’activité éruptive du soleil ? Grâce à la mission Solar Orbiter, les scientifiques espèrent avoir bientôt des réponses à ces questions. Mais pour récolter les données qui nous permettent d’espérer progresser dans notre connaissance du Soleil, il a fallu concevoir des instruments très spécifiques, qui seront par ailleurs soumis à des conditions extrêmes ! Sur les 10 instruments embarqués par la sonde, 6 sont issus des laboratoires du CNRS. Par son rôle fédérateur national, grâce à l’excellence de ses équipes, et grâce à son partenariat historique avec le CNES, le CNRS-INSU est l’un des leaders européens en matière de recherche et d’exploration spatiale.

Solar Orbiter 

Le vaisseau Solar Orbiter est équipé de capteurs et d'instruments de pointe imaginés et réalisés par les chercheurs et les ingénieurs de nos laboratoires afin de répondre à des questions scientifiques fondamentales qui concernent la formation et l’accélération du vent solaire, au chauffage de la couronne solaire mais aussi au déclenchement des éruptions solaires à l’origine des tempêtes électromagnétiques terrestres.

Il embarquera 209 kg de charge utile répartie en 10 instruments, 4 instruments mesurant les caractéristiques du plasma du vent solaire au niveau du satellite (les mesures « in situ ») et 6 instruments chargés d’analyser la lumière émise par le Soleil (les mesures de télédétection). La spécificité de la mission réside ainsi dans l’association de ces deux types de mesures. Ces équipements sont placés derrière un bouclier thermique destiné à protéger la sonde spatiale des températures très élevées. Solar Orbiter doit réaliser et transmettre des observations à haute résolution des régions de hautes latitudes du Soleil. La mission doit durer entre 7 e 10 ans.

« Grâce à la conjonction de trois missions qui sont Parker Solar Probe chargée d’aller « frôler le Soleil », Bepi Colombo, la mission d’exploration de Mercure et Solar Orbiter, Il se trouve que nous allons bénéficier de différentes mesures prises au même moment à différents endroits ! » se réjouit Dominique Delcourt, directeur du LPC2E. « Non seulement les mesures de la sonde elle-même mais aussi la combinaison de ces trois mesures seront extrêmement riches en enseignements ! »

 

Du nouveau sur Solar Orbiter

Les instruments et les laboratoires impliqués

Le Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA)

Le LESIA* est responsable de l’expérience RPW (Radio & Plasma Waves). Proposée par un consortium scientifique international mené par Milan Maksimovic (investigateur Principal), directeur de recherche au CNRS, cette expérience devrait permettre, pour la première fois, des mesures très précises des champs électriques basse fréquence dans l’héliosphère interne, dans le vent ambiant ou bien au travers des chocs interplanétaires. Ces champs électriques sont associés à des ondes particulières pouvant être présentes dans le vent solaire, et que l’on nomme les ondes d’Alfvèn, et qui pourraient être à l’origine du chauffage de la couronne et de l’accélération du vent solaire. A plus hautes fréquences, l’instrument permettra de détecter les émissions radio solaires générées par des électrons énergétiques produits lors d’éruptions solaires grâce à de longues antennes électriques de 6.5 mètres.
 

Le Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement et de l’Espace (LPC2E)

Le LPC2E* a conçu et réalisé le capteur de champ magnétique alternatif SCM (Search Coil Magnetometer) intégré à l’expérience RPW.  Ce capteur permettra de caractériser les variations du champ magnétique pour mieux comprendre la dynamique du vent solaire. Pour bien mesurer le champ magnétique du milieu, et non celui généré par le satellite ou les autres instruments, SCM se situe avec 3 autres capteurs à mi-hauteur d’un mât déployable à 2 mètres de la plateforme. Il sera ainsi dans l’ombre du bouclier thermique qui protège cette plateforme, soumis à une température extérieure de -145°C mais ramenée à -50°C grâce à un système de chauffage et une couverture thermique.

Le Laboratoire de physique des plasmas (LPP)

Le LPP* contribue au consortium « ondes » RPW en construisant pour la première fois un analyseur de bord « basses fréquences », le LFR (Low Frequency Receiver), dédié à l’analyse des champs électromagnétiques dans la gamme de fréquence entre 0.1 Hz et 10 kHz. De plus, pour étudier les propriétés fondamentales du vent solaire, le laboratoire contribue également au spectromètre de particules SWA (Solar Wind Analyzer), en fournissant le détecteur d’un analyseur d’électrons, EAS (Electron Analyzer Sensor), qui produira le spectre en énergie et en angle d’arrivée des électrons du vent solaire entre quelques eV et 5 keV. Cette contribution repose sur le développement d’un circuit intégré (un ASIC) résistant aux effets des radiations et entièrement conçu au laboratoire.
 

Les équipes scientifiques et techniques de l'Institut d'Astrophysique Spatiale (IAS)

L'IAS* a contribué au développement, à la réalisation, aux tests et à la calibration de 3 instruments (EUI, PHI, SPICE).

  •  L’IAS est responsable des opérations du spectrographe SPICE, qui permettra, entre autres, d'obtenir la densité, température, vitesse et composition chimique de l’atmosphère solaire. Pour ce spectrographe, l’IAS a fourni un réseau de diffraction torique à pas variable intégré dans une monture 5 axes conçue à l’IAS.
  •  L’IAS est co-responsable scientifique du télescope imageur EUI (Extreme Ultraviolet Imager) pour lequel il a conçu le canal grand champ FSI, réalisé, en collaboration avec l’institut d’Optique (Palaiseau), les optiques (9 miroirs et conçu et qualifié les mécanismes des roues à filtres.
  •  L’IAS est lead co-I de l’instrument PHI (Polarimetric & Helioseismic Imager). PHI mesurera le champ magnétique et les vitesses radiales à la surface du Soleil et sondera son intérieur grâce à l’héliosismologie temps-distance. L’équipe IAS a fourni le filtergraphe composé d’une enceinte thermique ayant une stabilité de 1 mK pour un Fabry-Perot en Niobate de Lithium de 250 micron d’épaisseur, ainsi que son alimentation haute tension fournissant jusqu’à 4000 Volt

L'institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (IRAP)

L'IRAP* a conçu et réalisé le « Proton Alfa Sensor » (PAS) de Solar Orbiter. C'est l'instrument qui mesure la composante principale du vent solaire et en détermine la densité, la vitesse et la température, à une cadence variant de quelques secondes à une fraction de seconde PAS fera des mesures 10 à 100 fois plus rapidement que les instruments précédents dans ce domaine, ouvrant la porte à l'étude des processus cinétiques et de dissipation.

L’aboutissement d’un long processus

Ce voyage vers le Soleil a en fait été initié il y a plusieurs dizaines d’années au sein d’une large collaboration scientifique européenne dans laquelle les équipes du CNRS-INSU et de ses partenaires en Ile de France, à Orléans et à Toulouse ont joué un rôle moteur.

L'origine de la mission Solar Orbiter est un projet baptisé Messenger soumis en  … 1982 par un groupe de scientifiques en réponse à un appel à idées de l'Agence spatiale européenne (ESA). Initialement proposée en 1998 dans le programme « Horizon 2000 + » de l’agence, ce n’est qu’en octobre 2011 que la mission a finalement été sélectionnée dans le cadre du programme « Cosmic Vision ».  Initialement prévu en 2017, le lancement est repoussé plusieurs fois.

Cinq laboratoires CNRS répondent à l’appel d’offre et sont sélectionnés pour concevoir tout ou partie d’un instrument : ce sont le LESIA, le LPP, le LPC2E, l’IAS et l’IRAP*.

Une course contre la montre commence, qui représente pas loin de dix années ! Tous les instruments, ainsi qu’un modèle de rechange pour chacun, doivent être prêts bien avant la date du lancement pour subir une année de tests à l’ IABG, près de Munich (vérification des mécanismes de déploiement et sa capacité à résister aux vibrations de lancement, aux températures extrêmes et au vide de l'espace), puis encore quelques mois à Cap Canaveral à la  NASA.  

Les défis et les avaries

Taille et poids réduits au minimum, consommation la plus basse possible : tous ces détails ont bien entendu une extrême importance et toute astuce est bonne à prendre ! Par ailleurs, concevoir des instruments et les envoyer dans un environnement aussi extrême ne va pas sans défis ni difficultés et les principaux protagonistes de cette aventure ont tous essuyé quelques plâtres !  

« Le premier challenge a été de faire collaborer les six équipes européennes ensemble », se souvient Sylviane Chaintreuil, chef de projet pour RPW. Le boitier électronique (MEB) comporte en effet six cartes électroniques, chacune réalisée par un laboratoire différent (IWF-Graz-Autriche, IAP-Prague & Astronomical Institute-Prague-République Tchèque, IRF-Uppsala & KTH-Stockholm-Suède, LPP-Palaiseau-France et LESIA-Observatoire de Paris-France) « Un défi à la fois en termes techniques puisque toute minuscule anomalie sur une carte dégrade les performances de l’ensemble de l’instrument, et en termes organisationnels puisque chaque modification doit être transmise et répercutée sur la totalité des équipes. Le nombre des téléconférences auxquels nous avons participé se comptent en dizaines de milliers ! »
Le retard s’accumule facilement « Une fois toutes les cartes réalisées et livrées au LESIA, puis assemblées pour former le boitier final, un deuxième défi nous attendait : réaliser l’ensemble des tests pour qualifier l’instrument pour le vol … en cinq semaines … alors que le planning initial en prévoyait le double ! »  Mais le CNES dépêchera au LESIA une équipe de personnels pour travailler en temps continu.

Le LPP a accepté le défi de concevoir et réaliser pour la première fois un récepteur basse fréquence. « Ceci a occupé plus de personnels et de temps que prévu à cause de divers aléas inévitables dans les projets spatiaux. Mais avec la réalisation de ce récepteur, le laboratoire a acquis une expertise supplémentaire en plus de son savoir-faire dans les capteurs magnétiques » se souvient Dominique Fontaine, directrice du LPP. Il y a d’autres exemples d’aléas : en ce qui concerne le détecteur de l’analyseur d’électrons, le laboratoire a passé beaucoup de temps à rechercher la différence entre le modèle de vol et le modèle de rechange avant de mettre en cause la couche de vernis d’une carte électronique !"»

Côté LPC2E, le rythme est d’autant plus intense et épuisant que le laboratoire a dû réaliser trois capteurs du même type simultanément, pour les missions Solar Orbiter, Parker Solar Probe, et Taranis (mission à venir en 2020).  De plus, « suite à des tests sur le capteur de Parker Solar Probe, nous avons eu un doute sur la résistance de celui de Solar Orbiter aux fortes variations de température » raconte Matthieu Kretzschmar, Lead Co-I (responsable principal) pour RPW / SCM, « nous avons alors continué à travailler sur le modèle de rechange pour le substituer au modèle de vol. Il a donc été fini, et livré, plus tard, avec accord de l’ESA et de Airbus UK, responsable du satellite. Nous avons alors dû organiser une opération commando -mais autorisée !- de deux jours, pour réaliser les derniers tests d’étalonnage au pied du satellite, avec les ingénieurs du LPC2E et du CNES. »

L’équipe projet EUI de l’IAS a dû faire face à un incident majeur sur le miroir primaire HRI. Sous l’œil de l’ESA et du CNES, l’IAS modifie le procédé de collage, décolle et recolle un modèle de vol en 4 mois. « Mais cette difficulté a mis en avant une belle preuve de réactivité du laboratoire et la force d’un travail en équipe », se souvient Cydalise Dumesnil Cheffe de Projet EUI à l’IAS. Pour l’équipe, le challenge était multiple : gérer en parallèle les développements, la réalisation et les tests de 5 sous-systèmes en parallèle. Au niveau technique, les défis étaient multiples : réalisation d’un mécanisme, de filtres focaux très minces (200nm et 410nm d’épaisseur) et développement à la station d’étalonnage de l’IAS d’un moyen d’essai permettant la caractérisation des optiques et des caméras dans le domaine de l’UV..Quant à l’instrument SPICE, sa monture casse lors de premiers tests de vibrations

Le vrai challenge technique a été de gérer le rayonnement trop fort des panneaux solaires dans une région aussi proche du Soleil, rayonnement qui dégradait le fonctionnement des instruments et des panneaux solaires eux-mêmes. L’étude des industriels pour adapter les panneaux solaires a pris plus de temps que prévu. Finalement on décide d’abriter les instruments derrière un bouclier thermique et d’orienter partiellement les panneaux solaires pour qu’ils ne se retrouvent jamais totalement face au Soleil.

« Pour l’IRAP, se souvient Philippe Louarn, directeur de l’institut, une difficulté technique essentielle a d’ailleurs été l'architecture thermique, puisque la face exposée de l'instrument est portée à une température dépassant 400° lors des périhélies, l'électronique interne devant rester stable aux alentours de 20° ! Cette architecture thermique a fait l'objet d'un test intensif d'une semaine dans une installation spéciale de l'ESA, reproduisant le flux solaire au périhélie de Solar Orbiter, environ 13 fois supérieur que celui reçu à la Terre. »

Une expertise assez unique

Si cinq des laboratoires du CNRS ont été sélectionnés, ce n’est pas un hasard, c’est parce qu’ils sont détenteurs d’une expertise assez unique. Par exemple, les laboratoires qui savent concevoir des capteurs électriques, magnétiques ou de particules sont de l’ordre de quelques unités dans le monde ! Pour la sonde Parker Solar Probe, qui est une mission de la NASA, un consortium américain a été chercher le LPC2E.  Cette expertise se construit sur plusieurs dizaines d'années pendant lesquelles les laboratoires font bien entendu évoluer les technologies pour construire des objets toujours plus performants, plus légers, plus petits. La miniaturisation donne d’ailleurs souvent lieu à des retombées industrielles.

Thierry Appourchaux de l’IAS se souvient que le concept qu’il avait contribué à proposer en 1987 en tant que jeune post-doc pour la mission SoHO de 1995 n’avait pas été retenu « car jugé alors trop difficile d’un point de vue de la qualification spatiale ».  Près de 25 après, ce concept va voler à bord de Solar Orbiter et il en est le leader scientifique pour la contribution IAS !

Etant donnée la durée effective de mise en place de la mission, dans plusieurs des laboratoires, les responsables scientifiques initiaux sont partis en retraite et ont cédé la place à une équipe plus jeune, avec bien sûr une problématique de transmission d’expertise sur ces domaines de pointe. « Mais du coup, nous avons à présent des équipes assez jeunes ! » s’amuse Karine Issautier. Un point appréciable quand on prend à compte la durée du voyage !  Il se trouve par ailleurs que toutes ces équipes ont d’une manière ou d’une autre contribué aux trois missions qui sont dans l’héliosphère en ce moment : Parker Solar Probe, Bepi Colombo et Solar Orbiter. « Une très bonne chose pour comprendre et mettre en perspective les données que l’on va récupérer grâce à ces trois missions ! »

Le défi de la transmission des données

Bien avant que la sonde arrive à proximité du Soleil, les équipes vont recevoir des données. Très vite, d’ailleurs : « Les antennes vont être déployées dans les 24 heures après le lancement et nous allons recevoir des données, qui vont au début servir surtout pour l’étalonnage et pour résoudre des problèmes de calibration. » nous confie Karine Issautier. C’est le Deep Space Network, le réseau de communications avec l'espace lointain de la NASA, qui permettra de transmettre les données « En ce qui concerne l’instrument RPW , on estime à environ 200 GO la totalité des données de télémétrie qui seront transmises sur la durée des 10 ans de la mission !  On n’est pas vraiment sur du big data ! », s’amuse-t-elle.

Pour optimiser leur pertinence, il a fallu un zeste d’intelligence artificielle, pas beaucoup, mais un peu plus que par le passé : par exemple, les mesures se feront à plus haute cadence quand la sonde ressentira des variations brusques de vitesse, signe de chocs en amont des éjections de matière coronale, ou de flux de particules et d’ondes du plasma. « On a besoin de cette cadence (un dixième de seconde) quand on regarde des phénomènes très rapides (…)  Mais c’est un peu dangereux de procéder à une sélection des données dans un milieu qu’on ne connait pas car il faut qu’on comprenne bien les données qu’on obtient. Pour la mesure de la densité, on a testé l’algorithme avec Parker Solar Probe et cela marche très bien ».

Les images envoyées par PHI sont compressées à bord au mieux sans perte, sélectionnées pour permettre un meilleur retour scientifique.  Les images sont également traitées à bord pour n'envoyer que les observables voulues, à savoir le champ magnétique et son orientation ainsi que la vitesse radiale.

Et maintenant

A l’heure du lancement de la mission, le projet va vivre une véritable mue dans nos laboratoires : les équipes instrumentales vont suivre la mise en route et le bon fonctionnement de leurs instruments, mais la plus grande partie du travail va passer maintenant entre les mains des informaticiens et des chercheurs qui vont examiner et analyser un flot de mesures absolument inédites pour décrypter le fonctionnement du Soleil, notre étoile.
       

* tutelles des laboratoires

LESIA : CNRS/Observatoire de Paris-PSL/Sorbonne Université/Université de Paris
LPP : CNRS/École polytechnique/Sorbonne Université/Université Paris-Saclay/ Observatoire de Paris
LPC2E : CNES/CNRS/Université d’Orléans
IAS : CNRS/Université Paris-Saclay
IRAP : Université Toulouse III – Paul Sabatier/CNRS/CNES