Stabilité surprenante des concentrations de CO2 anthropique dans les eaux de fond de l’océan Austral

Résultat scientifique Océan Atmosphère

Par sa capacité à absorber plus de 90 % de l’excès d’énergie calorifique de l’atmosphère dû au réchauffement climatique et environ 25 à 30 % du CO2 émis par les activités humaines, l’océan joue un rôle crucial dans la régulation du climat. À lui seul, l’océan Austral accumule environ 40 % de la totalité du CO2 d’origine anthropique accumulé dans l’océan global. En particulier, les eaux froides et denses qui se forment et plongent autour du continent antarctique peuvent entraîner le CO2 d’origine anthropique de la surface jusque dans les eaux antarctiques de fond qui tapissent tous les bassins océaniques et ont la capacité de le séquestrer durablement. Par conséquent, une augmentation progressive des concentrations de CO2 dans ces eaux devrait être observée en relation avec l’augmentation régulière, depuis plus d’un siècle, du CO2 dans l’atmosphère. Pourtant, cela n’est pas toujours le cas, comme cela a récemment été observé dans le secteur indien de l’océan Austral.

À partir d’observations régulières effectuées depuis 1998 dans le cadre du Service d’observation OISO de l’INSU à bord du Marion-Dufresne (TAAF) et d’observations historiques (campagne américaine GEOSECS en 1978 et campagne française INDIGO en 1985-1987), des chercheurs du laboratoire LOCEAN/IPSL ont montré qu’au cours des 40 dernières années, les concentrations de CO2 dans les eaux antarctiques de fond avaient effectivement augmenté en moyenne et que cette augmentation s’expliquait principalement par l’absorption de CO2 d’origine anthropique. Toutefois, les chercheurs ont observé une relative stabilité de ces concentrations sur la dernière décennie (2010-2018), pouvant s'expliquer par des mécanismes complexes liés à la circulation océanique et aux variations de la formation des eaux antarctiques de fond, des signaux encore mal représentés dans les modèles océaniques et climatiques.

Ces résultats soulignent l’importance du maintien de ce type d’observations sur de longues durées pour suivre d’année en année l’évolution du CO2 océanique et son couplage avec le changement climatique. Cette série de données du Service d’observation OISO, unique dans l’océan Austral, montre que la variabilité interannuelle à décennale doit être prise en compte pour mieux comprendre comment l’océan accumule et accumulera le CO2 atmosphérique.

Illustration scientifique
Évolution des concentrations de carbone inorganique total dissous (CT en bleu) et de CO2 anthropique (Cant en rouge) observées depuis 1978 dans les eaux antarctiques de fond vers 55-60°S au sud-ouest des îles Kerguelen (stations en rouge sur la carte). Les symboles représentent les moyennes observées dans les eaux de fond (couche 4200-4800m), indiquant que les concentrations de CO2 anthropique sont passées d’environ 5-10 µmol/kg dans les années 80 à plus de 10-15 µmol/kg ces dernières années. Les lignes pointillées indiquent les tendances moyennes sur 40 ans et la ligne pointillée noire souligne l’apparente stabilité des concentrations de CO2 anthropique au cours des 20 dernières années.

 

En savoir plus

Mahieu, L., Lo Monaco, C., Metzl, N., Fin, J., and Mignon, C.: Variability and stability of anthropogenic CO2 in Antarctic Bottom Water observed in the Indian sector of the Southern Ocean, 1978–2018. Ocean Science, 2020
https://doi.org/10.5194/os-2020-37

Contact

Claire Lo Monaco
Chercheuse au Laboratoire d'Océanographie et du Climat : Expérimentations et Approches Numériques IPSL/CNRS
Léo Mahieu
Université de Liverpool