TERRA FORMA : un nouveau paradigme pour l’observation des territoires

Décryptage Terre Solide

L’habitabilité de la Terre, pour toutes les formes de vie, est remise en question par l’action de l’être humain qui a déstabilisé les équilibres naturels. Comment observer et définir les interactions complexes qui relient les Humains et son environnement ? Le projet TERRA FORMA propose de relever ces défis majeurs en développant et testant une plateforme d’observation in-situ qui s’appuie sur des réseaux de capteurs intelligents pour apporter une nouvelle vision multi-messager, couplant les points de vue des capteurs sur les dynamiques humaine, biotique et abiotique et leurs interactions au sein des territoires. Le projet se concentre sur quatre enjeux clés : le capital sol, la ressource en eau, la pression chimique, la biodiversité et l’intégrité des paysages.

On fait le point avec Laurent Longuevergne (coordinateur scientifique, laboratoire Géosciences Rennes / OSUR / CNRS), Virginie Girard (Cheffe de projet, OSUG/CNRS) et Arnaud Elger (co-coordinateur de projet, LEFE/ CNRS)

Le projet TERRA FORMA

Entre la destruction des forêts primaires à des fins de développement d'activités agricoles, l’artificialisation des sols en passant par la pression chimique par une grande diversité de polluants qui s’exerce sur eux et l’eau, élément critique à la vie sensu lato, l’humain est devenu un acteur majeur des changements affectant notre planète surpassant les forces géologiques. La période temporelle qui voit ces boulevements s’appelle l’Anthropocène. « La masse de tout ce que l’humain a construit dépasse aujourd’hui la masse des organismes présents sur notre planète, et c’est très troublant » estime Laurent Longuevergne. Il apparaît en effet que l’habitabilité de la Terre s’en trouve drastiquement transformée.

En réponse à ces problématiques, le projet TERRA FORMA s’appuie sur l’hypothèse suivante : une approche plus fine, avec des résolutions spatiales et temporelles inédites, permettant de bien cerner les interactions entre les différents systèmes (biotiques, abiotiques et humain) permettra de faire émerger la signature des phénomènes et processus qui régissent l’habitabilité de la Terre. Autrement dit, pour comprendre comment un processus en impacte un autre, il faut analyser tout le système dans sa globalité. Pour ce faire, le principe est de multiplier puis de croiser différents points de vue à l’aide de réseaux de capteurs hétérogènes permettant d’effectuer des suivis des trajectoires environnementales.

L'origine du projet TERRA FORMA

TERRA FORMA est un projet d’équipement structurant pour la recherche (Equipex +) qui découle du PIA 3 (Plan d’Investissement d’Avenir national). Son objectif est de changer complètement de paradigme dans la stratégie d’observation des systèmes naturels anthropisés. À ces fins, il utilise deux leviers identifiés par la communauté scientifique pour transformer les outils et méthodes d’observation actuels : le recours à l’interdisciplinarité et le déploiement d’une approche holistique, à une échelle pertinente pour une recherche et une action territorialisée. Le projet est financé à hauteur de 9,6 millions d’euros par l’ANR.

Des technologies innovantes …

Les défis instrumentaux sont doubles. Il s’agit de déployer sur le terrain une nouvelle génération de capteurs intelligents, connectés et à faible consommation énergétique, mais également de disposer d’une infrastructure de communication adaptative pour efficacement traiter l’information des réseaux de capteurs en ligne. Les porteurs ont fait le choix de s’appuyer sur les dernières avancées technologiques des sciences de l’ingénierie et des systèmes et des technologies de l’information, qui permettent d’accéder à de nouvelles manières d’observer : « Si on veut aborder les défis environnementaux de demain, il faut s’approprier les innovations d’aujourd’hui » explique Laurent Longuevergne. Ainsi, les nouveaux capteurs optiques, miniaturisés, offrent des capacités de mesure hors du commun. L’intelligence artificielle apporte également des solutions pour réduire la consommation énergétique et extraire l’information pertinente. Enfin, l’impression 3D facilite la fabrication de petites séries et diminue les coûts de production, permettant ainsi leur déploiement.

 

 … déployées sur les observatoires in situ …

Pour implémenter cette plateforme d’observation, le projet s’appuiera concrètement sur deux infrastructures de recherche déjà existantes : OZCAR, le réseau des observatoires de la Zone Critique et RZA, le réseau des Zones Ateliers, tous deux formant la contribution française au projet d’Infrastructure de Recherche européenne eLTER (European Long Term Ecological Research). Principalement issus des disciplines des Sciences de la Terre et de l'Environnement, les chercheurs des observatoires de la Zone Critique1 étudient les cycles biogéochimiques au sein de la fine couche entre la roche altérée et la base du sol et la canopée des arbres où interagissent l’eau, les éléments, les sédiments, les gaz et le vivant. Les scientifiques des Zones Ateliers étudient quant à eux, les trajectoires des socio-écosystèmes, c’est-à-dire comment les Humains et leurs sociétés s’organisent, interagissent et mettent en place des systèmes de gouvernance autour de leur environnement. Ce sont en particulier des chercheurs en Ecologie et en Sciences Humaines (Sociologie, Economie, Archéologie…) qui s’y intéressent.

Ainsi, l'une des forces de TERRA FORMA est de rassembler les communautés scientifiques et les acteurs des territoires. L’effort de transdisciplinarité et d’interdisciplinarité est inscrit au cœur du projet. Construit en associant, dans chaque tâche, des spécialistes des technologies, des personnes de terrain et des thématiciens, il permet de travailler ensemble autour d’un même observable.

… adaptés aux enjeux d’aujourd’hui

Les plateformes d’observation contribueront à la définition de variables essentielles pour les systèmes naturels anthropisés, autour des états et des flux de matière et du vivant, et à l’évaluation de la capacité prédictive des modèles. Les paramètres mesurés peuvent être catégorisés selon les 4 domaines interdépendants identifiés par TERRA FORMA :

 

  • Le capital sol :

Le sol est une source ultime de nutriments pour les écosystèmes, il est donc nécessaire de comprendre ses transformations et interactions avec le vivant. Parmi les capteurs développés, la caméra hyperspectrale, permet d’obtenir des profils de couleur extrêmement précis. Elle permet notamment d’observer la teneur en chlorophylle (1) ou d’autres traits des végétaux dans un espace donné, susceptibles de nous renseigner par exemple sur des carences en nutriments ou sur l’exposition à un polluant chimique.

Un travail de cartographie et de mesures des flux de gaz à effet de serre peut être réalisé pour définir les interactions avec les communautés de micro-organismes.

  • La ressource en eau

Le réchauffement climatique et le changement d’utilisation des terres ont entraîné des modifications du cycle hydrologique. L’eau est une ressource majeure qu’il faut surveiller, quantifier et qualifier. Il faut donc s’intéresser à divers paramètres comme les flux d’eau, le métabolisme des rivières, le devenir de la matière organique... Une sonde multi-paramètre, développée selon les principes de science ouverte, permettra de définir l’ensemble des variables standard dans les écosystèmes aquatiques (température, conductivité, turbidité, pH, concentration en O2, CO2, nitrate…) pour un coût 10 fois inférieur aux sondes du marché.  Pour sa part, la caméra hyperspectrale mettra en évidence la présence éventuelle d’un stress hydrique, qui intègre la notion d’état de santé des bassins versants étudiés.

 
  • 1 c’est-à-dire la fine couche de la Terre qui concentre la vie
Laurent Longuevergne,Directeur de Recherche CNRS - Géosciences Rennes - UMR CNRS 6118 Université de Rennes1, Bretagne, Ploemeur, Etang de Lannénec, dosimétrie de la teneur en nitrate dans l'eau résurgente.© Hubert Raguet/OZCAR
  • La pression chimique

Les sources de contamination par composés chimiques se sont multipliées depuis l’intensification des activités industrielles et agricoles et avec la croissance démographique. Les polluants sont d’origines diverses et peuvent être disséminés à diverses échelles de temps, par l’eau, les organismes vivants ou les vents. Des capteurs passifs permettront notamment de définir la concentration, la dispersion et la bioaccumulation des contaminants rejetés par l’Homme, et ainsi renseigner sur les taux de contaminants et les niveaux de stress chimique des milieux auxquels on s’intéresse.

  • La biodiversité et l’intégrité des paysages

L’anthropisation du paysage cause une diminution des espaces habitables pour une biodiversité qui est déjà en déclin. L’objectif est donc d’observer les réponses des écosystèmes suite aux perturbations de leurs milieux. Des pièges photos et des capteurs biologging (embarqués sur les animaux) permettent de repérer des espèces, connaître leurs comportements (déplacements, nourriture, etc.) et d’obtenir plus de données sur leur habitat.  Ces deux technologies sont équipées d’outils d’intelligence artificielle pour cibler les informations pertinentes parmi la masse de données enregistrées : les logiciels sont entraînés grâce à de larges bases de données contenant des dizaines de milliers de photos d’espèces animales. Les capteurs pourront ainsi transmettre directement des données précises sur la présence d’une espèce animale dans un milieu spécifique, ce qui représente un gain de temps et d’énergie.

 

À quoi ressembleront ces nouveaux observatoires ?

Après leur phase de développement et de prototypage, les capteurs vont être déployés sur le terrain, dans des observatoires déjà existants (ceux des deux réseaux RZA et OZCAR). Trois « sites pilotes » correspondant à trois types de milieux ont été sélectionnés : le site du col du Lautaret dans les Hautes Alpes pour le contexte montagnard, le site de l’Auradé dans le Gers pour le contexte agricole et le site Ploemeur-Guidel dans le Morbihan pour le contexte côtier. 12 autres observatoires seront également équipés dans un second temps.

Les trois sites pilotes. A gauche : Le col du Lautaret, au centre : le bassin versant d’Auradé, à droite : Ploemeur-Guidel© P. Choler (LECA) / A. Probst (EcoLab) /société ABdrone
Illustration schématique de ce que pourrait être un observatoire TERRA FORMA, un site combinant capteurs fixes et mobiles communicants et plateformes de communication.© Virginie Girard, Laurent Longuevergne, Arnaud Elger

Qui seront les utilisateurs des données ?

Les données des capteurs auront deux grandes destinations. Intégrées à des bases de données existantes, elles seront mises à disposition de la communauté scientifique, notamment pour améliorer les capacités prédictives de modèles. Le projet prévoit par ailleurs que les données puissent être intégrés dans des services, à destination d’autres types de publics, la formation ou l’aide à la décision Dans la même optique, les données pourraient être vulgarisées pour le grand public.

La diffusion et l’appropriation des savoirs pour tous les citoyens est de fait un des enjeux du projet, elles passent par le partage avec le grand public des enjeux de ces recherches.

 

Léa Lahmar 

 

Contact

Laurent Longuevergne
Laboratoire Géosciences Rennes (CNRS)
Virginie Girard
Observatoire des sciences de l'Univers de Grenoble (OSUG / CNRS)
Arnaud Elger
Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement (CNRS)