Un séisme majeur peut en initier un autre
Le 11 avril 2012, le plancher océanique de l’Océan Indien était rompu par le plus gros séisme décrochant jamais enregistré (Mw8.7) dans un contexte intraplaque océanique. Il était suivi deux heures plus tard par un second séisme de grande magnitude (Mw8.2). Cette séquence énigmatique est étudiée avec beaucoup d’intérêt, car elle pourrait être une conséquence directe du méga-séisme de Banda-Aceh qui a dévasté la région en décembre 2004. L'étude publié dans la revue Nature du 27 septembre 2012 par une équipe française du laboratoire de Géologie de l’Ecole normale supérieure (CNRS-INSU, ENS Paris), en collaboration avec Géosciences Montpellier (CNRS-INSU, Université de Montpellier), montre de quelle manière les deux événements sont liés.
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La déformation intraplaque et le bassin de Wharton
La plaque océanique au large de Sumatra (dans le bassin de Wharton, voir Figure) et dans le Bassin Central Indien est formée d’un plancher d’âge Crétacé (environ 145,5 à 65,5 millions d'années), dont la mise en place est contemporaine de la grande remontée de l’Inde vers le nord. A l’Eocène (vers 45 Ma), une réorganisation géodynamique majeure a conduit à l’abandon de la dorsale du Bassin de Wharton, une nouvelle dorsale active se localisant plus au sud. Le résultat de ces événements successifs est la présence d’une très forte fabrique océanique1 héritée, à la fois nord-sud, en relation avec les grandes failles transformantes qui ont accompagné l’ouverture Crétacé, et est-ouest, la paléo-direction des dorsales. C’est cette fabrique qui a rompu le 11 avril 2012, et les deux séismes décrochants sénestres sont typiques de la déformation océanique intraplaque dans le bassin de Wharton.
La sismicité intraplaque dans cette région de l’Océan Indien est discutée depuis les tout premiers modèles de tectoniques des plaques globaux. Elle est interprétée comme une déformation diffuse entre deux plaques majeures, l’Australie et l’Inde. En effet, on mesure par GPS 1cm/an de mouvement entre l'Australie et l'Inde à accommoder dans le bassin de Wharton, où aucune frontière de plaque classique n'est pourtant présente. L’origine invoquée de la déformation intraplaque est la collision himalayenne et les forces de résistance qui s’y développent, responsables de la mise en contrainte d’une grande partie de l’Océan Indien. Dans ce contexte, la fabrique océanique est systématiquement réactivée, principalement en chevauchements est-ouest à l’Ouest de la Ride de 90°Est (dans le Bassin Central Indien), et en décrochements senestres nord-sud à l’Est de celle-ci, dans le bassin de Wharton.
Quel lien avec le méga-séisme de Banda-Aceh?
En comparant la sismicité 8 ans avant et 8 ans après le séisme de 2004, les auteurs ont mis en évidence une augmentation spectaculaire du nombre de séismes en domaine intra-océanique après le choc de Banda-Aceh, indiquant un chargement à distance de la plaque océanique au large de Sumatra. Plus précisément, un calcul élastique (dit de contraintes de Coulomb) a permis d’établir que la géométrie du plan de friction du séisme de Banda-Aceh et sa distribution de glissement, avait préférentiellement favorisé le jeu senestre de la famille de plans nord-sud hérités. Les contraintes co-sismiques lors du séisme de Banda-Aceh ont pu rapprocher les failles pré-existantes, déjà sous contraintes, du seuil de rupture. Ceci explique sans doute pourquoi la sismicité intraplaque du bassin de Wharton est si intense depuis 2004. En revanche, ce calcul n’explique pas la sismicité plusieurs années après 2004, car les contraintes co-sismiques ont en théorie un effet instantané dans une lithosphère élastique.
Les propriétés mécaniques de la lithosphère océanique sont plus complexes que celles d’un simple matériau élastique. En utilisant un modèle de relaxation postsismique qui prend en compte aussi la viscosité du manteau, l'équipe a pu établir que les contraintes induites par les grands séismes continuent de croître plusieurs années après qu'ils soient survenus. Ce comportement offre une explication plausible pour le délai de 8 ans qui sépare le choc principal de Banda-Aceh de 2004 et les séismes d’avril 2012.
A l'échelle des plaques
Ainsi, le déclenchement des séismes d'avril 2012 dans l'Océan Indien, est lié à l'activité de la subduction à Sumatra. Il s'agit d'une illustration à court-terme des processus géodynamiques à grande échelle de temps et d'espace qui sont responsables de la déformation du plancher océanique entre l'Inde et l'Australie. La plaque Australie, entrainée par la traction vers le nord de sa subduction sous le bloc de la Sonde, se voit freinée par l'Inde, en collision avec l'Eurasie au niveau de la chaîne himalayenne. Les séismes intraplaques d'avril 2012 illustrent de façon spectaculaire où et comment la lithosphère océanique se déforme sous l'effet des gigantesques forces aux frontières de la plaque Indo-Australienne.
Le séisme de magnitude Mw 8.7 du 11 avril 2012 est à ce titre un évènement important pour la communauté scientifique puisqu’il s’agit d’un des rares exemples de grands séismes dans la lithosphère océanique, ouvrant ainsi une fenêtre d’observation sur la rhéologie du manteau. De nombreuses questions se posent concernant les multiples plans de ruptures ayant joué lors de ce même séisme. Il constituera à n’en pas douter un sujet d’étude exceptionnel pour les années à venir.
Pour en savoir plus
Sources
April 2012 intra-oceanic seismicity off Sumatra boosted by the Banda-Aceh megathrust, Delescluse, M., N. Chamot-Rooke, R. Cattin, L. Fleitout, O. Trubienko & C. Vigny, Nature 490, 240-244, doi:10.1038/nature10520 (2012)
Notes
1 - La « fabrique océanique » est un terme générique qui désigne l’ensemble des structures originelles qui ont accompagné la formation de la lithosphère océanique. Il s’agit le plus souvent des paléo-failles normales et des paléo-failles transformantes créées à l’axe des dorsales océaniques, l’ensemble formant un réseau plus ou moins complexe de structures : on parle alors de « grain » ou « d’héritage » structural. Ce réseau est orienté, ce qui implique une forte anisotropie des propriétés mécaniques de la lithosphère. C’est cette anisotropie qui est à l’origine de réactivations préférentielles.