Éclairs et grêle d’ammoniaque : les puissants orages de Jupiter

Explorations Univers

L’une des grandes surprises de la mission Juno de la NASA, en orbite autour de Jupiter depuis 2016, a été la découverte de la très grande variabilité des propriétés de son atmosphère profonde, à des dizaines, voire des centaines de kilomètres en dessous des nuages visibles. L’ammoniac, notamment, est très présent dans la zone équatoriale alors que son abondance est très variable et généralement faible ailleurs, jusqu’à des grandes profondeurs. Mais quel est le mécanisme responsable de ces variations ?

L’atmosphère de Jupiter, faite essentiellement d’hydrogène et d’hélium, deux gaz très légers, est très étendue. Les nuages d’eau, qui s’étendent sur 12 km d’altitude maximum sur Terre, peuvent atteindre plus de 80 km d’altitude sur Jupiter. L’eau qui remonte dans ces grands nuages via les courants ascendants finit par cristalliser. Quand les cristaux atteignent une altitude où la température avoisine -80°C, ils rencontrent de la vapeur d’ammoniac qui liquéfie les cristaux et forme des gouttelettes d’eau-ammoniac. Après avoir atteint le haut du nuage, elles redescendent et une croûte de glace se forme autour d’elles. En chutant, ces grêlons d’ammoniaque1 grossissent de plus en plus et peuvent peser jusqu’à 1 kg. Leur poids les fait chuter dans l’atmosphère profonde à des vitesses pouvant atteindre 700 km/h ! Arrivés à une certaine profondeur, ils s’évaporent. Ce sont donc les orages qui entraînent l’ammoniac et l’eau profondément dans la planète.

Une observation a permis de confirmer ce mécanisme de formation d’orages. Elle a été réalisée par une petite caméra de la sonde Juno, appelée caméra SRU et qui au départ était simplement prévue pour positionner le satellite. Elle a détecté, un peu par hasard, la présence d’éclairs du coté nuit de la planète. Des éclairs avaient déjà été détectés sur Jupiter par le passé, mais à des profondeurs où les températures avoisinent 0°C et où l’on peut donc trouver de l’eau liquide. En effet, la présence des trois phases de l'eau (solide, liquide et vapeur) est essentielle à la formation d’éclairs. La nouveauté ici est que certains des éclairs détectés par la caméra SRU proviennent de niveaux où la température est inférieure à -70°C. Seule la présence d’ammoniac peut expliquer l’existence d’un liquide à ces températures – le mélange eau-ammoniac à la base des grêlons – et donc la formation d’éclairs dans cette zone.

Suite à ces découvertes, des chercheurs ont réalisé un modèle de mélange atmosphérique sur Jupiter. Résultat : la présence d’orages et la formation de grêlons d’ammoniaque permettent d’expliquer l’assèchement de l’atmosphère profonde en ammoniac et rendent compte des variations observées par Junoen fonction de la latitude. Mais des questions cruciales subsistent. En particulier : jusqu’où les courants descendants liés à l’évaporation de la grêle d’ammoniaque pénètrent-ils ? Juno devrait poursuivre la mission jusqu’en 2025, et au-delà, la mission Juice de l’ESA pourra permettre de continuer le suivi de ces orages. Mais une autre planète pourrait apporter les clés de la compréhension de ces atmosphères abyssales : il s’agit d’Uranus, qui devrait être l’objet d’une mission commune de la NASA et de l’ESA pour une mise en orbite à l’horizon 2045.

1 Une fois dissous dans l'eau, l'ammoniac (NH3) donne de l'ammoniaque dont la formule chimique est NH4OH.

Auteur

Tristan Guillot, chercheur CNRS au laboratoire Lagrange – OCA

Tutelles : CNRS / OCA

Des nuages blancs, probablement de glace d’ammoniac, photographiés par la caméra JunoCam, lors d’un orage jovien © NASA / JPL-Caltech / SwRI / MSSS / Gerald Eichstädt
Comparaison à l’échelle d’un cumulo-nimbus sur Terre (à gauche) et d’un nuage à la base d’un orage violent sur Jupiter (à droite). Les températures, altitudes et pressions indiquées font référence à l’atmosphère de Jupiter. © NASA / JPL-Caltech / SwRI / CNRS