Solar Orbiter : Riche récolte de données in situ

Décryptage Univers

Lancée il y a un peu plus d’un an (le 10 février 2020), la sonde Solar Orbiter continue son voyage vers le Soleil, emportant à son bord une dizaine d’instruments ! Elle se trouve actuellement à une distance du Soleil de 0,95 UA (unité astronomique correspondant à la distance moyenne entre la Terre et le Soleil, soit 150 millions de kilomètres).

Un des objectifs principaux de la mission Solar Orbiter est de mieux comprendre les mécanismes du vent solaire (chauffage, accélération, évolution, composition) et sa relation avec les phénomènes éruptifs à la surface du Soleil (par exemple les éjections de masse coronale).  À ces fins, elle transporte à son bord des instruments de télédétection dont nous avons parlé lors d’un précédent article et des instruments mesurant les caractéristiques du plasma du vent solaire autour de la sonde (les mesures in situ). Les instruments RPW et SWA font partie de cette dernière catégorie. Certains de leurs sous-systèmes ont été développés par le CNES, ainsi que quatre laboratoires français du CNRS (LESIA, LPP, LPC2E, IRAP).

Dès une semaine après le lancement de la sonde, ces deux instruments ont commencé à opérer et à fournir des données aux scientifiques !

RPW (Radio and Plasma Waves) : mesurer les champs électromagnétiques

RPW est une suite d’instruments composée de trois sous-systèmes (TNR-HFR fourni par le LESIA, LFR fourni par le LPP, et TDS) connectés à des capteurs (trois antennes électriques fournies par le CNES et un magnétomètre SCM fourni par le LPC2E). Il devrait permettre de faire des mesures très précises des champs électriques basse et haute fréquence. Ces champs électriques, actuellement encore non détectés, sont en effet soupçonnés de jouer un rôle important dans les mécanismes de chauffage et d’accélération du vent solaire.

En savoir plus sur l’instrument RPW

 « Le CNES a eu la responsabilité technique de l’ensemble RPW. Il a aussi approvisionné les antennes électriques, intégré et testé l’ensemble de l’instrument » précise Isabelle Fratter, cheffe de projet des contributions françaises à Solar Orbiter pour la phase de développement au CNES. Les antennes forment un système assez complexe qui ne peut pas être embarqué complètement déployé. Il a donc fallu le déployer en orbite : la première partie du système (~1m) se déploie à 90° pour d’abord éloigner les antennes du satellite, puis déployer dans un second temps le « stacer » (partie capteur) qui fait 6,50 m.  L’ingénierie thermique de ces éléments a fait l’objet de beaucoup d’attention :  « Les antennes sont équipées de mini-boucliers pour protéger les préamplificateurs se trouvant à leur pied. Pour le stacer, des matériaux résistant aux températures élevées ont été utilisés » précise Isabelle Fratter.

Pour détecter et mesurer les phénomènes éruptifs, on essaie de mesurer les particules énergétiques. Mais « il peut arriver qu’il y ait des particules énergétiques qui partent de l’autre côté du Soleil et qui ne pénètrent pas dans les instruments de Solar Orbiter » remarque Milan Maksimovic du LESIA. C’est là qu’intervient le sous-système TNR-HFR (Thermal Noise and High Frequency Receiver) qui mesure les signatures radio, dans la bande des ondes à haute fréquence, des phénomènes éruptifs à la surface du Soleil (éjection de masse coronale, particules énergétiques. « L’avantage avec les ondes radio, c’est qu’on peut détecter les émissions radio de ces particules énergétiques et les étudier malgré tout ! »

Il nous confie aussi que « se rapprocher du Soleil permet d’observerplus tôt l’impact d’une éruption du Soleil dans le milieu interplanétaire, à l’endroit où se trouve la sonde. »

Concernant les ondes à basse fréquence, « elles sont importantes car elles peuvent contribuer au chauffage et à l’accélération du vent solaire ! » indique Thomas Chust du LPP. Elles ont la particularité de se propager localement et ne pas s’échapper de la source qui les a créées. On les mesure dans le plasma grâce au sous-système LFR (Low Frequency Receiver). Une difficulté technique majeure pour LFR a été de mettre en place une stratégie pour compresser les données collectées à bord, basée sur un découpage en fréquences : « formes d’ondes », matrices spectrales, paramètres basiques (BP).

C’est pour caractériser des fluctuations électromagnétiques dans le vent solaire qu’intervient enfin le 3eme sous-système : le magnétomètre SCM. « L’évolution du vent solaire au cours de sa distance serait due à des échanges d’énergie entre les particules (électrons, protons) et le champ électromagnétique » nous apprend Matthieu Kretzschmar du LPC2E. Un des problèmes techniques de SCM est de pouvoir résister à une température extérieure de -135°C. Il contient donc des réchauffeurs dans son pied et est recouvert par une couverture thermique pour garder la chaleur.

 

SWA (Solar Wind Analyser) : mesurer et caractériser les particules qui constituent le vent solaire

Comment établir les liens physiques fondamentaux entre l'atmosphère hautement dynamique magnétisée du Soleil et le vent solaire dans tous ses états (calmes ou perturbés) ? C’est l’instrument SWA, formé de trois capteurs (PAS, EAS et HIS) et d’un ordinateur central (DPU) qui est chargé de nous donner les réponses.

En savoir plus sur l’instrument SWA

 « PAS (pour Proton Alpha Sensor) est un des instruments fondamentaux de Solar Orbiter car il va mesurer la composante principale du vent solaire. C’est lui qui nous donne sa vitesse, sa température, et, sa composition (avec HIS). Grâce à la mesure des fonctions de distribution ioniques, il permet aussi une caractérisation fine du vent solaire et de ses processus dynamiques » explique Philippe Louarn de l’IRAP. L’instrument récupérant des particules venant du Soleil, il doit être sur la face avant du satellite. Un travail important a été réalisé par Andreï Fedorov et son équipe de l’IRAP pour concevoir une architecture innovante, incluant la protection thermique et la structure elle-même du détecteur pour survivre à des températures de plus de 450°C ! De plus, PAS est capable de faire des mesures de fonctions de distribution d’ions en 0,1 seconde, ce qui n’a jamais encore été fait dans le vent solaire !

L’instrument est fourni par l’IRAP qui a également fourni la tête de mesure de HIS (Heavy Ion Sensor). C’est le LPP qui a contribué au dernier sous-système, EAS (Electron Analyser System), qui mesure la population des électrons et sert à comprendre la topologie du champ magnétique.

 

Déjà des observations depuis le lancement de Solar Orbiter !

Dès une semaine après le lancement de la sonde, ces deux instruments ont commencé à fournir des données aux scientifiques !

Grâce à RPW, des chocs interplanétaires (variations brutales de la densité du vent solaire) ont été observés. Cela n’avait jamais été mesuré auparavant avec autant de précision (figure 1).  

De plus, au moment où Solar Orbiter a utilisé l’assistance gravitationnelle de Vénus (27 décembre 2020), il a frôlé cette dernière et a séjourné longtemps dans la queue de sa magnétosphère. Pendant cette période, il a subi un choc, en amont de sa magnétosphère (figure 2). RPW était en mode « burst » (mode rafale) toute la journée et a pu ainsi enregistrer une grande quantité de signaux !  Quand Solar Orbiter s’est éloigné de la magnétosphère de Vénus, les données de RPW ont montré qu’il s’était retrouvé subitement dans le vent solaire, beaucoup plus calme (figure 3). 

La majorité des ondes observées par RPW sont des ondes dites de sifflements. « On savait qu’elles existaient, mais grâce à RPW, on a pu non seulement les caractériser comme aucun autre instrument ne l’avait fait auparavant mais aussi montrer que ces ondes ont tendance à s’échapper du Soleil et que leur nombre augmente en se rapprochant du Soleil » expliquent Matthieu Kretzschmar et Thomas Chust.

 

Le 30 mai 2020, Solar Orbiter a traversé la queue de la comète C/2019Y4 (ATLAS). L’instrument PAS a permis de faire des mesures originales de la composition du milieu perturbé par le vent solaire (figure 4).

Solar Orbiter a donc déjà quelques belles observations à son actif, mais ce n’est qu’un début ! Grâce à ces instruments, notre Soleil devrait nous révéler bien d’autres secrets ces prochaines années !

Propos recueillis par Martine Chane-Yook

Contact

Milan Maksimovic
Chercheur CNRS (LESIA)
Isabelle Fratter
CNES
Thomas Chust
LPP
Matthieu Kretzschmar
Université d’Orléans (LPC2E)